Chapitre 36 : Enfance volée

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Alec, la tête au-dessus de mon épaule, tourne son regard vers moi. Alarmé par mon soudain silence.

- Tu es restée si longtemps sans te servir de ton téléphone que maintenant, tu n'sait plus sortir d'une application ?

Plaisante-t-il.

Je fais défiler la liste d'appels manqués, j'en compte au total plus d'une vingtaine. Le bout de mon doigt semble être en feu à force de faire défiler cette liste sous mes yeux.

– Ce... ce n'est pas ça... Regarde tous ces appels, c'est bizarre, non ?

– Heu... je crois que tu devrais répondre.

Alec parait intrigué.

La sonnerie de mon téléphone retentit me faisant sursauter légèrement. Le numéro de ma grand-mère s'affiche, me procurant une sensation de chaleur, comme lorsqu'elle venait me récupérer à l'école primaire pour me ramener au manoir et boire une tasse de thé vert avec moi. Ce sont des moments que je n'oublierai jamais, et ces mêmes moments sont la raison pour laquelle ma grand-mère est si importante à mes yeux. Revoir son numéro s'afficher me fait du bien, j'ai l'impression de retrouver un fragment de ma vie, un fragment qui n'est pas encore complètement détruit et réduit en poussière.

– Tu devrais lui répondre, ça fait longtemps que t'as parlée à personne d'autre que nous.

La nostalgie m'a tellement envahie que j'ai presque oubliée de décrocher.

Je crispe les paupières devant l'écran lumineux, puis, du bout du doigt, presse le bouton « Répondre ».

– Grand-mère ! Tu n'imagines même pas à quel point je suis heureuse de finalement pouvoir te parler, j'ai tant de choses à te raconter !

Je suis ravie de pouvoir à nouveau prendre contact avec ma grand-mère. Mais contre toute attente, ce n'est pas une voix forte et enjouée que j'ai au bout du fil, mais une respiration saccadée, comme quelqu'un qui se serait effondré de chagrin.

– Ma puce, il s'est passé quelque chose de très grave...

Ma bouche s'arrondit de surprise. J'échange un regard interrogateur avec Alec, ne sachant plus vraiment quoi dire ou à quoi m'attendre.

– Est-ce que... Est-ce que Alec est avec toi ?

– Toujours.

Répond Alec, en hochant la tête mécaniquement, par réflexe.

– Oui, mamie, il est près de moi...

L'angoisse monte progressivement en moi, et Alec le ressent. Il enroule ses bras tatoués autour de mon corps et me serre contre son torse. Je sourit faiblement alors que son étreinte se resserre autour de moi, enveloppant mon corps dans une vague de chaleur dont je suis devenue dépendante au fil du temps. Le sentiment d'aimer et d'être aimé a un effet plus puissant que n'importe quelle addiction existante sur cette planète.

Lui et moi, c'était tellement inattendu, mais tellement évident.

– Tu es prête ?

– Oui, Alec, je crois. Mamie... Je t'écoute.

Un soupir se fait entendre à l'autre bout du fil. Je connais ce soupir, je connais chacune de ses mimiques.

Je les connais par cœur.

Ça doit être quelque chose de vraiment très grave.

– Ta mère...

Sa voix se brise, et je sens un frisson parcourir mon dos. Je sais que quelque chose ne va pas. Les mots se faufilent lentement, comme une litanie funèbre.

– Elle est partie, chérie. Elle s'est... elle s'est enlevé la vie. C'est ton père qui me l'a annoncé, il y a moins d'une heure.

Un vide immense s'ouvre sous mes pieds. Je claque le téléphone contre mon oreille, comme si ça pouvait faire disparaître ce que je viens d'entendre. Mon cœur s'arrête, puis redémarre dans un tumulte de douleur. Je me sens flotter, prise dans une tempête d'émotions où la colère côtoie la tristesse. Pourquoi ? Pourquoi ne l'ai-je pas vu venir ? Je scrute mes souvenirs, cherchant une réponse, une explication, quelque chose qui pourrait rendre cette réalité supportable.

Ma mère ne m'a pourtant jamais donné l'impression qu'elle pourrait...

Peut-être que c'est à cause de mon départ qu'elle a...

Ou alors elle ne supportait plus sa vie avec Papa...

Mes larmes coulent sans que je puisse les arrêter. Mon souffle devient erratique, chaque inspiration me déchire un peu plus. Le monde autour de moi se fige. Les murs du salon semblent se resserrer autour de moi, prêts à m'écraser, moi, ainsi que ma douleur.
Mes yeux piquent, je me sens entièrement submergée par des sentiments négatifs.
Moi qui étais si heureuse d'annoncer ma grossesse, tout est gâché... Mon bonheur est gâché...

Je suis comme prisonnière de ma peine, esclave de mon deuil.

À bout de souffle, je laisse tomber mon téléphone et m'effondre contre Alec. Sa présence est comme une bouée de sauvetage dans cet océan de chagrin.

– Sabie, regarde-moi...

Le temps semble se dilater. Alec murmure en me tenant pour m'empêcher de me laisser glisser au sol.
Il me ramène un peu plus contre lui, et je me laisse aller, me blottissant contre lui comme une enfant en quête de réconfort.

Je lève la tête vers lui, me forçant à ouvrir les yeux pour le voir.

– Comment... Comment est-ce possible ?

Je cherche désespérément une réponse, mais je ne trouve que le vide.

Il prend mon visage entre ses mains, avec une douceur rare. Il la dirige lentement vers le creux de son cou, me permettant d'y blottir ma tête pour m'accorder un instant de repos.
Aiden, Memphis et Zack entrent dans le salon, les pieds qui traînent au sol et les mains dans les poches. Alec secoue la tête, leur expliquant gentiment et subtilement que ce n'était pas le moment pour eux d'intervenir. Les trois hommes font un signe de tête avant de rebrousser chemin vers l'étage.

– Je ne comprends pas, je ne comprends plus rien, Alec...

Je me sens comme vidée de toute émotion, incapable de ressentir cette peine qui était si vive à peine quelques secondes auparavant.
Comme si mon cerveau avait pris la décision de s'éteindre pour éviter d'avoir à endurer ce qu'il ne peut pas supporter.

                 Deux heures plus tard.

La respiration d'Alec est si calme, si paisible, comme s'il n'était pas surpris de cette effroyable annonce. Ou alors, peut-être garde-t-il son calme pour m'éviter de sombrer un peu plus.

– On ne comprend pas toujours pourquoi les choses arrivent. Ça fait mal, oh que oui, je le sais, crois-moi. Mais t'es pas toute seule, Sabie.

– Je... Je sais...

– Il y a moi, et il y a lui.

Dit-il en posant une main sur mon ventre. Son pouce glisse le long de ce dernier, avec tendresse et réconfort.

– Mais tu te rends compte... Je n'ai pas pu lui annoncer qu'elle allait être grand-mère, je ne pourrai jamais me réconcilier avec elle... Je ne pourrai même pas lui dire que malgré tout ce qui a pu se passer, je l'aimais toujours. Il est vrai que lorsque mon père me battait, lorsqu'il m'enfermait dans le jardin la nuit, car je lui avais désobéi ou encore qu'il me frappait à coup de règles, j'aurais aimé qu'elle intervienne... Qu'elle l'arrête.

—... Mais elle ne l'a jamais fait, Sabie.

Je suis toujours blottie contre lui, le cœur lourd et la douleur encore brûlante. Son regard perçant se pose sur moi, comme s'il pouvait lire chaque fissure de mon âme.

– Je ne m'en remettrai jamais, c'est juste trop... Trop dur, trop soudain, trop tout.

Il prend une profonde inspiration, ses mots sont chargés de sens, comme s'ils avaient été forgés dans le feu de son passé tumultueux.

– Écoute, Sabie. La vie, c'est pas un putain de conte de fées. Elle te balance des coups, et parfois, tu tombes. Mais tu sais quoi ? C'est pas la chute qui compte, c'est comment tu te relèves.

Sa voix rauque mais douce couvre les sanglots de ma grand-mère, toujours en ligne. Je n'ai même pas la force physique ou mentale pour raccrocher.

Je lève les yeux vers Alec, cherchant des réponses dans son regard.

– Comment je peux me relever, Alec ? Ma mère... Elle est partie. Je ne comprends pas.

Il se penche un peu plus près, sa présence imposante me rassurant malgré la tempête qui fait rage en moi.

- T'as pas à comprendre tout de suite. Laisse toi du temps. Mais souviens-toi, le chagrin, c'est comme une cicatrice. Au début, ça fait mal comme un démon, mais avec le temps, ça devient une partie de toi.

Affirme-t-il, en me fixant.

Je frémis à ses mots, un mélange de douleur et de force.

– Est-ce que tu sais de quoi tu parles ?

Un sourire amer se dessine sur ses lèvres.

– J'ai vécu l'enfer, Sabie. Mais ce que j'ai appris de tout ça, c'est que chaque cicatrice raconte une histoire. Et la tienne, ça ne sera pas la fin. Ça sera le début d'un nouveau chapitre.

Je hoche la tête.

– Mais je me sens si seule.

— T'es pas seule. T'as besoin de pleurer ? Pleure. T'as besoin de crier ? Fais-le. On va traverser ça ensemble.

Répond-il avec fermeté, serrant ma main dans la sienne.

Je me redresse légèrement, osant regarder dans ses yeux.

– Et si je tombe à nouveau ?

Il sourit.

– Alors je te relèverai, encore et encore. Par ce que dans ce monde, on est des guerriers, pas des victimes. Et les guerriers, ils se battent, même quand ça fait mal.

On est des guerriers, pas des victimes...

Je te reconnais bien là, mon Alec.

Je sens une étincelle de force naître en moi, une petite lueur dans l'obscurité.

– Tu crois vraiment que je peux être forte comme ça ?

– Je sais que tu peux. T'es ma guerrière, Sabie.

– Alec... Je ne sais pas ce que je ferai sans toi...

– Tu ne dois jamais le savoir. Par ce que je suis là, et j'bougerai pas. On va écrire notre propre histoire, nous, avec notre bébé. Et ensemble, on va faire face.

PDV Alec :

Voir ses yeux se remplir de larmes, j'ai détesté ça.

J'ai détesté la voir pleurer.

J'ai détesté voir son si beau visage être saccagé par la douleur.

Et je me déteste de l'avoir fait vivre comme une fugitive depuis tant de temps. Si elle avait pu revoir sa mère, juste une fois, peut-être que rien de tout ça ne serait arrivé.

Mais si je l'avais laissé là bas, j'aurais signé son arrêt de mort.
Son père l'aurait fait payer le prix fort pour m'avoir choisi moi plutôt que le destin tout tracé qui lui avait été imposé.

« Il m'enfermait dans le jardin la nuit. »

« Il me battait. »

Comment peut-on faire ça à son propre enfant. Putain.

Sabie aussi a souffert, on n'est peut-être pas si différents que ce que je pensais.
On est deux écorchés. Mais on s'en sort comme on peut.

– Je suis épuisée...

Je ramasse le téléphone de Sabie, qui était toujours au sol, et le lui pose près d'elle.
Sa grand-mère est toujours en ligne, je crois bien qu'elle non plus n'avait pas la force de raccrocher. Elle voulait être là pour Sabie.
Elles échangent quelques mots de soutien avant que Sabie raccroche, les yeux encore humides de larmes. Son visage est devenu si pâle que je peux à peine la reconnaître.

– Repose-toi sur moi.

Son récit tourne en boucle dans ma tête. Elle n'était qu'une petite fille, elle ne pouvait pas se défendre.

Et il le savait. Son père le savait.

Personne ne mérite d'être maltraité par ses propres parents, personne.

– Merci...

Murmure Sabie, la voix faible et cassée.

Elle se recroqueville contre moi, glissant une main dans mes cheveux et l'autre sur mon bras. Ses doigts suivent les contours des tatouages sur ma peau, une action qu'il lui arrive souvent de faire lorsque nous ne sommes que tous les deux.

– Tu veux que j'aille te chercher Suzar ? Ou un truc à manger, à boire ?

– Suzar doit être en train de s'amuser, laisse-le... J'ai juste besoin d'être dans tes bras, pour l'instant...

Parfois, j'me demande...

        
         Est ce qu'on sera heureux un jour ?

Est-ce que ce bébé sera heureux avec nous ?



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