- his pain -

« Noona, je t'en prie. »

Je n'ai pas réussi à dormir, cette nuit là.
Je revoyai sans cesse la panique dans ses yeux.

« Tu sais que je ne le te demanderai pas si ce n'était pas quelque chose d'important. »

Je la suivais depuis un bon quart d'heure à travers les couloirs.
Excédé, j'ai fini par attraper son bras.
Elle s'est retournée.

« Mais écoute moi bordel !

— Tu es déjà sorti hier, Jungkook. Et après l'heure autorisée. Je crois que j'ai déjà toléré beaucoup de choses. C'est toujours comme ça avec toi, on te donne la main et tu nous bouffes le bras.

— Pitié. »

J'ai rapidement senti les larmes me monter aux yeux tant je m'inquiétais depuis la veille.
Le stress et la fatigue me rongeaient.

« Je suis désolée, mais je ne peux pas te laisser faire ça. »

Je l'ai regardée dans les yeux quelques secondes puis, voyant qu'elle n'était pas décidée à changer d'avis, j'ai dit :

« Très bien. Alors ne m'aide pas. »

Je suis parti.

« Jungkook ! Où est ce que tu vas ?

— Chez Jimin. »

J'ai dévalé les escaliers jusqu'au rez-de-chaussée et je suis sorti par la porte arrière avant qu'elle ne me rattrape.
J'ai escaladé la grille, et je suis parti.
La facilité avec laquelle n'importe qui pouvait s'échapper de cet hôpital m'a effrayé un instant.
J'ai ignoré les autres infirmières qui m'appelaient.

Je suis rapidement arrivé jusqu'à son quartier, parfois en courant quelques secondes, mais je m'arrêtais en passant près d'autres personnes, pour ne pas paraître cinglé.
C'est quand j'ai réalisé que je l'étais que je me suis réellement mis à courir.

Lorsque je suis enfin arrivé devant la porte, je me suis figé.
Ça me faisait peur.
Vraiment peur.

Ce qui se dégageait de cette maison était totalement différent depuis que j'y étais entré.

La veille, elle paraissait banale, urbaine.

Je ne comptais plus les fois où j'avais essayé de l'appeler pendant la nuit, pour, finalement, toujours tomber sur son répondeur.

J'avais peur de ce qu'il se passait réellement dans cette maison.

Je me passais et repassais sa réaction en boucle, et plus je le faisais, plus je me disais que ce n'était pas nouveau, et que ça devait même être récurent.

Est-ce que j'aurais dû appeler les flics ?

« Jungkook ? »

J'ai tourné la tête.
Il était là. Il venait de sortir de la ruelle juste à côté de sa maison, les mains dans les poches, le visage assombri par une capuche. Il n'avait toujours pas quitté sa veste en cuir, qu'il avait mise au dessus d'un gilet à capuche noire.
J'ai voulu lui dire quelque chose, mais il a renchéri, d'une voix exténuée.

« Tu ne devrais pas être là. »

Il est passé devant moi, prêt à rentrer chez lui.

« Jim-

— Va-t-en. »

J'ai ignoré mon ego blessé et j'ai attrapé son bras.

« Jungkook, arrête. »

Je l'ai tiré face à moi.
Il a essayé de se dégager, mais j'ai pris son autre bras.

« Jimin.

— Lâche moi putain. »

Il se dégageait sans cesse, et je le rattrapais chaque fois.

« Tu peux pas te mêler de ton cul, pour une fois ?! »

Je ne l'ai pas lâché.

« Arrête ! »

« ARRÊTE ! »

Sa voix s'est brisée.
Il a baissé la tête.

« S'il te plaît... Ne rend pas ça plus difficile. »
a-t-il prononcé d'une voix basse, à peine audible.
Il a arrêté de se débattre.

Je ne l'ai pas lâché.
Je ne pouvais plus le lâcher.

Mon regard s'est posé sur une supérette un peu délabrée juste en face de sa maison, puis j'ai eu une idée.

« Attends-moi là, je reviens. »

Je l'ai lâché, et je suis parti.
Il aurait pu partir, ce jour là, mais lorsque je suis revenu avec une bouteille de Jack Daniel's dans la main, il n'avait pas bougé.
Je suis revenu face à lui, et j'ai levé la bouteille devant son visage.
Il n'a pas pu s'empêcher de rire tristement.


On s'était alors retrouvés assis dans l'herbe, côte à côte mais un peu loin l'un de l'autre, face à un skate park.
L'air et le bruit des planches qui roulaient contre les rampes étaient agréables.
Il avait les yeux rivés face à lui, alors je lui ai tendu la bouteille, et il m'a enfin regardé. Il l'a prise, et a de nouveau regardé l'horizon. J'ai fait de même.

« Où est-ce que t'as trouvé cinquante balles ? A-t-il lancé le premier.

— J'me prostitue.

— Comment tu l'a convaincu de te la vendre ? »

Je n'avais que dix-sept ans.

« J'lui ai juste dit que c'était pour revoir le sourire d'un ami. »

Je l'ai entendu sourire, puis on s'est regardés.

« Un ami, hein ? »
m'a-t-il dit sans me quitter des yeux.

A ce moment là, on a compris à quoi pensait l'autre en un regard.
Et vous aussi.

Je lui ai rendu son petit sourire, et j'ai de nouveau regardé le skate park face à nous.
Il y a eu un moment de silence, puis, du coin de l'œil, je l'ai vu bouger, et il s'est rapproché de moi, jusqu'à ce que son épaule rencontre la mienne.

Il a ouvert la bouteille puis en a bu trois ou quatre gorgées avant de me la tendre sans un regard.
Je l'ai prise, je l'ai regardé, et il a fini par enlever sa capuche, dévoilant un hématome faisant pratiquement la taille de sa joue.

J'ai senti mon ventre se serrer.
Il avait une teinte violette, bleue à quelques endroit, et une plaie en son centre.

Est-ce qu'un poing peut faire ce genre de blessure ?

Je me suis immédiatement senti coupable de ne pas avoir plus insisté pour rester, la nuit ou ça s'était passé. J'ai baissé les yeux en y repensant. J'aurais peut être même dû attendre toute la nuit au pied de cette putain de porte.

« Hé. » a-t-il dit fermement.

J'ai relevé les yeux.
Il ne me regardait même pas, mais il l'avait deviné.

« Ne commence pas à te sentir responsable de quoi que ce soit.

— J'aurais pu faire quelque chose.

— Bien sûr que non. » a-t-il dit dans un léger rire maussade avant de me regarder.

« C'est moi seul qui a pris la décision de m'interposer.

— Tu crois pas qu'il est temps de m'expliquer ? »

Il est resté à me regarder dans les yeux quelques secondes, avant de les baisser sur mes jambes.
J'ai compris pourquoi quand il a attrapé la bouteille qui était restée adossée à l'une d'elle.
Il en a bu quelques gorgées, comme s'il buvait le plus de courage possible.

« Autant faire simple et direct, ma mère aime un gars qui la frappe tous les soirs. »

Je n'ai rien dit pour le laisser continuer.
Je le regardais tandis qu'il gardait les yeux fixés sur le skate park.

« C'est pas mon père.
Mon père est pas si horrible que ça.
Il m'a seulement abandonné quand j'avais cinq ans, lui. »

Il a baissé les yeux, et ils sont tombés sur la bouteille entre ses mains. Il a soupiré.

« Bref. J'suis désolé de t'avoir fait vivre ça, t'as certainement plus important à penser.

— Jimin, sincèrement, ferme ta gueule. »

Il m'a regardé, surpris.

« Tu crois vraiment que je regrette d'avoir été là ?
Que j'vais oublier et te laisser vivre ça seul ?

— Arrête, perds pas ton temps avec quelqu'un comme moi.

— Tu veux que j'te frappe ?

— Vise l'autre joue au moins. »

Il a ri de sa propre connerie, et je n'ai pas pu m'empêcher de rire.

« Ta gueule, t'es con. »

Je l'ai poussé d'un coup d'épaule, et il riait toujours.
L'ambiance a fini par redevenir sérieuse.

« Il faut que tu lui parles.

— J'sais jamais comment aborder le sujet.
C'est pire qu'avant depuis hier.

— Pire qu'avant ?

— Elle sort plus de sa chambre. Ça a jamais été aussi violent.

— Et son mec ?

— Il est pas souvent là. »

Ce genre de sujet est toujours délicat, surtout pour moi à ce moment là, puisque je n'avais rien à faire dans cette histoire.

« Va la voir, Jimin.

— Mais-

— T'es son gosse. Elle t'écoutera, même si elle n'en donne pas l'impression.

— Tu crois ?

— T'sais, j'pense que, en général, elles acceptent la violence pour protéger leurs enfants, et rien d'autre.
Ce qui s'est passé hier va forcément la secouer.
Si ça se trouve, elle reste dans sa chambre parce qu'elle se sent coupable de ce qu'il t'a fait.

— Hum...

— J'peux pas le faire à ta place, y'a que toi qui peut l'aider à se sortir de là. Et seulement l'aider, parce qu'il faut d'abord qu'elle veuille s'en sortir pour pouvoir y arriver.

Et si rien ne change ?

— C'est une possibilité, mais tu le sauras seulement en y allant. Peut-être que ce sera trois fois pire, ou trois fois mieux, mais au moins, si ça finit mal, t'auras essayé et tu pourras pas t'en vouloir de ne pas être allé vers elle. Et si ça finit bien, t'auras sûrement sauvé la vie de ta mère. Ça n'a pas de prix, un parent. » Ai-je conclu en lui lançant un regard.

J'ai vu qu'il avait remarqué l'émotion dans la dernière phrase, mais il n'a rien dit, et a simplement souri.

« J'savais pas que t'avais des talents cachés de psychologue.

— Comme quoi, mon psy sert enfin à quelque chose. »

Il a de nouveau ri, et ça me faisait un bien fou.

« Tiens. »

Il m'a tendu la bouteille.

« J'en ai bu trois fois plus que toi.
Bois en avant que je la finisse. »

J'ai pouffé.

« Alcoolique. »




Et puis, tout s'est accéléré.

« Jungkook ? »

Je l'ai à nouveau regardé.
Il me fixait intensément, inquiet.

« Ton nez. »

J'ai mis du temps à réagir puis, j'ai glissé mon doigt sous mes narines, et je l'ai vu recouvert de sang.

« Jungkook ? Hé, parle, dis quelque chose.

— J'crois... Que je devrais rentrer.

— Je t'accompagne.

— Non, va voir ta mère.

— La ferme, j'vais jamais te laisser repartir comme ça. »

Je me sentais mal.
Pas parce que je saignais du nez, mais parce qu'il me voyait faible.
Parce que la seule réalité que j'avais toujours voulu lui cacher revenait et me foutait une grosse claque en pleine gueule.
J'ai été incapable de le regarder pendant le trajet. Plusieurs fois, il a voulu prendre mon bras, mais j'ai refusé chaque fois.
Mes pensées étaient plus tournées vers ce qu'il pensait de moi plutôt que sur mon état de santé, vous savez.
Il était devenu plus important que moi même.

Lorsqu'on est entrés dans l'hôpital, on est directement tombés sur Moonbyul qui a accouru en me voyant dans cet état.

« Merde, Jungkook, qu'est ce que t'as encore fait ?

— Ça va, c'est bon. »

Mais à l'instant où je l'ai dit, ma tête s'est mise à tourner.
Moonbyul m'a traîné jusqu'à l'une des chaises en face de l'accueil.

Jimin était toujours là, un peu à l'écart, n'osant ni dire ni faire quoique ce soit, son bras tenant l'autre contre sa poitrine.
Je ne l'ai pas regardé plus longtemps.

J'ai baissé la tête, posé le dos de ma main sur mon front et fermé les yeux pour tenter de me calmer.

« Jungkook ?!

— Ça va je t'ai dit, ne t'inquiète pas. »

Une autre infirmière est passée et, en nous remarquant, elle s'est approchée. Moonbyul lui a demandé de me surveiller pendant qu'elle appelait le Dr Han, et elle s'est éclipsée tandis que l'autre infirmière me donnait un mouchoir.
Je l'ai vaguement remerciée.
J'entendais les quelques mots que Moonbyul adressait à son téléphone un peu plus loin.
Je ne l'avais jamais vue autant paniquée.
Elle est rapidement revenue.

« Je suis désolé Jungkook mais, il va falloir que je t'emmène à l'hôpital.

— Tu-

— Oui, je sais que tu détestes ça, mais aujourd'hui, s'il te plaît, tais toi et laisse nous nous inquiéter pour toi. »

Je n'ai rien répondu, surpris qu'elle comprenne ce que je n'avais jamais dit.

Tout s'est très vite enchaîné.
J'ai vu l'autre infirmière s'avancer vers Jimin et lui parler tandis que je partais avec Moonbyul vers la porte arrière.

Lorsque je suis parti, j'ai su qu'il ne m'avait pas quitté du regard, mais je gardais pitoyablement la tête baissée pendant que Moonbyul me tenait par le bras.

Je me suis retrouvé aux urgences, et j'ai attendu.
Encore,
et encore.
Quand nous étions arrivés, Moonbyul m'avait expliqué que, le Dr Han, ne pouvant pas être là, avait préféré m'envoyer dans
"de bonnes mains". Après ça, elle a prévenu ma mère, qui voulait débarquer dans la minute alors qu'elle travaillait de nuit, mais Moonbyul l'a convaincue de ne pas se déplacer, et lui a dit qu'elle l'appellerait régulièrement pour l'informer de mon état.

Nous n'avons plus échangé un mot durant deux heures, assis sur deux chaises côte à côte.
Tout d'abord parce que je n'en avais pas l'envie, et ensuite parce qu'elle le savait pertinemment.

Lorsqu'un infirmier est enfin venu nous chercher, j'ai été emmené dans une chambre, et un médecin est rapidement arrivé.
C'était une femme. Madame Kang.
Après avoir su la situation, elle a ordonné à l'infirmier de me faire une prise de sang, et il s'est exécuté.

« Nous aurons les résultats dans les environs d'une heure.

— D'accord, merci beaucoup, a dit Moonbyul.

— À tout à l'heure. » a dit l'infirmier avant de fermer la porte.

J'étais assis sur le bord du lit, toujours la tête baissée, et j'ai levé les yeux vers Moonbyul pour la voir s'avancer vers moi, les bras croisés.
Elle les a décroisés en s'asseyant à mes côtés, et j'ai de nouveau regardé mes doigts qui se tordaient nerveusement.

« Tu aides les gens à se sentir mieux, mais, quand est-ce que quelqu'un t'aide, toi ? »

Je n'ai rien répondu.

« Tu as aussi le droit de te sentir mal, Jungkook.
Toi aussi, tu peux craquer. »

Une nouvelle fois, j'ai rapidement senti les larmes me monter.
Tout s'accumulait, et l'endroit où je me trouvais n'arrangeait en rien la manière dont je me sentais.

J'avais l'impression d'étouffer sous ce que je ressentais.

Alors j'ai nerveusement ri, et puisqu'elle me connaissait, elle m'a pris dans ses bras d'elle même, parce qu'elle savait que j'en avais besoin mais que je ne le demandais jamais.

Ma voix s'est brisée lorsque je me suis excusé.
Je ne savais pas pourquoi je le faisais.
Peut être pour ce que j'avais fait le jour même,
ou alors pour mon comportement en général.
Peut être que je m'excusais de ne jamais me confier,
de sourire lorsque je n'en avais pas l'envie.
Je ne savais pas pourquoi, mais je le faisais.
Et alors, à cet instant, elle m'a dit quelque chose que je n'oublierai jamais.

« Je te pardonne. »

C'était simple, logique, même banal aux yeux de n'importe qui, mais elle comme moi savait ce qu'il signifiait réellement.
Elle ne m'a plus lâché la main après ça.
Même lorsque l'infirmier est revenu avec Madame Kang, une feuille entre les mains.
Elle a directement entamé la conversation d'une voix monotone, comme si j'étais le dernier de ses soucis et qu'elle récitait la même chose à longueur de journée.

« On a pu constater une anémie (une carence de globules rouges), mais il y a aussi eu une grosse diminution du taux de plaquettes, comme on s'y attendait. »

Elle a marqué une courte pause.

« Il faut que vous sachiez que c'est l'un des symptômes courant d'une rechute vers une leucémie aiguë. »

J'ai senti la main de Moonbyul se resserrer sur la mienne.

« Cependant, nous ne pouvons pas faire de diagnostic sûr avec une analyse de sang. C'est un examen qui se fait sous anesthésie locale, dans un centre d'hématologie spécialisé qui se trouve à une heure d'ici en voiture.
Vous pourrez vous y rendre dès demain matin, mais en attendant, je propose à Jungkook de rester ici cette nuit, au cas où quelque chose du genre se reproduirait.

— Je me sens capable de retourner à l'hôpital psychiatrique.
Je me sentirais beaucoup mieux là bas. » Ai-je sorti précipitamment.

Le médecin a lancé un regard à Moonbyul, qui était alors devenue ma responsable légale sur le moment.
Elle m'a regardé, je l'ai regardée, puis elle a de nouveau regardé Madame Kang.

« Je le ramène.

— Très bien, mais il vous faudra signer une décharge stipulant que vous allez à l'encontre d'un avis médical. S'il se passe quoi que ce soit, n'hésitez pas à appeler ou à revenir. »

J'ai attrapé ma veste et deux minutes après, j'étais déjà sorti.

J'avais l'impression de renaître chaque fois que je sortais d'un hôpital.
La voiture garée sur le parking d'en face m'appelait comme un échappatoire.
Moonbyul a sorti ses clés, les phares ont clignoté, et je suis entré.

Un silence de marbre régnait.

Elle s'est laissée tomber sur le siège conducteur.
Elle a profondément inspiré, et a soupiré, longuement, comme pour évacuer le plus de stress possible.
J'ai tourné la tête vers la fenêtre lorsqu'elle m'a regardé.






« ... Ça va ? » a-t-elle finalement lancé, hésitante.

Je n'ai rien répondu.



















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