Je descends la route vers le port la tête pleine de pensées. Ca gamberge dans ma tête. Et si ... Et si ... Je n'ai que la journée pour décider de l'avenir de ma vie. J'ai pourtant décidé plus rapidement de lâcher Antoine.

Quoique, non, ça faisait un moment que j'avais évoqué cette possibilité.

Et pour le passeport, à peine quelques minutes pour émettre cette idée qui a pourtant bien changé ma vie.

Oui mais à ce moment-là, il y avait Amy et Pat. Et je pouvais leur faire confiance. Là, je n'ai que Jean. C'est pas que je ne peux pas lui faire confiance, c'est juste que je ne pense pas qu'il comprendrait. Et puis, il est bougon en ce moment. Quoiqu'en fait, je pense qu'il est tout le temps bougon. Un peu trop cliché pour un marin (me taclerait Nadine M.), mais désolée, c'est le cas pour lui. Et puis, je l'entends déjà me faire la morale sur ma nuit.

Estelle ! Arrête de sauter du Coq à l'Âne : tu dois te concentrer, c'est hyper important !

Bon alors, que me diraient Amy et Pat ?

Ils me diraient de me poser et d'écouter mon cœur. Et ils me diraient que quoique je choisisse, il faut aimer cette décision.

Et Amy poserait sur la table une pleine assiette de cookies hyper bons (toujours grands vainqueurs indétrônés du Challenge des meilleurs cookies du monde).

Shirley, elle, me dirait de foncer. Foncer parce que l'Amour (celui avec le A majuscule) existe, mais il est rare. Foncer parce qu'elle n'a pas hésité à tout laisser pour Max.

Bien qu'elle serait déçue que ce ne soit pas de Stian dont il est question. Je ne sais pas pourquoi elle a bloqué sur nous deux ? Tiens, j'aurai dû lui demander.

Et Stian que me dirait-il ? Je n'oserai probablement pas lui poser la question.

Quant à Lupita, elle me dirait qu'il faut tout faire pour rejoindre ceux qu'on aime, même si pour ça il faut aller s'enterrer par – 50 °C l'hiver.

Mais ça ne me dit pas si je l'aime vraiment ou si c'est un énorme coup de foudre qui s'éloignera avec l'orage.

Le problème, c'est que dans les contes, le baiser marque le début du générique. Mais il y a quoi, après la nuit d'amour ? Est-ce que Blanche-Neige est toujours éperdument amoureuse de son Prince Charmant la semaine suivante ? Quand il faut retourner au travail (bien que le Prince Charmant ne travaille pas, ce qui est également mon cas en ce moment) ? Quand il faut aller faire les courses ? Quand elle a ses règles ? Ou quand les nains ne veulent pas aller se coucher ?

J'aurai vraiment dû poser toutes ces questions à Shirley.

Qui m'aurait sûrement répondu : laisse faire la vie.

Non parce que c'est vrai : que je doute avec Stian, OK, il m'a tenu la main et rien, nada. Mais que je doute avec Ta'aroa, qui obtient la magnitude maximale jamais atteinte sur l'échelle du Prince Charmant, et qui déclenche même un séisme dans mon système cardiaque et un tsunami sur ma peau, j'attends quoi de la vie ? Que chacun de mes gestes soit assuré par un contrat me permettant de me faire dédommager des mauvaises directions que j'aurai prises ?

A quarante ans, peut-on encore être aussi exigeant ? A-t-on encore le temps d'espérer trouver mieux ?

Ma mère m'aurait dit: « ma petite fille, donne-moi une seule bonne raison de ne pas choisir Ta'aroa ! Une seule ! »

Elle a parfois raison, ma mère.

Sauf qu'elle m'aurait bassinée ensuite avec l'histoire de sa rencontre avec mon père, histoire que je connais évidemment par cœur. Et c'est dans ces moments-là que j'espère le générique de fin.