Chapitre 14 (2ème partie) : Envolée

La journée passa plutôt vite pour Marie. Non pas qu'elle fut extrêmement attentive en cours. Elle fut même passablement distraite par tous les messages qu'elle reçut. Tous ces SMS, mêmes les plus brefs, lui procurèrent une série de petites joies qui, ajoutée à celle d'avoir enfin dix-huit ans, la mit dans l'humeur la plus gaie qui soit. Ses camarades de classe avaient préparé un gâteau qu'ils partagèrent à l'heure du goûter avec du cidre. Ils lui chantèrent un tonique « joyeux anniversaire » qui fit apparaître dans l'embrasure de la porte quelques têtes de professeurs qui joignirent leur voix au chœur.

Quand elle rentra chez elle et fila dans la salle de bain pour se préparer pour le dîner au restaurant, elle s'aperçut d'un coup qu'elle souriait et chantait toute seule de joie sous la douche. Elle se réjouissait d'avoir été fêtée par les uns et les autres. Seule ombre au tableau : un message de Sophie qui disait : « Sans la présence de ce satané Angel, je t'aurais souhaité un bon anniversaire. » Elle ne savait pas quel sens y donner. Etait-ce une tentative maladroite de rapprochement de la part de Sophie ou a contrario une déclaration officielle de rivalité autour d'Angel ? Elle l'ignorait mais elle ne voulait pas s'appesantir en ce jour sur une question et une situation pour lesquelles elle ne possédait ni réponse ni solution. Et puis elle était accaparée par des considérations autrement plus intéressantes au moment présent : elle voulait se faire belle. Puisqu'Angel la voyait belle et qu'elle le croyait, elle voulait lui offrir sa beauté en cadeau. Non pas qu'elle se prit soudainement pour une reine de beauté. Elle tenait toujours son physique en piètre estime. Mais tenter de se faire belle pour Angel, c'était une façon de consentir à son regard amoureux sur elle et une manière de lui dire que rien ne comptait plus pour elle.

Aussi, elle qui d'ordinaire portait pour seul maquillage un peu de gloss, davantage pour éviter les gerçures que par coquetterie, s'ourla-t-elle les cils de mascara, dont le noir fit ressortir par contraste le vert émeraude de ses yeux et les fit paraître encore plus grands et plus profonds. Elle détacha ses cheveux, qui tombèrent en une longue tunique ondoyante couleur de feu, magnifiant la teinte de sa peau diaphane et de ses yeux. Se regardant dans le miroir, elle sourit un instant à son image parce qu'elle se vit à travers les yeux d'Angel. Et quand elle sortit de la salle de bain, ayant revêtu une jolie petite robe noire, son petit frère s'exclama :

- Waouh ! T'es trop belle !

Un peu plus tard, elle eut droit aux compliments de ses parents, sa mère lui disant qu'elle était magnifique et son père, à quel point il était fier d'avoir une fille comme elle.

Lorsqu'ils arrivèrent au restaurant, un établissement parisien étoilé, Angel les attendait déjà à la table qu'ils avaient réservée. Dès qu'il aperçut Marie, il se leva et vint l'accueillir, ne la quittant pas des yeux tandis qu'il s'avançait vers elle. Son regard brillait d'un éclat particulier et il sembla même à Marie que son corps entier se mit à scintiller lorsqu'il s'approcha d'elle. Il avait troqué son habituel T-shirt noir contre une ample chemise blanche de peintre qui rehaussait son perpétuel teint mat. Il en avait laissé défaits les trois premiers boutons, donnant à voir un triangle caramel et lisse de sa peau. Marie en frémit. Arrivé à la hauteur de cette dernière, il saisit sa main droite, qu'il porta à sa bouche pour y déposer un délicat baiser. Les clients du restaurant autour d'eux suspendirent un instant leurs conversations ou leurs gestes, surpris par la beauté et le magnétisme de ce couple resplendissant.

Sans lâcher la main qu'il tenait, il mena Marie jusqu'à la table, recula sa chaise pour la faire assoir. A son tour il s'assit et dit :

- Tu es très belle.

Avec tact, il ajouta en se tournant légèrement vers sa mère :

- Et je sais d'où te vient ta beauté.

La mère de Marie le gratifia d'un beau sourire et son père, pour marquer son approbation, posa sa main sur celle de sa femme.

Après qu'ils eurent passé commande et porté un toast avec leurs coupes de champagne en l'honneur de Marie, la conversation s'engagea et le charme d'Angel opéra. Bien qu'elle pariât sur l'habileté de ce dernier, Marie avait un peu redouté l'instant où ses parents, mus par une curiosité justifiée, lui poseraient des questions personnelles. Mais Angel s'en sortit avec brio, sans jamais trop en dire ni mentir, sans se départir de sa calme assurance et de son sourire.

- Vous faites quoi dans la vie ? demanda le père.

- Je travaille pour mon Père, répondit simplement Angel.

- Ah très bien, et que fait votre père ?

- Il s'occupe de nombreuses affaires. Des affaires de bienfaisance.

- Un mécène ?

- Oui une sorte de mécène, approuva Angel.

Un peu plus tard, la mère s'enquit des études qu'il avait suivies :

- J'ai été éduqué par des précepteurs, répondit-il.

- Par des précepteurs ? reprit la mère étonnée.

- Oui, je suis né et j'ai passé toute mon enfance en Louisiane. Mes parents y avaient une plantation. Ils ont confié mon éducation à des précepteurs.

- C'est en Louisiane que vous avez appris le français ? poursuivit-elle.

- Oui, ma mère était d'origine française.

- « Etait » ? se permit de demander délicatement la mère de Marie.

- Elle est décédée.

- Je suis désolée, ajouta-t-elle sincèrement, imaginant Angel en jeune orphelin, sans se douter que cette pauvre femme mourut bien après avoir eu la douleur de perdre son fils de vingt-cinq ans.

Angel ne la détrompa pas. Le léger malaise créé par ce « elle est décédée » permit que les parents de Marie ne se risquent pas à une inquisition plus soutenue. Ils se contentèrent des quelques éléments déjà recueillis sur ce garçon qui, de toute façon, leur plaisait déjà beaucoup et dont ils voyaient bien qu'il était sincèrement épris de leur fille.

Le reste du dîner se déroula dans une ambiance pleine d'allégresse où chacun goûta simplement le plaisir de la présence des autres et d'une conversation pétillante à bâtons rompus.

Au moment du dessert, la mère de Marie lui offrit son cadeau. C'était une paire de boucles d'oreilles : des dormeuses avec deux jolies perles de culture entourées de petits brillants. Elles avaient appartenu à l'arrière-grand-mère de Marie ; sa grand-mère et sa mère les avaient reçues à leur tour pour leur majorité. Cette dernière était ravie de perpétuer ainsi la tradition, en transmettant ce bijou de famille à Marie. Celle-ci, lorsqu'elle ouvrit le coffret à bijoux et reconnut ces jolies boucles d'oreilles qu'elle avait toujours beaucoup aimées, fut saisie par l'émotion. Emue que sa mère, qui avait peu de bijoux, lui fasse ce don précieux ; émue par la symbolique du geste : il lui semblait que par cette offrande les femmes de sa famille, de mères en filles, se passaient quelque talisman, quelque flambeau qui disait : vas-y ma fille, c'est ton tour, ta vie d'adulte s'ouvre devant toi, sois heureuse. Marie se leva et vint serrer sa mère dans ses bras pour la remercier. Ensuite elle se hâta de porter les boucles à ses oreilles, puis de soulever légèrement ses cheveux pour montrer à chacun le résultat. La finesse du bijou se mariait à merveille avec celle de ses traits et le discret scintillement des brillants se fondait délicatement au chatoiement de sa flamboyante chevelure. Chacun loua de nouveau sa beauté.

Lorsque la dernière bouchée de dessert fut avalée, Angel ne tarda pas à dire :

- Vous permettez que je m'envole avec votre fille ?

Les parents de Marie acquiescèrent malgré leur envie de prolonger cette soirée avec leur fille chérie.

Angel serra les mains de Jules et de son père, fit un baisemain à la mère, avant d'entraîner vers la sortie Marie qui se retourna pour envoyer un baiser aux siens.


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