Chapitre 18 - Mia
Mia.
L'ambiance n'est plus du tout celle qui régnait près du lac. Le repas vient juste de se terminer et chacun s'attèle à une tâche dans la cuisine et sur la terrasse. Les discussions fusent et je ne les écoute pas vraiment en passant un coup d'éponge sur l'immense table en bois massif qui trône au milieu de notre extérieur.
Sophie est toujours chez Marc, qui est d'ailleurs quelqu'un de vraiment agréable. Je l'ai trouvé sympathique et il semble très amoureux de ma sœur. Elle sourit quand elle parle de lui et ses yeux pétillent quand elle le voit. Pour moi, c'est le principal. C'est agréable de la voir si heureuse, même si, ce soir, je m'ennuie un peu sans elle.
Quand je suis rentrée, ma mère m'a immédiatement envoyée sous la douche en me reprochant mon retard. Pourtant, et j'en suis étonnée, personne ne m'a demandé ce que j'ai fait cet après-midi. C'est sûrement grâce à l'excitation ambiante qui régnait à mon arrivée. Habituellement, elles m'auraient questionné vingt fois pour savoir où j'étais et pourquoi je n'étais pas à l'heure. Daphné m'aurait fait son célèbre regard suspicieux quand je lui aurais dit que j'étais avec Arthur, mais là elle est restée calme.
Trop calme.
À tel point que je me demande à quel moment, la soirée va déraper.
— Qui veut jouer au Monopoly ? s'exclame Léna, enthousiaste, en sortant de la maison.
— Si tu veux, dis-je en souriant.
— Sinon y'a le UNO, propose Claire.
— Vous n'avez plus ce jeu avec les trajets en taxi ? demande Arthur. Je l'aimais bien.
Je me tourne vers lui, étonnée. Du plus loin que je me souvienne, il n'a jamais voulu participer aux soirées jeux de société puisque c'est un très mauvais perdant. Et il trouvait toujours un moyen de s'éclipser avant le début.
— La bonne paye ? propose ma plus jeune sœur.
— Non, l'autre. Avec le plan de Paris, précise-t-il en passant une main dans ses cheveux.
— Je croyais que tu n'aimais pas ça, rigolé-je.
Il se contente de hausser les épaules en se tournant pour fuir mon regard.
— Je n'ai rien de prévu ce soir.
— Dans ce cas, c'est le TaxiFolie dont tu parles.
— Il est dans la chambre de Daphné, m'explique Léna.
Je fais un tour d'horizon et remarque que cette dernière s'est volatilisée. Quelque chose doit la perturber pour qu'elle quitte ainsi les lieux alors que nous avons des invités. Tout à coup, je me sens inquiète. Nous n'avons pas l'habitude de nous confier l'une à l'autre et notre relation est plus qu'instable, mais elle reste ma sœur, j'ai envie d'aller voir si elle va bien.
— Très bien. J'y vais, proposé-je. Profitez-en pour préparer la table du salon.
Je les abandonne et entre dans la maison pour me diriger vers le couloir qui mène aux trois chambres du rez-de-chaussée. Alors que Sophie et moi dormons à l'étage avec les parents, mes trois autres sœurs ont l'avantage d'avoir la leur à l'autre bout de la maison dans la dernière annexe construite il y a plusieurs années.
J'attrape la poignée de porte et prends une grande inspiration avant d'entrer. Elle va sûrement m'envoyer bouler, mais si je veux vraiment jouer mon rôle de sœur, je dois lui demander ce qui la tracasse, même si elle ne me répond pas.
— Daph' ? appelé-je en poussant le battant en bois.
Je me fige un instant devant le spectacle qui s'offre à moi.
Bordel si je m'attendais à ça.
Je suis vraiment une idiote. Je pensais voir ma sœur se morfondre sur son lit, et je la retrouve en petite culotte pendue au cou de Léo, torse nu. J'ai très envie de croire que c'est un malencontreux concours de circonstances, mais la mise en scène est équivoque, ils ne sont pas en train de faire un combat près du corps. Ou alors je ne connais pas ce nouveau sport.
— Merde ! s'écrit Daphné alors que Léo repose ses pieds par terre.
Elle fait un pas vers moi et s'entrave dans l'un des nombreux vêtements tombés à terre. Son compagnon de jeu tente de la rattraper alors qu'elle lui intime de la laisser tranquille et je me sens de trop dans cette pièce.
Je recule d'un pas et claque la porte, puis reste immobile dans le couloir. Je ne suis pas sûre de ce que je viens de voir. Est-ce qu'elle était vraiment en vrai de faire un collé-serré en petite tenue avec le frère de mon ex ?
Beurk.
C'est tellement glauque. Je grimace en imaginant qu'ils puissent aller plus loin et je secoue la tête pour me persuader du contraire. C'est tout simplement impossible.
Après une grande inspiration, je décide d'aller rejoindre les autres. Je ne sais pas encore si je dois le dire à qui que ce soit ? C'est leur secret et même si une partie de moi ne comprend pas, je n'ai pas envie de les blesser. Si mes sœurs l'apprennent, elles vont faire une syncope. Lorsque j'entre dans le salon, tous les yeux se tournent vers mes mains, vides.
— Et le jeu ? me questionne Claire.
— Ils... Je ne l'ai pas trouvé. Mais le UNO est juste là.
Je m'avance vers le meuble télé en fer et brandis le paquet de cartes en souriant exagérément.
— Ça te convient, Arthur ? lui demandent mes deux sœurs, assises sur la banquette autour de lui, en le fixant.
Le pauvre, il va être obligé de jouer seul contre la tribu Gomel. Il ne sait pas ce qui l'attend. Il me trouve peut-être compliquée à gérer, mais il n'a pas souvent affaire aux deux plus jeunes du clan. Ensemble, elles sont comme une énorme tornade et c'est impossible d'en sortir indemne.
Je m'installe sur un pouf face à eux et Léna s'applique à distribuer les cartes pendant que Claire débite à une vitesse folle toutes les règles du jeu à son voisin, complètement dépassé par la situation.
— C'est bon pour toi ? dit-elle, à bout de souffle.
— Euh...
— Ok Claire, tenté-je pour le sauver. On va faire une partie d'échauffement et Arthur dira s'il a des questions. Mais je ne pense pas que ce jeu lui soit inconnu.
Il me sourit et fait un mouvement de tête en signe de remerciement. Derrière lui, j'aperçois ma grande sœur qui s'approche, toujours aussi mal à l'aise qu'en début de soirée, mais cette fois je comprends mieux toutes les émotions que je lis dans son regard.
Je l'ignore quand elle s'assoit sur le fauteuil près du mien comme si de rien n'était. J'imagine qu'elle a demandé à Léo de ne pas revenir tout de suite pour ne pas éveiller les soupçons. Ils nous ont bien eus tous les deux avec leur dispute imaginaire.
Après une vingtaine de parties, Arthur a jeté l'éponge et décidé qu'il était temps pour lui de s'avouer vaincu pour aller fumer une cigarette sur la terrasse. Mes sœurs ont continué la partie, les parents sont partis se coucher et je suis dans la cuisine en train de me préparer une tisane.
J'ai repensé à Daphné et Léo toute la soirée et je ne suis pas sûre de comprendre ce qui se passe. Ce dernier est arrivé environ dix minutes après ma sœur s'excusant d'avoir mis si longtemps pour aller aux toilettes puis il a prétexté devoir se coucher tôt pour disparaître dans la foulée. Ils n'ont pas échangé un seul mot ni un seul regard. C'est à peine s'il a pris la peine de lui dire au revoir.
C'est trop d'informations pour moi. J'ai passé au crible toutes les réactions de ces derniers jours pour comprendre à quel moment ça a bien pu commencer, mais la vérité c'est que je n'en sais rien. Mais j'en suis arrivé à la conclusion que s'ils n'ont rien dit c'est sûrement qu'ils ont une bonne raison.
Une fois ma tasse fumante en main, je me dirige vers l'extérieur en passant devant mes sœurs qui ont continué la partie. Daphné me jette un coup d'œil gêné et je m'efforce de l'ignorer. Je fais coulisser la baie vitrée et Arthur se retourne vers moi alors que je fais un premier pas dans sa direction. Son sweat de l'équipe de piscine sur le dos, les cheveux en bataille, il souffle un nuage de fumée dans les airs.
— Tu as abandonné ? se moque-t-il.
— Non, j'ai fui.
Nous rigolons alors que je referme la porte et m'assois sur l'un des sièges du jardin. Il s'approche et s'installe en face de moi en me scrutant. À croire que c'est écrit sur mon front que j'ai quelque chose à confesser. J'ai beau y réfléchir et tourner ça dans tous les sens, je n'arrive pas à savoir pourquoi ça m'énerve autant.
— Qu'est-ce qui se passe ?
— Rien du tout, dis-je en essayant d'être le plus détendu possible. J'avais juste envie de boire une tisane. Je n'ai absolument rien à dire d'intéressant.
— Mia, gronde-t-il en me fixant.
— Je t'assure que ce n'est rien de grave.
Je tente de lui sourire pour le rassurer. Ses prunelles bleu océan me sondent et je résiste tant que je le peux encore. Je ne suis peut-être pas la personne la mieux placée pour lui parler de ça.
— Quelque chose te tracasse. Je le vois sur ton visage.
— J'ai juste vu quelque chose de perturbant, grimacé-je.
— Bah dis-moi, rigole-t-il.
— Non. Ce ne sont ni tes oignons ni les miens. Ça ne nous concerne pas.
Qui est-ce que j'essaie de convaincre ?
Il s'agit de son frère jumeau, donc peut-être qu'il est déjà au courant ? Dans ce cas, ça voudrait dire que je ne lui annonce rien et que je ne fais que parler d'un sujet secret avec une personne ayant déjà toutes les informations dont je dispose.
C'est n'importe quoi... Je n'y crois pas moi-même. S'il savait la moitié de ce que j'ai vu, il serait en colère, il ne parlerait plus à Daphné ou il serait en froid avec son frère. Ou peut-être même les trois à la fois. Pourtant il est comme moi il y a une heure, il ne semble pas voir l'évolution de la relation entre les deux amants. Enfin, j'imagine. À moins qu'ils soient en couple ? Plan cul ? Relation libre ? Je ne suis pas sûr d'avoir envie de savoir.
— Tu en as trop dit. Tu dois me le dire maintenant.
— Si je te le dis, promets-moi de le garder pour toi.
— Je te le promets.
Je continue de le regarder dans les yeux en essayant de trouver mes mots. Il faut qu'il l'apprenne en douceur.
— Je suis entrée dans la chambre de Daphné pour chercher le jeu et... Je l'ai surpris avec ton frère.
— Surpris comment ? dit-il en fronçant les sourcils.
Bon, il ne voit pas du tout où je veux en venir. Je ne sais vraiment pas comment faire. Je suis coincée, je vais devoir être plus explicite.
— Ils étaient sur le point de...
Il m'observe sans un mot, il ne semble pas percuter. C'est sûrement le déni.
— Roh ! Fais un effort. Essaie de comprendre.
— Comprendre quoi ?
— Je ne vais pas te faire un dessin, dis-je en gigotant sur la chaise, mal à l'aise.
— Ils couchent ensemble ? demande-t-il avec sa voix rauque.
— Il semblerait, oui... dis-je timidement. En tout cas, ils étaient bien partis pour.
— Ça explique beaucoup de choses, soupire-t-il en lâchant la fumée de sa cigarette.
— C'est tout ce que ça te fait ? m'indigné-je.
C'est tellement bizarre, je suis abasourdie par ce que je viens de voir et je pensais qu'il aurait la même réaction.
— Moi, ça m'agace un peu. Apparemment, notre relation ne les a pas dissuadés d'essayer.
À seize ans, être en couple avec l'un des fils du meilleur ami de mon père semblait être une merveilleuse idée. On se voyait tous les jours et tout s'est fait très naturellement. Mais dès que nous nous disputions, l'ambiance aux repas était glaciale, et notre rupture a laissé un goût amer à tout le monde. Entre nos tentatives laborieuses pour s'éviter et les bagarres en fin de repas, on ne peut pas dire que c'était joyeux.
— Si tu veux mon avis, c'est que du cul, grogne-t-il. Ça finira moins mal que nous.
La lumière provenant de l'intérieur marque son profil, il semble pensif et regarde l'obscurité. Sa mâchoire serrée et ses yeux plissés me montrent qu'il n'est pas si détaché face à la situation, ce qui me rassure un peu. En le regardant, je repense à la discussion qu'il a voulu avoir plus tôt dans la semaine, celle à propos de notre rupture où je me suis enfuie comme une voleuse.
— En parlant de ça... je suis désolée pour ma réaction de la dernière fois, avoué-je en marmonnant.
C'était plus fort que moi. J'ai ressenti un vieux sentiment de panique m'envahir, celui que j'essaie de faire disparaître depuis des années et j'ai été incapable d'y faire face. Je touche frénétiquement la ficelle de mon sachet de thé, essayant de ne pas m'écrouler.
Je dois parler à la seule personne qui comprend, seulement Raph a été occupé toute la semaine entre Stella, les travaux de la maison de ses parents... Je ne lui en veux pas de profiter de sa copine, mais beaucoup de choses se sont passé et j'ai besoin de ses mots réconfortants.
— Je ne voulais pas te mettre mal à l'aise, m'explique-t-il. Seulement avoir une discussion.
— Je ne suis pas prête à en discuter avec toi tout de suite, mais... Tu as raison. Un jour, il faudra qu'on en parle.
— Je te laisserai le temps qu'il faudra alors.
Je lui en suis vraiment reconnaissante. Même après mon comportement bizarre de lundi, il n'a pas insisté et ce soir encore il se montre très compréhensif.
— Ce n'est pas seulement de ta faute si c'est merdique entre nous, continué-je. J'en suis consciente.
— Merci... Mais je sais que j'en suis grandement responsable.
Il me regarde droit dans les yeux, et il appuie sa déclaration d'un petit sourire triste. Nous l'aurons, cette explication, c'est une certitude, mais je veux d'abord trouver les mots justes.
— Je vais te laisser, dit-il pour mettre fin à cet échange. Je suis fatigué et demain nous partons tôt avec Léo.
— Vous allez où ? demandé-je, curieuse.
— Surfer entre frères.
— Génial, vous allez vous amuser.
— Je pense oui, baille-t-il en s'étirant.
Il se lève d'un seul coup et je reste immobile en le regardant ranger la chaise sur laquelle il était assis. Il jette son mégot dans le cendrier entre nous et commence à partir en me faisant un signe de la main que je lui rends avant d'avaler une longue gorgée de ma verveine.
Arrivé près de la porte, il s'arrête et se retourne.
— Mia.
— Oui ?
— Je suis content qu'on arrive à s'entendre tous les deux.
— Moi aussi, sourié-je.
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