Chapitre 1




Elle était là, assise dans un coin de l'escalier, les yeux clos caché sous une cascade de cheveux bruns. Personne ne lui avait prêté attention, elle était un grain de sable parmi tant d'autres. Aujourd'hui, c'était jour de marché, bouchers et poissonniers criaient de leurs étalages, tout ce bruit ne semblait pas la gêner car elle était calme et posée. Puis d'un coup elle s'est levée, les yeux baignés de larmes et elle avança, hésitante, jusqu'à la rivière. Elle regarda une dernière fois en arrière, puis elle enleva le foulard qu'elle avait autour du coup et se banda les yeux. Et, en perdant le sens de la vue, elle réveilla les autres, elle entendait maintenant les flots se déchainer sous ses pieds et le vent souffler dans ses cheveux. Puis elle expira une dernière fois et sans un bruit, elle sauta dans la rivière gelée.

Lorsque mon corps plongea dans l'eau, je fus envahie par des milliers de sensations ; de la tristesse, beaucoup de tristesse mais aussi de la colère, une profonde colère envers ce monde qui m'avait fait du mal, qui m'avait torturé jusqu'à me faire mourir. Et de la joie, une joie inexpliquée mais bien réelle, en fait je pense que ce n'était qu'une seule et même sensation, celle que seules les personnes comme moi peuvent connaitre et qui ne s'explique pas. Certaines personnes m'auraient traité de folle, d'autres auraient dit que j'avais du courage, d'autres que j'étais lâche ; certains auraient été beaucoup trop gentils, d'autres m'auraient collé une paire de gifles ou d'autres encore n'auraient rien dit, pétrifiés par l'acte.

Le marché n'avait été perturbé en rien, les poissonniers ventaient encore la fraicheur de leurs poissons, la foule glissait dans les rues bruyamment et les enfants embêtaient encore le vieux moustachu du coin qui lui, leurs criait dessus. La vie n'était pas devenue meilleur, les gens non plus et ils n'avaient pas remarqué la disparition de la jeune fille. Cela ne les inquiétait pas, ils étaient trop occupés par eux même. Pourtant tous les habitués du marché auraient pu vous dire que devant l'église Saint Martin, tous les jours, une jeune fille était assise sur les marches du parvis. Ils auraient pu vous dire qu'elle portait une robe noire sale, et un foulard rouge vif, et qu'elle avait de longs cheveux bruns. Son visage, personne ne savait avec exactitude à quoi il ressemblait car la belle avait toujours la tête baissé, caché par sa chevelure.

Il était là, debout dans le champ de bataille. Avec son arme pleine de sang à la main et son regard triste, il faisait peur à voir, il pleurait.

Il faisait partie des rares guerriers encore debout. Entouré de cadavres, il se battait contre un jeune homme du camp adverse, ce dernier était beaucoup plus jeune que lui et il y avait quelque chose de fragile dans son regard. Notre guerrier n'hésita que quelques secondes et puis, sépara sa tête du reste de son corps. Ce spectacle était affreux à voir, il y avait du sang partout. Tout cela ne le rendit qu'encore plus triste. Il se mit à marcher ou plutôt à tituber vers quelque part, il ne savait pas. Il marchait sans même voir ou il allait car sa vision était brouillée par les larmes qui montaient.

Alors que certains de mes compagnons agonisaient sur le champ de bataille, je décidais pour une fois de me sauver moi même plutôt que de jouer les héros. Je marchais sans voir ou je mettais les pieds, et donc parfois j'entendais des craquements horribles. Des os se brisaient sous mes pas. Des soldats gémissaient, certains appelaient à l'aide, les bruits des combats étaient encore là, le sol était couvert de cadavres. J'avais peur. Je tremblais, je tremblais tellement. C'était la plus horrible bataille que j'avais fait. J'étais blessé, je ne savais pas d'où mais je perdais du sang.

Je voulais m'éloigner de cet endroit de malheur, partir vite, et loin. Marcher sans s'arrêter était mon but. Plus j'avançais et plus mes pas devenaient difficiles.

J'aperçu une petite rivière qui passait à environ quatre kilomètres du drame. Et là, dans l'eau, une jeune fille. Elle était extrêmement pale, un foulard rouge bandait ses yeux. Elle aurait fait peur à n'importe qui, mais pas à moi, moi qui avais tant vécu.

Je la pris dans mes bras et la posa sur le rivage. Elle était vivante, elle respirait. Je ne savais pas quoi faire. Elle n'avait pas l'air bien vieille et elle me rappelait le jeune garçon que j'avais privé de vie. Elle avait l'air si fragile que je me remis à pleurer.

Il finit par l'emmener dans la forêt. Il la tenait comme si elle était un objet trop précieux pour le toucher. Il ne pleurait plus et ne gardait aucune trace de cette faiblesse. Ses tremblements aussi avaient cessés. Il marchait donc d'un pas assuré dans l'épaisse forêt boisée. Sa blessure saignait encore et ce sang dégoulinait sur le corps de la jeune fille. Ils découvrirent une petite cabane. Il déposa la belle sur le sol en bois de la vieille cabane.

Elle était belle. Elle était petite et très mince. Je me mis à essayer de deviner la couleur de ses yeux. Mais la douleur ne me permit pas de réfléchir trop longtemps. J'étais fatigué, je repensais à mes amis. Ces hommes courageux qui m'avaient accompagné pendant de nombreuses guerres. Assis sur un tabouret en bois, je me remémorais leur visage, les idées de chacun, leurs ambitions, leurs rêves. Je les connaissais très bien, j'étais leur commandant. Je n'avais pas le droit de les abandonner, j'avais juré pourtant. Mais quand la souffrance est trop présente, elle nous pousse à faire des choses inimaginables.

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