AMiES







Jane parcourait le jardin du regard. Les multiples buissons lui obstruaient la vue et limitaient ses mouvements, pourtant elle s'obstinait à vouloir s'enfoncer davantage dans ce qui lui semblait être aussi grand qu'une jungle pour ses yeux d'enfant. Elle sentait des branches s'accrocher à ses cheveux roux, mais elle s'en fichait. Elle se concentrait sur ce point blond qu'elle voyait au loin. Quand elle y parvint, elle trouva ce qu'elle cherchait. Ou plutôt la fille qu'elle cherchait.

Alice, le visage encadré par ses mèches blondes, lui fit un grand sourire pétillant de joie dont elle avait le secret. Ses yeux verts, si différents des yeux bruns et ternes de Jane, semblaient scintiller dans la pénombre du jardin. Elle prit doucement la main de Jane pour l'entrainer encore plus profondément dans les feuillus.

    - On y est bientôt, murmura-t-elle, tu verras, cet endroit est magique. On y reviendra demain, et aussi après-demain, et encore après, glissa-t-elle avec un sourire.

    Jane se contenta de serrer plus fort la frêle main d'Alice. Parce que ça avait toujours été comme ça. Alice menait et Jane suivait. Ensemble, elles échappaient à la réalité. Et ça lui allait très bien.

Jane n'aurait jamais pensé recevoir un coup de téléphone qui pouvait être angoissant et dévastateur. Pourtant, elle le reçut, ce coup de fil. Lorsqu'elle raccrocha le téléphone, Jane dut se rattraper à son bureau pour éviter de tomber à terre. Sa tête lui tournait, sa vision se brouillait et elle pouvait à peine distinguer les posters de groupes de rock qui ornaient sa chambre d'adolescente. Son estomac se serra douloureusement et son coeur ne semblait pas vouloir calmer sa cadence. Mais elle se redressa et parvint à gagner le hall d'entrée de sa maison, néanmoins à grande peine. Là, elle sentit les bras de sa mère la rattraper, et, sans qu'elle ne sache comment, elle se retrouva dans la voiture qui filait vers l'hôpital. Le trajet se fit dans un silence terrifiant, chargé d'inquiétude.

La voiture se gara à la première place trouvée et Jane suivit sa mère à l'intérieur du bâtiment. Elle alla s'asseoir à la salle d'attente pendant que sa mère parlait à la réceptionniste. La jeune fille essaya de calmer et de ralentir son pauvre coeur, mais rien à faire, la peur s'insinuait en elle comme un poison. Après quelques minutes d'attente douloureuses, elle rejoignit sa mère qui l'attendait et monta dans l'ascenseur. Puis, après avoir traversé un long couloir, elles se retrouvèrent devant la porte de la chambre qu'elles cherchaient.

À cet instant précis, le monde de Jane s'effondra. Elle sut qu'elle ne pourrait pas échapper à la réalité, aussi douloureuse soit-elle. Surtout quand elle leva le regard vers la plaque indiquant l'occupant des lieux. Jane ferma les yeux, sa respiration rapide et irrégulière. Pourquoi fallait-il que ce soit la personne qu'elle aimait le plus qui se retrouve dans cette chambre, rongée par la maladie ? L'affreuse pensée de ne jamais la revoir traversa Jane comme une onde de choc. Et cette fois-ci, ses jambes se dérobèrent définitivement sous elle.

"Alice" pensa-t-elle avant de sombrer dans l'inconscience.

Jane regarda avec amertume et mélancolie le jardin. Ces plantes, ces buissons, ces arbres qui lui avaient longtemps donné l'impression d'être immenses étaient maintenant d'une taille qu'elle jugeait d'insignifiante.

Elle s'engouffra finalement dans les buissons pour rejoindre le fond du jardin, suivant un sentier creusé par de nombreuses allées et venues. Son estomac se serra douloureusement quand elle arriva devant une petite cabane en bois.

C'était là qu'Alice et elle avaient passé la majeure partie de leur enfance, à se raconter des blagues, des histoires ou à jouer à chat. Elle y avait passé la meilleure, la plus magnifique, la plus heureuse période de sa vie. Maintenant, Jane se demandait avec tristesse si elle pouvait encore rentrer à l'intérieur. Elle se glissa à travers l'ouverture de justesse, s'écorchant les genoux au passage. Elle resta à genoux, trop faible et trop grande pour se lever, puis ses doigts rencontrèrent un livre qui traînait par terre, oublié et sale après tant d'années dans la petite cabane.

Jane le prit doucement et passa ses doigts sur la couverture poussiéreuse. Le livre était bleu avec un titre magnifiquement calligraphié. Jane ne se souvenait plus de l'histoire, mais elle pouvait voir que les pages étaient usées, sans doute dû aux innombrables lectures effectuées par Alice et elle. Alice... La gentille, magnifique, éblouissante Alice était morte l'année précédente, lorsqu'elle était à l'hôpital.

Et Jane se demandait comment elle pourrait vivre, faire sa vie, sans Alice. Elle avait toujours été son soleil, lumineux et chaleureux. Mais elle n'était plus là. Elle ne forcerait plus Jane à aller en ville faire du shopping, elle ne l'accompagnerait plus à ses concerts de rock. Sans Alice, Jane se sentait vide, vidée de toute énergie et volonté de vivre. Elle aurait voulu que tout ne soit qu'un rêve, se réveiller et voir Alice près d'elle. Mais elle devait accepter la réalité. Rien ne ramènerait sa tendre Alice.

Jane prit soudain une grande inspiration et ouvrit le livre. Là, bien gardé du passage du temps, était glissé un petit papier. Une écriture tremblante d'enfant s'étirait dessus, traçant des mots que Jane reconnut pour les avoir entendus tant de fois. Cette fois, elle ne se retint pas. Le barrage retenant ses émotions depuis tant de temps céda et une cascade de larmes dégringola des yeux de Jane, mouillant le petit papier.

" Rendez-vous ici, demain, même heure. "

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