𝟓𝟕. 𝐒𝐞 𝐪𝐮𝐢𝐭𝐭𝐞𝐫 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐦𝐢𝐞𝐮𝐱 𝐬𝐞 𝐫𝐞𝐭𝐫𝐨𝐮𝐯𝐞𝐫
— Quoi ? soufflé-je, pris au dépourvu. Attends, quoi ?
Non, il n'a pas dit ça. Je me fais des idées, c'est moi qui ai mal interprété ses...
Il rouvre ses yeux, une larme s'échappe du coin de son œil.
— Je vais faire mon service militaire, mon ange, réitère-t-il en déglutissant fortement sa salive. Je...
— Mais... Je... Comment ça ? Pourquoi ? Pourquoi soudainement ? le questionné-je en cessant mes mouvements sur son cuir chevelu. On... Je... Nous... Pourquoi ?
Mon cerveau ne fonctionne plus correctement. Les mots sortent au hasard de ma bouche, m'empêchant de m'exprimer convenablement. J'ai l'impression de prendre un bus en pleine face. Que mon monde s'écroule actuellement sous mes yeux, en un tas de poussière qui glisse entre mes doigts. Tout allait bien. Enfin, tout commençait à aller mieux. On s'est ouvert l'un à l'autre. On a montré nos cicatrices, nos plaies encore ouvertes. On était sur le point d'avancer, d'écrire notre avenir. Alors pourquoi ? Pourquoi la vie a-t-elle décidé de nous mettre une dernière embûche sur notre chemin ?
Les lèvres de Jaekyung vacillent. Il tourne son visage vers mon ventre, se blottissant contre ce dernier pour étouffer ses sanglots. J'hésite un instant, mais les mots finissent par sortir.
— Que s'est-il passé avec les Johnson ? Vous vous êtes disputé ? Ils... ils...
— Non... On ne s'est pas disputé, non, répond-il, en passant ses bras autour de ma taille. Enfin... Ils n'étaient pas en colère, mais ils étaient quand même déçus... Je ne peux pas leur en vouloir, d'avoir éprouvé ce sentiment à mon égard.
Il renifle. Son corps tremble et ça me bouffe le cœur de le voir dans cet état.
— Je leur ai tout expliqué sans omettre les moindres détails, ajoute-t-il en se redressant, le visage baignant dans ses larmes. Ils ont compris ce que j'ai traversé. Ils ont compris ce que j'ai éprouvé au fond de moi pendant toutes ces années. Ils ont compris mes réactions, mes décisions. Mais...
— Mais quoi ? murmuré-je en prenant ses joues entre mes mains. Pourquoi le service militaire ?
— Pour eux, je ne suis pas guéris, contrairement à ce que j'essaie de faire croire, dit-il en rencontrant mon regard. Pour eux, j'ai besoin de me concentrer sur moi-même. De remettre en ordre ce que je n'ai pas pu faire jusqu'à maintenant. De guérir mes blessures, mes traumatismes, avant de penser à m'engager dans une longue relation avec toi, au risque de nous détruire.
Je baisse les yeux, tandis que ses mots me poignardent le cœur. Les larmes ne montent pas. Je n'arrive pas à pleurer, alors que bon sang, je souffre intérieurement.
— C'est... c'est à cause de moi ? commenté-je, la gorge serrée. C'est parce que j'ai...
— Non mon amour, non, réfute-t-il en glissant l'une de ses mains derrière mon oreille, son pouce caressant mon lobe. Tu n'as rien fait, mon ange. Ce sont nos vies qui ont trop souffert par le passé. Un passé qui continue de nous poursuivre dans le présent, nous empêchant d'avancer. La preuve, quand tout va bien un jour, le lendemain on se consume sans le vouloir...
— Mais... mais ça fait partie de la vie, non ? C'est... c'est le but d'un couple, non ? répliqué-je d'une voix tremblante. On est normalement censé s'aider à se relever ? Pour le meilleur et pour le pire, non ?
La fissure est là. Juste sous mes yeux. Ce lien invisible, je commence à le percevoir avec netteté. Ce fil rouge qui noue lie, rongé par nos peines, sur le point de céder. Parfois, même l'amour ne suffit pas à sauver un couple, si on laisse nos démons nous dévorer jusqu'à la moelle. Parfois, il faut savoir prendre des décisions, douloureuses soient-elles, pour sauver ce qu'on a construit. Pour mieux se retrouver.
Jaekyung sourit. Un sourire couvert de ces perles d'eau ne cessant de couler de ses yeux.
— Tu te souviens de ce que tu m'as dit la dernière ?
Qu'est-ce que j'ai dit ?
Il remarque ma confusion, tout en continuant de caresser mon lobe, sa main se resserrant sur ma nuque. Son visage se rapproche du mien. Nos lèvres s'effleurent. Elles meurent d'envie de se lier en un baiser, mais on se l'interdit.
— Qu'on a besoin de prendre nos distances. Qu'on est tellement bouffé par la vie, qu'on se tue mutuellement avec nos peurs, nos traumatismes. Que si on continue sur cette voie, on va droit à notre perte, commente-t-il, son souffle mentholé s'écrasant sur mon épiderme. Je ne voulais pas entendre tes mots. Je ne voulais pas accepter que tu ais raison...
— Jaekyung... Mais... Non...
Ma vue se brouille subitement. Mon cœur se serre douloureusement dans ma poitrine, me souvenant parfaitement avoir prononcé ces mots lorsque je lui ai reproché de s'oublier, en se préoccupant que de moi. Pourquoi ai-je dit ça ? Qu'est-ce qui m'a pris de dire une telle chose ? Mes mots l'ont blessé. Mes mots l'ont marqué. Mes mots ont causé cette situation.
— Je... Je ne voulais pas dire ça comme ça... Je...
Je panique. Je n'arrive plus à maîtriser la situation. Mon souffle se coupe.
— Respire mon ange, chuchote-t-il en déposant ses lèvres sur mon front, puis mes joues, goûtant par la même occasion à la salinité de mes larmes. Tu as entièrement raison. Même si je ne voulais pas l'admettre, tes mots sonnent comme une évidence. Tant qu'on ne sera pas guéri de nos traumatismes, on ne pourra pas aller de l'avant, même si on s'aime à en mourir...
Je pose mes mains sur ses poignets, resserrant fermement mon emprise autour d'eux. Ma gorge est tellement nouée qu'aucun mot ne peut en sortir. Je ferme les yeux, tentant de réprimer mes sanglots, en vain.
— Le service militaire, c'est la solution la plus judicieuse pour nous, ajoute-t-il en faisant chanceler la pointe de son nez sur mes joues. D'un côté, je pourrai me consacrer sur moi, guérir mes blessures. D'un autre, tu pourras également te concentrer sur toi-même, sans avoir à t'inquiéter pour moi. Tu pourras avancer, sans que je ne te mette de bâtons dans les roues, à trop vouloir te surprotéger...
— Tu ne me surprotéges pas, le contredis-je à travers un sanglot, en secouant la tête.
Alors qu'en réalité, c'est exactement ce qui se passe. Jaekyung fait tout pour que je ne manque de rien. Il fait tout pour moi pour que la vie me soit plus facile, me rendant inconsciemment dépendant de lui. J'ai constamment peur de me retrouver seul, et ne pas savoir quoi faire si quelque chose m'arrivait. C'était ce que monsieur Johnson redoutait. A trop vouloir en faire, on finit par se brûler les ailes.
— Je décrocherai la Lune pour toi, mon amour, déclare-t-il en glissant sa main sous mon menton. Et puis, j'y ai beaucoup réfléchi ces derniers temps. Si je fais mon service militaire maintenant, on n'aura pas à être séparé plus tard. Je serais tout le temps à tes côtés. On ne sera plus jamais séparé l'un de l'autre. C'est un mal pour un bien, pour mieux se retrouver.
— Pour être de meilleure version de nous-même, ajouté-je en le regardant dans les yeux. Mais... mais je n'y arriverai pas... Dix-huit mois sans t'avoir à mes côtés, je ne le supporterai pas, mon amour... Je n'y arriverai pas...
Je secoue la tête.
— Comment vais-je faire sans toi ? Je... Je n'aurais plus ta présence à mes côtés ? Le soir en me couchant, et le matin en me réveillant, tu ne seras pas là ? J'aurais froid sans toi. Et si jamais je tombe ? Si jamais je me fais mal, comment vais-je faire ? Comment...
Son sourire s'étire sur ses traits meurtris, brisés.
— Si je ne t'avais pas rendu autant dépendant de moi, tu n'aurais pas autant peur d'être seul. Pardonne-moi mon ange, j'ai fait les choses maladroitement en pensant te protéger, déclare-t-il. Et moi-même je suis devenu dépendant de ta présence. Je ne peux plus me passer de toi. Je ne sais pas comment je vais faire pendant ces dix-huit mois, loin de toi. Tu es devenu mon repère, mon quotidien. Je ne vivais plus pour moi, mais pour toi aussi.
Il m'embrasse soudainement. Je ferme les yeux, soupirant contre ce toucher. Il m'attire sur lui, m'installant à califourchon sur ses cuisses. Ses mains trouvent refuge sur mes hanches, mes bras autour de sa nuque.
— Mais je suis certain d'une chose, poursuit-il en rompant le baiser. Notre amour sera encore plus puissant lorsqu'on se retrouvera. Ce n'est pas un adieu, mon ange, ce n'est qu'un au revoir.
Il a raison. Se quitter pour mieux se retrouver est ce qu'il y a de mieux à faire dans notre situation. J'en suis moi-même conscient. Ha-joon est toujours présent dans un coin de ma tête. Ses marques qu'il m'a laissées sont encore apparentes sur ma peau. Même si j'ai fait des progrès, même si j'ai réussi à affronter bon nombre de difficultés, nous ne pouvons pas continuer à nous détruire mutuellement. C'est difficile à admettre, mais il faut que j'avance sans avoir Jaekyung à mes côtés. Il faut que j'avance sans me reposer sur ses épaules en pensant que tout va s'arranger avec son amour. Que mes traumatismes vont s'estomper avec ses mots doux, sa tendresse et les cadeaux qu'il m'offre au quotidien. Mais ce n'est pas comme ça qu'on guérit de nos peurs. Au contraire, elles ne font que renforcer nos craintes inconsciemment.
Il faut savoir aimer sa propre présence. Il faut savoir aimer la solitude, se battre contre nos insécurités, pour ensuite partager notre intimité avec quelqu'un. Nous avons fait les choses à l'envers, mais je ne regrette en rien ce que l'on a construit en si peu de temps. Je ne regrette pas de m'être laissé porter par ses mots. Je ne regrette pas d'avoir laissé mon cœur s'ouvrir à lui.
— On ne peut pas guérir dans l'environnement qui nous a blessés, n'est-ce pas ? dis-je en nichant mon visage dans le creux de son cou. Je l'ai remarqué, même en étant à tes côtés, que mes souvenirs avec lui dans cette ville ne cessent de me tourmenter...
— Mon amour...
— Si tu t'en vas, je ne pourrais pas rester ici, commenté-je en sentant les pulsations de son cœur contre mon oreille.
Il bat anormalement vite.
— Il y a beaucoup trop de choses qui se sont produites ici. Mon harcèlement, mes viols, ma mère. J'en avais parlé avec Gabriel, avoué-je en me blottissant un peu plus dans ses bras, jusqu'à sentir son ventre se lever et s'abaisser à chacune de ses respirations.
Une de ses mains se glisse dans mes cheveux. Silencieux.
— J'avais déjà émis l'hypothèse de changer d'endroits pour me reconstruire... Il est peut-être temps que j'y songe...
— Il y a un endroit en particulier où tu aimerais aller ? demande-t-il en caressant mes cheveux.
Je l'entends renifler, malgré que sa poitrine tremble encore sous l'effet de ses sanglots.
— Busan. Je suis né là-bas. En plus de notre pied à terre, mes parents avaient acheté un appartement secondaire à Suyeong, juste en face de Gwangalli beach. Ils l'ont gardé pour partir en vacances quand on a déménagé à Séoul, histoire d'avoir un repère dans la ville de naissance de mon frère et moi.
— Tu penses que c'est une bonne idée, de retourner là-bas ? questionne-t-il, son bras se resserrant autour de ma taille. Je veux dire, tu as le souvenir de ton père et...
— Mon père ne venait jamais avec nous dans cette maison, réponds-je en relevant la tête.
Nous devions être dans le même état si on se regardait dans un miroir ; les yeux rougis par les larmes, complètement décoiffé, la morve coulant de nos nez, mais ce sourire logé sur le coin de nos lèvres.
— Il n'y avait qu'avec ma mère qu'on allait au bord de la plage. Mon... connard de géniteur détestait ça. Il a toujours tout détesté de toute façon. Même Noël. C'est à se demander s'il a déjà aimé quelque chose dans sa vie, ajouté-je en roulant des yeux. C'est un endroit calme, reposant. Je me souviens du bruit des vagues, de l'odeur de la mer. Ça fait longtemps que je n'y suis plus retourné, et je suis certain que ça ferait plaisir à ma mère, de là où elle est.
— Si tu penses que c'est la meilleure solution pour toi, mon ange, alors fonce, approuve Jaekyung en posant une main sur ma joue.
Son pouce caresse mes lèvres avec tendresse.
— Je te rejoindrai partout où tu iras. Où tu ailles mon amour, c'est là que je te suivrai, commente-t-il en se redressant sur le canapé. Nos corps seront séparés durant ce laps de temps, mais pas nos âmes. Je t'aime, Joshua.
Il revient m'embrasser. Un baiser auquel je réponds en entrouvrant mes lèvres, lui permettant de pénétrer dans mon intimité. Sa langue caresse la mienne avec ardeur. Nos respirations se font plus lourdes et saccadées. Ses mains baladeuses grimpent sensuellement le long de mes hanches, remontant jusqu'à mes côtes. Je frissonne en approfondissant le baiser qui devient plus que nécessiteux, mais avant que nos corps s'embrasent à ne plus pouvoir se maîtriser, Jaekyung rompt notre échange sous mes plaintes le faisant rire.
— Allons nous changer, mon amour, chuchote-t-il en déposant plusieurs baisers le long de ma mâchoire. Je t'emmène au restaurant ce soir. Enfin, pas que ce soir. Ces sept prochains jours, je t'emmènerai partout où tu voudras. J'exaucerai tous tes souhaits, même les plus fous.
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