Jour 33 (partie 2)

En sortant de la librairie, j'ai ressenti un courant d'espoir m'envahir. Ce que j'avais imaginé, deux heures auparavant était vrai. J'avais le pré-sentiment que les choses allaient changer. Un seul nom, trois simples petites lettres, et j'avais une nouvelle piste. Et celle-ci, je le savais, était la bonne. 

Son nom avait fait écho dans mes pensées, et avait heurté mon âme. C'était lui. Je le savais. Etrange, non ? Se dire que parmi les milliards de possibilités, des milliards de personnes dans ce monde, j'ai su que c'était lui. "Ted", un nom pourtant si anodin. 

Malgré l'angoisse et la peur que m'avais infligé (ainsi qu'à Nolan) Monsieur Lebrun, je ne cessais de sourire. Le genre de sourire qui en dis long. Celui qui n'est pas forcé, celui sur lequel on peut facilement lire les initiales du mot "bonheur". J'avais espoir. Je n'avais pas simplement l'idée de retrouver maman, j'en avais la certitude.

Nolan me regardait courir, danser et sautiller avec joie dans les rues de Paris. Il avait l'air totalement abasourdi. Plus rien autour n'avait plus aucune importance, et j'avais oublié avec une rapidité presque inimaginable le danger auquel nous avions été confrontés juste avant. Après quelques minutes, Nolan a fini par dire :

- Pourquoi tu es si heureuse ? On a failli y passer !

Je me suis arrêtée net. Je me suis tournée vers lui, un grand sourire dessiné sur mon visage :

- On a l'homme !

- On a qu'un prénom !

- Non, tu te trompes. On sait qu'il s'appelle Ted, qu'il a travaillé au Conseil Scientifique de Londres, qu'il était étrange et violent, solitaire et qu'il était collègue avec mon père !

- Eli... il y a des milliers de Ted sur cette planète !

- Mais aucun n'est comme lui !

Il a soupiré, et je me suis mise à rire ridiculement, d'un rire victorieux. Il a souri, et je l'ai interprété de la même façon qu'un "tu as raison". Nous étions désormais entré dans une petite rue solitaire et sinueuse. Je me suis mise à regarder le ciel, tout en criant, le sourire jusqu'aux oreilles :

- Je viens te retrouver maman !

Puis je me suis mise à crier pour je ne sais quelle raison. Un cri sans douleur, pas le cri d'un étouffement, ni celui de la tristesse, mais celui de l'espoir. Nolan m'a rejoint, et nous étions deux idiots criant au centre d'une petite rue de Paris, comme libérés d'un secret terrible dont nous avions fait preuve. 

Une vieille femme, habitant une maison de la rue, a ouvert violemment sa fenêtre et s'est mise à crier :

- Taisez vous ou j'appelle la police !

Nolan et moi avons continué de crier tels deux imbéciles, adolescents insolents et amateurs de risque, lorsque la fenêtre s'est refermée de la même intensité qu'elle fut ouverte, et que nous ne voyions plus que l'ombre de la dame partir vers le fond de la pièce. Et c'est à ce moment que nous avons compris qu'elle s'apprêtait à sortir, voire à appeler la police. Nous nous sommes mis à courir, sans arrêter de crier, tandis que désormais la femme n'était plus une ombre derrière une vitre, mais bel et bien un être qui nous suivait d'un pas bruyant. 

Nous avons tourné vers une seconde petite rue, et au bout de celle-ci, nous nous sommes arrêtés essoufflés. On s'est regardé en souriant. Nous avions semé la femme. Nolan s'est accroupi et à crier :

- On va te retrouver Ted !

J'ai souri et je l'ai rejoint :

- On va te retrouver maman ! 

Et nous nous sommes remis à rire. 

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Sur le chemin du retour, nous nous sommes aperçu que nous avions oublié nos vélos. Trop effrayés de retourner à la librairie de Monsieur Lebrun, nous avons décidé que nous y retournerons uniquement lorsque la nuit sera tombée.

- Comment on va faire maintenant ? - a demandé Nolan. 

- On a beaucoup d'informations concernant Ted. Il faut qu'on trouve son adresse.

- Mais comment on va faire si il habite à Londres ? 

Je n'ai pas répondu. Et pour être honnête, je ne savais pas moi-même ce qu'il fallait faire. Nous n'avions que 15 et 16 ans... impossible de conduire. 

Sur le trajet, je me suis enfin décidée à en savoir plus sur Nolan. Depuis la discussion d'hier avec Monsieur Belereau, je ne pouvais m'empêcher de me poser des questions. Je savais désormais qu'il avait une petite soeur, une maison relativement grande et luxueuse, des parents souvent absents par leur travail, et une grand mère qui s'était suicidée. Tout cela restait familial. Mais je ne savais pas quels étaient ses défauts, ses qualités, ses aliments favoris, son ou ses films préférés, ce qu'il aimait dans la vie, ce qu'il ressentait et encore plus qui il était vraiment. 

Nous avions pris deux sandwichs au fast-food le plus proche et on s'était installé sur un petit banc. Il était aux alentours de 17 heures. 

- C'est quoi ta couleur préférée ? - ai-je dis.

Oui, c'était ridicule comme début de discussion. Mais il fallait bien que je commence par quelque chose ! Nolan m'a regardé, l'air étonné, et a répondu :

- Vert, pourquoi ? 

- Je veux apprendre à te connaître.

Il a rigolé.

- Et tu penses que c'est en me demandant ma couleur préférée que tu pourras apprendre à me connaître ? 

- Oui.

On s'est mis à rire pendant une longue minute, puis il a finalement dis :

- Et toi, c'est quoi ta couleur préférée ? 

- Hum, je dirais le noir.

- C'est simple le noir !

- Pas vraiment !

- Si, et c'est sombre. Pourquoi cette couleur ? 

- Parce que c'est celle qui correspond au mélange de toutes les couleurs réunies.

Il a rigolé :

- Mais c'est n'importe quoi !

J'ai souri naîvement. 

- Pourquoi ? 

- C'est totalement faux ! Le noir n'est pas le mélange de toutes les couleurs !

- Ah bon ? Je pensais pourtant que...

Et nous nous sommes mis à rire une seconde fois.

Je savais désormais que le garçon aux cheveux bruns ébouriffés, qui portait un pull au mois de mai, et aux yeux bleus foncés était également drôle. 

- Pourquoi tu veux autant apprendre à me connaître ? 

- On a beaucoup trop parler de moi jusqu'à présent, et j'aimerai parfois en savoir un peu plus sur ceux qui m'entoure.

Il a souri. 

- Qu'est ce que tu veux savoir de si important ? Ma vie n'est pas si intéressante. 

- Pourquoi tu as déménagé à Paris ?

- Je te l'avais déjà dis. C'est plus pratique pour le travail de mes parents.

- Pardon, je me suis mal exprimée. Je voulais dire : qu'est ce que ça t'as fais de déménager ? 

- Pas grand chose.

- Nolan, ne me mens pas. 

Il a hésité, puis après avoir soupiré, il a fini par dire :

- J'avais quelques amis là bas. Ca m'a forcément fais de la peine de les quitter. Et puis, c'était ma maison d'enfance, celle dans laquelle j'avais toujours vécu, tu vois ? 

- Oui, je comprends totalement. 

Il a pris une grosse bouchée de son sandwich, et j'en ai fais de même. Quitter la maison dans laquelle il a toujours vécu n'a pas dû être facile. Quitter ses amis non plus. J'avais de la peine pour lui, car je savais à quel point il était compliqué de dire au revoir à l'endroit qui a battît les murs de notre enfance. Et plus que tout, j'éprouvais de la compassion et de la compréhension, car j'avais vécu la même chose. Retourner à ma maison, pour la dernière fois de ma vie, passer devant ses murs, dormir dans ma chambre, où le lit était devenu l'unique et dernier meuble qui la constituait, ne voir plus que des cartons rangés un peu partout... Fermer une dernière fois la porte, tourner une dernière fois la clé dans le serrure et voir une dernière fois de mes propres yeux la maison qui m'avais rendu si heureuse. Ne plus la voir comme l'habitat qui m'avait hébergé depuis mon plus jeune âge, mais bel et bien comme celui qui avait dessiné les grandes lignes de ma vie. J'avais vécu tout ça. Et le fait d'y repenser me rappelais la tristesse amère de voir tout son monde s'envoler avec son chez-soi. 

- Comment tu te sens réellement ?

Il a froncé les sourcils, en signe d'incompréhension. 

- Qu'est ce que tu veux dire ? 

- Est ce que au fond, tu es le même que celui que je vois, heureux et souriant ? 

- J'ai eu des moments difficiles, mais je pense que cela fait très longtemps que je ne me suis pas senti aussi bien. 

J'ai souri.

- Est ce que l'absence de tes parents t'affectes ? 

Il a réfléchi plusieurs secondes, et j'ai senti que ce que je venais de dire l'avais comme touché. 

- Je suis habitué. 

Il avait pris un air très sérieux. Il ne souriait plus. Il se contentait simplement de fixer le béton du sol, sans rien dire.

- Tu peux m'en parler, tu sais ?

Il a réfléchi plusieurs secondes, puis a soupiré. 

- On est habitué à être seul. 

Je me suis approché de lui. Il continuait de fixer le sol d'un air vide.

- Avant que je te parle à la soirée de Sara, ai-je commencé, j'étais tout le temps seule. Je pensais aimer ça, parce que ça ne m'attirais aucun problème, mais je pense qu'au fond, j'aurais été plus heureuse si je m'étais fait des amis avant.

- Etre seul, je pense que c'est l'une des choses les plus compliquées à vivre. Avoir l'impression d'être inexistant...

- C'est ce que je ressens depuis que je suis toute petite. L'impression d'être inexistante aux yeux du monde...

- Foutu monde, hein ?

Il m'a tendu la main. Je l'ai serré en retour.

- Foutu monde. 

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La solitude est partout. Les personnes souriantes sont bien souvent les plus seules. Et j'en avais eu la preuve avec Nolan. Après être resté plus d'une heure à parler de tout et de rien, nous nous sommes levés et sommes repartis en direction de nos maisons respectives. Nous nous étions fait la promesse de s'accompagner jusqu'au bout, et de ne jamais laisser l'autre seul plus d'une journée. 

En rentrant chez moi, j'ai ressenti la solitude amère due au manque de ma mère revenir sur mes épaules. J'ai tenté de calmer la voix qui fredonnait dans mon esprit que tout allait mal aller, en lui rappelant que désormais, je savais qui était l'origine de tout ça, et que j'avais son prénom. 

Lorsque je me suis changée pour me mettre dans mon lit, j'ai remarqué qu'une rougeur s'était formée sur ma joue, comme un coup de poing. Je ne savais pas comment elle était apparue, comme toutes les blessures et les mutilations qui peignaient mon corps depuis maintenant trois semaines. 

Je souffrais de blessure dont ni moi, ni personne d'autre n'en était la cause. C'était étrange. 



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