Chapitre XIV. L'éveil du marécage.

D'un pas déterminé, Ignea s'arrêta face à Alaster. Celui ci la jaugea du regard avant de baisser les yeux sur le gros chien qui l'accompagnait. Revenant au visage froid de sa Dame il demanda :

<< Alors qu'as-tu relevé de ton inspection ?

- À quoi bon te le dire ? Je suis persuadée que tu le sais déjà.

Il haussa d'un sourcil et un étrange grognement naquit dans sa gorge. Bien sûr qu'il le savait. Il savait toujours tout. N'était-il pas le seigneur de cette terre désolée ? La jeune femme leva les yeux au ciel. Comme il ne semblait pas vouloir se donner la peine de lui confirmer ce qu'elle savait déjà, elle énonça d'un ton neutre :

- Tout d'abord il n'y a plus un seul corbeau spectral sur Atralean. Le dernier est mort entre mes mains. Deuxièmement, le niveau de l'eau du marais a augmenté. Les rives sont innondées. Troisièmement, les étranges remous et l'agitation des âmes damnées. Je te signale que certaine d'entre elles s'en prennent aux habitants du marais. Et dernièrement il y a ces choses.

- Ces choses ?

- Tu sais de quoi je parle Alaster.

- Effectivement je le sais.

Il plongea ses yeux fauves dans ceux de son amante. Elle entrouvrit la bouche pour répliquer quelque chose mais il l'en empêcha, lui attrapant brusquement le bras et la trainant derrière lui, pour l'emmener dans un couloir plus sûr.
Agacée de tous ces secrets, Ignea se dégagea de la poigne de la bête d'un geste brusque et l'obligea à lui faire face.

- Ça suffit ! Dis moi la vérité.

- Est-ce un ordre que tu me donnes là ?

Sa poitrine se souleva alors qu'elle prenait une grande inspiration. Elle se contenait, Alaster le voyait à son regard qui brillait, et ses traits si crispés. La jeune femme lâcha :

- Oui, c'en est un. Que comptes-tu faire ? Me punir peut être ? Me combattre, me blesser ?

Le seigneur d'Atralean ricana. Elle était si hargneuse, si orgueilleuse...

- Je pense que te dire la vérité serait un bon début.

Elle se détendit immédiatement alors qu'il s'approcha de son amante. Et d'une voix grave et basse, il lui murmura :

- Ce qu'il se passe, très chère Ignea, c'est que le marécage est en train d'être tiré de son profond sommeil. Et bientôt, d'ici peu, il sera réveillé.

La Dame du Marécage interrogea alors, sa curiosité piquée :

- Que se passera t-il alors ?

- Lorsque le marécage sera complètement éveillé, il commencera à prendre de l'ampleur et empiètra sur le monde des humains. Les hommes ne pourront réagir. Et alors le monde entier sera pris dans les marais malfaisant.

- Est-ce une si mauvaise chose ?

Le seigneur ne pu s'empêcher de ricaner bien que son amante soit restée calme.

- Ce marécage contient trop de mauvaise chose. Il y a un équilibre qui régit en ce monde. Si jamais cet équilibre venait à se rompre, ce serait une sorte d'apocalypse. Ce serait comme si l'enfer se déversait sur Terre. Nous même n'y survivrons pas.

- Tu es le fils du marécage, il ne te fera rien.

Alaster leva les yeux sur sa Dame. Le fils du Marécage... Voilà longtemps qu'on ne l'avait pas appelé ainsi. Ce surnom venait du fait qu'il était le premier. Il n'avait pas été damné, ni rien. Il a toujours vécu dans le marécage et ce depuis des millénaires et des millénaires, regardant cette cour se former autour de lui et le marécage dicter sa loi.

- Peut être bien, cependant... La malédiction est plus compliquée que cela.

- Ce n'est pas la première fois n'est ce pas ? Atralean s'est déjà réveillé.

Ce n'était pas une question. Elle se raidit et la bête cru même lire de l'inquiétude dans son regard. Ce n'était qu'une impression. La Dame demanda précipitamment :

- Qu'est ce qui l'a arrêté ?

- Atralean est comme un dieu. Il exige des sacrifices en échange de son sommeil.

Les pièce du puzzle s'assemblaient, prenaient forme.

- Quand a eut lieu le dernier éveil ?

- Il y a huit cents ans.

Ignea comprit soudain.

- La Dame du Marécage. C'est elle qui apaise le marais. C'est elle qui se sacrifie... Voilà pourquoi il est si important que tu en ai une !

Alaster sentit l'esprit de sa Dame s'embrumer tandis que son visage se fermait. Elle digérait l'information. Il lui attrapa le menton et la força à lever la tête.

- Le problème est, ma chère Ignea, qu'avec toi, les choses se compliquent. Disons que je n'aime pas céder ce qui m'appartient à d'autre. Ce qui est à moi reste à moi. Je ne prête pas mes jouets.

- Même pour la sécurité du monde ?

Le ton qu'avait employé Ignea était légèrement ironique. Bien qu'elle soit habituée, elle n'avait sûrement pas apprécié d'être considérée comme un jouet. Le rire d'Alaster résonna.

- Ma belle, crois tu vraiment que je me soucie tant que ça du monde ? Mais nous trouverons une solution pour éviter l'Apocalypse tout en me permettant de te garder.

La Dame secoua la tête, conciliante, cependant elle n'était pas sûre qu'une autre solution puisse exister. Un froid glacial prenait petit à petit possession de son corps. Un froid qui était accompagné par la colère d'avoir encore et encore à se battre. De ne pas être libre. Mais avant qu'elle ne puisse parler, il reprit :

- Le deuxième problème est directement lié à toi. Tu es puissante. Ta puissance enivre le marécage. C'est comme si... Il t'aimait. À sa manière. C'est une étrange façon de le dire mais les liens qu'il a avec toi ressemblent à ceux que nous partageons. Il te considère comme sa propriété, sa Dame. C'est pour cela que tu ne risques pas de mourir noyée. Pas si il ne l'a pas choisit. Et je crains qu'il ne te veuille pour lui tout seul. C'est pour cela que la situation est compliquée.

- Si je comprends bien, tu ne veux pas laisser le marécage m'emporter mais lui non plus ne le veut pas. Sans vouloir t'offenser, je suis légèrement perdue. Et tout cela... tout cela rajoute une malédiction au panier. Comme si je n'en avais pas déjà eut assez. À croire que le monde entier est contre moi. Tout ce que je peux dire...

Elle chercha ses mots avant d'abandonner. L'amertume se lisait sur son visage émacié.

- Tu pourras compter sur mon aide dans tes recherches. D'autant plus si ma survie en dépend.

Ignea grimaça. L'avenir s'annonçait bien trop mauvais. Et tout aussi sombre que le passé. Des hommes qui l'aimaient à leurs manières, elle en avait connu. Le premier étant son mari qui n'hésitait pas à la battre, à la rabaisser et à l'enfermer. Et puis enchaînaient le marécage et son seigneur. Alors, prenant une grande inspiration, elle lâcha :

- Il n'y a plus qu'une chose à dire : Espérons que notre règne soit long...

Alaster laissa échappé un rictus amusé. C'était la phrase qu'il lui avait soufflé voilà des centaines d'années lorsqu'elle l'avait rejoint sur le trône. Son étrange fourrure s'hérissait. Il souffla à l'oreille de sa dame qui frémit et sentit un courant brulant parcourir ses veines :

- Réellement, je comprends le marécage. Qui ne serait pas envoûté par toi...? >>

Elle se recula immédiatement. Ils se toisèrent du regard. La rage chez l'une, la monstruosité chez l'autre. L'envie de briser des chaînes et celle de posséder.
Ces deux énergies négatives se ressentaient par une tension insoutenable entre le couple maudit.
Une tension qui augmentait, chargeant l'air d'électricité. Une tension qui virait de la hargne au désir.
Car subitement, comme animés d'une même volonté, ils se jetèrent l'un sur l'autre et au moment même où leurs lèvres se frolèrent, un éclat puissant jaillit de leur deux corps et les sceaux posés sur eux explosèrent.
La magie œuvrait.
Les os du seigneur d'Atralean craquèrent. Sa fourrure et sa carrure de monstre disparaissaient et un visage encadré de boucles d'ambres et aux traits incroyablement sublimes apparut. La créature laissait place au plus bel homme que la terre eut porté. Ses yeux de la même couleur que ses cheveux scintillaient étrangement. Sa carrure athlétique et pourtant humaine contrastait énormément avec la bête qu'il avait été quelques secondes auparavant. Alaster se transformait en un jeune homme à la beauté époustouflante
Et en même temps, la jeune femme avait délaissé son apparence cadavérique pour redevenir la « Belle de Nuit », ses cheveux noirs retombèrent sur ses épaules gracieusement et ses yeux retrouvèrent leur teinte verte si envoutante.

La malédiction qui les frappait, la malédiction qui les tourmentait se levait enfin, le temps que quelques baisers.

Soudain elle recula de quelques centimètres et chancela. Seul les bras de son compagnon la retenaient. Le jeune homme décala une mèche de cheveux noire qui cachait les yeux de son amante avant de les lui caresser tendrement. Ignea passa ses bras autour du cou d'Alaster et répondit avec passion au baiser que lui offrait le seigneur d'Atralean avant qu'il ne l'attire encore plus à lui, entourant de son bras la taille fine de la jeune femme.
Alors n'écoutant plus que son instinct, il la souleva du sol avec puissance et la serra contre lui. Elle enroula ses jambes autour de sa taille tandis qu'Alaster porta sa Dame jusqu'à leur chambre.

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