Pour M,
"A star can never die. It just turns into a smile and melts back into the cosmic music, the dance of life." – Michael Jackson
De l'été 2009, je ne me souviens que de toi.
Le soleil caniculaire aspiré par ton sourire. Ton visage reflété dans le clapotis lent de l'Ardèche. Mon coeur battant au rythme de la musique. Ta musique.
Le reste n'existe plus.
Il n'y a que toi.
Et aussi étrange que cela puisse paraître, j'ai l'impression, alors, que tu as toujours été là. Quelque part en moi. Qu'il suffisait juste de cet évènement — ta disparition — pour qu'enfin tu viennes illuminer le ciel de ma vie.
Et, tu sais, neuf ans après, rien a changé.
Je sais juste un peu mieux écrire,
Alors,
Je raconte.
*
*
*
Je suis capable de retracer avec une précision étonnante ce matin du 25 juin 2009. Il est sept heures, sûrement, j'ai 11 ans. L'école se termine dans quelques jours et l'année prochaine j'entre au collège. J'ai un peu peur de grandir. J'ai toujours eu un peu peur de ça... Quand j'étais petite, je voulais m'enfuir avec Peter Pan, loin, très loin. « Deuxième étoile à droite et tout droit jusqu'au matin. » Plus tard, j'ai appris que toi aussi, tu étais resté cet enfant s'identifiant à Peter Pan. Ce point commun entre nous m'a toujours fait sourire.
Je me souviens de l'effervescence un peu moite dans la cuisine. Il fait déjà chaud. C'est un été qui laisse toute la place au soleil. La terre dehors est sèche, les peupliers sont un rempart au milieu du ciel bleu et leurs feuilles vertes ne cessent jamais d'onduler. Le pire c'est en ville. La chaleur collée au goudron des trottoirs, les peaux moites dans les salles de classe, les flaques d'ombres prises d'assaut dès la sonnerie de la récré.
En haut du garde-manger, la radio grésille un peu plus fort que d'habitude. Les voix sont comme électrifiées, les souffles frénétiques. Il y a une une frénésie inhabituelle, je la ressens encore alors que j'écris ces mots ; c'était la planète entière qui semblait être prise dans un frisson incontrôlable.
Je me souviens de mon père debout au milieu de la cuisine, un air un peu ahuri sur le visage. Une surprise teintée de tristesse, comme s'il ne voulait pas vraiment croire à ce qu'il entendait, comme s'il ne pouvait pas y croire.
Je me souviens lui avoir demandé ce qu'il se passait.
Alors, ton nom, pour la première fois dans ma vie :
« Va dire à maman que Michael Jackson est mort. »
Je ne sais pas qui tu es, alors. Sûrement ai-je déjà entendu parler de toi, sûrement ai-je déjà vu ton visage, sûrement ai-je déjà entendu ta voix. Mais sans y faire attention. Sans m'attarder. Est-ce que je regrette ? Pas vraiment. J'ai l'impression que notre rencontre, ce matin triste du 25 juin, était la plus juste.
Ma mère est dans la salle de bain. Je la revois encore en train de se sécher les cheveux, ma voix qui tente de passer au dessus du souffle de l'objet, sa main qui le débranche pour m'écouter. Je répète les mots de mon père. Je suis presque fière de dire ça, ton nom à l'air si important. Je ne sais pas qui tu es mais déjà je fais attention à toi. Je ne veux pas t'abimer.
Ma mère n'a pas la même réaction que mon père. Lui avait l'air vaguement attristé, elle, est bouleversée. Je suis presque étonnée de la voir se précipiter dans la cuisine. Je ne l'ai jamais entendu parler de toi avant.
À la radio, pendant que je déjeune, on ne parle que ta mort. La scène de ton agonie ne cesse d'être retracée. On ne sait pas bien ce qu'il s'est passé, malgré tout. Tout est flou. On dit que tu as été drogué, que ton médecin est en cause. On dit que tu es mort sur le chemin de l'hôpital. On dit que tu étais le King of Pop. On le dit avec une sorte d'admiration dans la voix, et de tristesse aussi. Des gens sont interviewés. Tous pleurent. Personne ne veut y croire. On commence à parler d'un complot, on commence à dire que tout est faux. Tu devais retourner en tournée, tu semblais en forme, tu ne peux pas avoir disparu comme ça, aussi soudainement.
J'écoute et déjà, j'ai envie de te protéger de tout ça.
Des mots par centaines qui s'écoulent sur les pages des magazines, sur les bouches des journalistes, sur les unes des quotidiens.
Tu es devenu le centre d'attention du monde.
Tout l'été sera cerné par ton visage.
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À l'école aussi, on ne parle que de toi. Tout le monde pense mieux savoir que les autres. Tout le monde a quelque chose à dire sur ta vie, ta mort. Je me souviens avoir été fascinée de voir que tu ne laissais personne indifférent. Et dégoûtée, aussi, de ce que certain.e.s de mes ami.e.s disaient de toi. Je ne savais rien alors, de l'homme que tu étais, et pourtant je brûlais d'envie de te défendre, de leur hurler de ne pas salir ta mémoire, de te respecter.
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Le soir, ma mère nous raconte. Ma soeur est encore trop petite mais moi j'écoute, j'ai envie de tout savoir de toi, de comprendre pourquoi ta mort a soulevé un tsunami.
Quand elle était au collège, au lycée aussi, tu étais son idole. La mode était au jean moulé comme le tien dans Thriller. Tout le monde voulait porter ta veste rouge et noir et tes chaussettes blanches. Ton visage était partout sur les murs de sa chambre — comme après il le sera sur les miens. Elle te découpait entre les pages des magazines, et plus aucun morceau de tapisserie ne dépassait. Sa grand mère, qui venait parfois dormir dans sa chambre, se plaignait d'avoir peur de se déshabiller avec tous tes yeux de papier qui la fixaient. Cette anecdote m'avait fait rire. Pour la première fois, je crois que j'imaginais très bien ma mère adolescente.
Ce soir-là, je me souviens de mes pieds nus sur le tapis marocain. La porte du salon est ouverte sur le jardin. Il fait beau, le ciel est bleu et l'herbe est tapissée de soleil. Ma mère me montre le premier clip que je verrais de toi.
Billie Jean.
Proust avait sa madeleine, et cette chanson est la mienne. Encore aujourd'hui quand je l'écoute, c'est tout l'été 2009 qui me revient en mémoire, et surtout ce 25 juin, vers dix-neuf heures, alors qu'assise près de ma mère, je voyais enfin tes pieds illuminer les carreaux sales d'un faux trottoir.
Je vivrais à nouveau cet éblouissement, quelques années plus tard, lorsque je cliquerais sur le clip d'un boys-band mondialement connu et que je plongerais dans les yeux verts de H. Les larmes qui montent aux yeux, brusquement, sans aucun avertissement, et le coeur qui se gonfle comme s'il voulait exploser, sortir de sa propre enveloppe pour déborder, se répandre dans les veines.
Il n'y pas d'autre mot que celui-là, je crois : l'éblouissement. À la seconde même où tes chevilles et tes chaussettes roses apparaissent à l'écran, je me rappelle avoir su que tu étais la personne que j'attendais.
Que dorénavant, même au sein de mes nuits les plus noires,
Ma vie aurait un sens.
Toi.
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Une sorte de frénésie s'est emparée du monde. Les autres informations sont repoussées, tu es la plus importante. Les journaux télévisés ne parlent presque que de toi. Ta vie est retracée en quelques minutes à midi, puis encore à vingt heures. Des albums illustrés sortent. Des éditions spéciales de magazines sont éditées dans la nuit.
Dans les presses, il n'y a que ton prénom, partout, partout, partout.
Mon été consiste à m'abreuver d'informations. Je rattrape tout le retard que j'ai pu avoir. J'apprends les magazines par coeur, je suis capable de livrer la moindre petite anecdote te concernant, je deviens une encyclopédie vivante.
Ma mère achète à nouveau tes albums.
Elle aussi te retrouve, alors qu'elle avait perdu ton chemin en vieillissant. J'aime la façon dont ses yeux s'illuminent lorsqu'elle parle de toi. Je crois que les miens brillent de la même façon.
Sur le chemin des vacances, ce sont tes musiques qui résonnent dans la voiture. Je ne me passe déjà plus de la douceur de ta voix. Jour et nuit je respire pour toi.
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Je regarde ton enterrement. Allongée sur le lit de mes parents, face à la minuscule télévision que nous avions encore à cette époque, je me retiens de ne pas pleurer. Ton cercueil noir et entouré de fleurs me semble bien trop solennel. Pour la première fois, je crois que je réalise que tu es vraiment mort. Que jamais je ne pourrai te serrer dans mes bras. Jamais.
Je me souviens de Paris voulant parler et n'ayant pas les mots pour le faire. Je me souviens de ses sanglots, elle qui était alors minuscule dans sa robe noire, mais très digne aussi. Je me souviens de sa voix brisée articulant : « Tu étais le meilleur père qu'on puisse rêver d'avoir » avant qu'elle ne fonde en larme et que sa famille ne l'entoure, protectrice. La douleur m'écrase la poitrine.
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L'été passe dans cette demi-torpeur.
Je réalise en y repensant que tu m'es devenu indispensable si vite. Je t'aime d'un amour vertigineux et sans faille. Je déteste les gens qui te critiquent. Je ne supporte pas de les voir salir ton prénom avec des rires gras, des coups d'oeil appuyés, comme s'ils s'attendaient à ce que je ris aussi.
À cette époque leurs mots méchants me font mal et me blessent. Je ne sais pas y répondre, je n'ai pas la répartie nécessaire, et peut-être pas le courage non plus. Maintenant c'est différent. Leur haine me passe au-dessus. Je me fiche de ce qu'ils peuvent penser de toi. Je m'en fiche parce que je sais ce qui est vrai, et ce qu'ils ratent en te détestant.
Je voudrais leur montrer à quel point tu étais un humain exceptionnel. Je voudrais qu'ils se rendent compte de ta douceur, de ta sensibilité, de ton génie, de ta gentillesse à toute épreuve. Je voudrais qu'ils avouent que rien de ce qu'ils peuvent dire sur toi n'est fondé. Tu ne mérites pas qu'on ait sali ton nom, toi qui faisait si attention à ne blesser personne. Tu ne mérites pas que l'on te crache au visage, toi qui prenais tant soin de distribuer de l'amour aux gens.
Tu sais, je crois qu'ils sont juste jaloux de la personne sublime que tu étais.
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Je passe des heures à t'écouter chanter, à lire des articles sur toi, à enregistrer des photos sur Internet. Tu es partout autour de moi.
Ma mère me fait un t-shirt. Je me souviens encore de ton sourire sur le tissu blanc. Je le porte tout le temps, je suis si fière de t'avoir contre moi.
Je m'invente d'autres réalités dans ma tête. Des mondes où nous serions ami.e.s. Je rêve de te serrer contre moi, je rêve de passer une après-midi à rire et courir au milieu de Neverland. Je rêve d'entendre ton rire. Mon imagination te façonne sans doute comme le gamin que tu étais. Je ne te vois pas vraiment comme un homme. A cette époque, je te considère comme mon meilleur ami.
Je regarde Moonwalker avec ma soeur. Il devient notre film préféré, la scène de la course poursuite avec les chiens m'angoisse beaucoup trop. J'ai les paumes moites en te regardant fuir, je ris aux éclats lorsque tu es un lapin dans Speed Demon, mes yeux scintillent lorsque tu apparais auréolé de lumière dans Smooth Criminal.
Tu rythmes mes journées,
Ma vie consiste à t'apprendre par coeur,
Ma vie consiste à te rendre la tienne.
*
*
*
Au collège, tu es la personne qui me tire vers le haut.
Je ne suis pas dans le groupe des personnes populaires. Je refuse toujours de grandir.
Mes ami.e.s ne t'aiment pas vraiment et ne comprennent pas mon amour débordant pour toi.
Mais je m'en fiche.
Je sais que tu es là, quelque part.
Je sais que tu me protèges.
J'ai besoin de toi pour avancer, j'ai besoin de ta voix, de tes chansons, j'ai besoin de te regarder danser. Le clip de Jam devient mon allié, je rêve d'avoir la force que tu dégages dans They don't care about us. C'est toi qui m'apprends l'espoir. C'est toi qui fait de moi une meilleure personne. C'est toi qui me donne envie de croire en mes rêves. C'est toi qui me donne du courage. C'est toi qui me rassure quand j'ai peur. C'est toi qui me donne envie d'aider les autres. C'est toi qui m'apporte de la patience. C'est toi qui me murmure d'être compréhensive, de ne pas juger les gens, d'être la plus gentille possible.
Je ne crois pas en Dieu mais je crois en toi.
Tu es ma Lumière.
*
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*
Quand This Is It sort au cinéma, ma mère nous fait croire qu'elle n'a pas de place. Je me souviens encore que nous sortions du coiffeur lorsqu'elle nous a annoncé — à moi et ma soeur — que nous allions à la prochaine séance.
La salle est presque vide. Nous sommes à peine dix, je crois. Je me mets au premier rang. Derrière moi, je me rappelle encore d'un papa qui discutait avec sa fille et qui lui promettait de lui acheter une tenue de princesse pour qu'elle puisse la mettre à l'anniversaire de sa copine.
Puis, ton visage, sur grand écran.
J'ai regardé tant de concerts de toi. Celui à Bucarest, surtout, pendant le Dangerous Tour. Je pourrais m'évanouir comme les gens le faisaient au milieu des fosses gigantesques qu'étaient tes concerts. Mais je reste simplement fascinée par toi, ton sourire, ton corps un peu trop maigre, ta façon de bouger pourtant toujours aussi merveilleuse, tes tenues improbables, ta gentillesse, ta voix si douce.
Je pleure pendant le film,
Comme je pleure en regardant tes autres concerts, alors que tu t'envoles dans le ciel à bord d'une fausse fusée blanche.
Mais cette fois, lorsque le générique se diffuse, je sais que c'est fini.
Tu es vraiment parti.
Ce concert là n'en était pas vraiment un,
Ce n'était que des répétitions,
Des répétitions qui n'aboutiront sur rien puisque tu as disparu du Monde.
En rentrant j'enregistre This Is It dans mon MP3 et je l'écoute tous les soirs avant de m'endormir.
J'ai gardé cette habitude longtemps, et pourtant, invariablement, j'ai toujours pleuré dans mon oreiller. Les mêmes sanglots étouffaient ma gorge. Une peine immense qui ne sera jamais comblé ; c'est le vide de ton absence.
*
*
*
Je ne sais plus pourquoi j'avais tant besoin d'écrire ce texte... Je n'écris jamais sur moi normalement. Mais ce n'est pas vraiment moi. C'est toi et moi. Je suppose que tous les gens qui t'aiment ont cette impression semblable à la mienne ; celle que tu vis en eux.
J'ai tendance à croire aux fantômes, aux esprits, à l'invisible. C'est peut-être un peu stupide, mais parfois je sais que tu m'écoutes. Que tu es là. Je sais que du haut du ciel, tu veilles sur moi.
Un jour, je t'écrirais à l'encre noire dans ma peau.
J'en ai toujours rêvé.
J'ai hâte que tu vois ça, tu sais.
En attendant,
Mon ange,
Mon amour,
Mon soleil,
Ces quelques mots sont pour toi.
Parce que même après neuf ans, je sais que tu es l'étoile de ma vie.
Et que tu le resteras toujours.
Merci,
pour tout.
Je t'aime infiniment.
" Second star to the right and straight on 'til morning. " - Peter Pan
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