Chapitre vingt-neuf. ༄

𝕳𝖊𝖗𝖒𝖎𝖔𝖓𝖊 tira un peu plus les rideaux autour de son lit pour accorder un peu d'intimité à leur conversation. Le soleil s'était levé depuis plusieurs heures, et midi n'allait pas tarder à sonner. Même s'ils chuchotaient et que l'infirmerie n'était pas remplie à ras-bord, quelques élèves plus jeunes les entouraient. L'endroit n'était certes pas idéal pour avoir une conversation dont le but était de mettre au clair les sentiments réciproques ou non de deux personnes, mais étant donné qu'Hermione et Drago n'avaient pas le droit de quitter la pièce – ordre formel de Pomfresh –, se créer un semblant de tente avec les longs tissus était mieux que rien du tout. Le jeune Malefoy avait repris des couleurs et tâchait de ne pas paraître trop mal à l'aise, mais se tordre les mains en évitant de croiser le regard de la Gryffondor n'était peut-être pas la meilleure des façons de calmer son stress.

⸺ Hem... par quoi débuter ? finit-il par demander après qu'Hermione ait réussi à coincer un pan de rideau sous son matelas pour ne pas les découvrir.

⸺ Et si tu me laissais commencer, Drago ? répondit – ou plutôt demanda – la jeune Granger.

⸺ Ce n'est pas comme ça que ça devrait marcher, je suis le garçon, dans l'histoire, c'est à moi de...

⸺ Arrête donc de me lancer comme ça tes préjugés à la figure ! On s'en balance de qui doit commencer parce que les conventions sociales d'aristocrates snobs restent en vigueur dans les mœurs. Laisse-moi parler d'abord s'il te plaît. Ensuite, tu pourras dire tout ce que tu veux. D'accord ?

Drago parut dans un premier temps troublé. Qui était cette jeune fille pour se rebeller ainsi ? Qu'avait-elle fait d'Hermione ? Visiblement, il ne connaissait pas si bien que ça la belle Granger... En notant « apprendre à la connaître au-delà de ce que j'ai pu apprendre sur elle et sa manière de fonctionner dans les méandres de la Magie Noire de Jedusor » sur sa liste un peu trop remplie de choses à faire avant de mourir, le Serpentard se surprit à acquiescer, intimidé devant l'assurance dont faisait preuve Hermione.

⸺ Bien... bien.

⸺ Parfait.

Quelque peu gênée, la Gryffondor se tordit les mains en inspirant profondément, avant que son regard ne revienne sur le jeune homme.

⸺ Écoute, Drago... tu viens de voir que j'ai parlé avec Harry et... Ron... Ronald. Ron. Depuis que l'Amortencia a commencé à s'estomper de mes veines, après ce qu'il s'est passé entre... nous...

Elle prenait un malin plaisir à ne pas nommer clairement les évènements. Sans doute était-elle anxieuse...

⸺ Tu veux dire... que nous nous sommes embrassés ? la coupa ironiquement le jeune Malefoy.

Hermione rougit imperceptiblement, remerciant l'ombre des rideaux de son lit qui lui couvrait le visage.

⸺ Oui, chut. Malefoy, laisse-moi parler. Après... ça, j'ai réfléchi durant notre petit séjour à l'infirmerie, et la conversation que je viens d'avoir avec Ron... Ce qu'il s'est passé entre nous, c'est bizarre, les évènements qui nous sont tombés dessus après ce Souvenir improbable de Jedusor, tout ça... ça me fait cogiter. Pomfresh me l'a confirmé, il ne me reste plus une seule trace d'Amortencia dans l'organisme, mais... je ne sais pas, je continue à ressentir... des choses. Je ne sais pas trop ce que c'est exactement. Je suis peut-être encore sous le choc quand je repense à tout ça, mais... je n'en suis pas vraiment convaincue, tu sais. Ça fait combien de temps que l'on se connaît ? Presque huit ans ? Durant tout ce temps, je t'ai haï, puis j'ai éprouvé de la compassion, du doute, de la méfiance, de l'incompréhension, je t'ai durement jugé, détesté, oublié, j'ai voulu t'aider, puis je me suis retrouvée embarquée dans les plans de Jedusor à tes côtés... ça fait beaucoup pour une seule connaissance, pas vrai ?

Un sourire étira ses lèvres fines.

⸺ Oui, ça fait presque huit ans que l'on se connaît, et pourtant... depuis le Souvenir, j'ai appris à te connaître. Il y a quelque chose qui a... changé. Et je me demande si je ne suis pas... attirée par toi, ou si je suis en train de...

Elle fit une drôle de grimace devant l'air grave de son interlocuteur.

⸺ De tomber amoureuse de toi, finit-elle par avouer à mi-voix au milieu de ses murmures.

Le silence s'étira, pesant, comme s'il imposait à Drago de se taire alors que mille pensées contradictoires se bousculaient dans son esprit et au bord de ses lèvres.

⸺ Hermione, je... commença-t-il.

La fin de cette phrase se fit soudain muette, et le jeune homme ne sut pas quoi ajouter à cela. Il ne parvenait pas à détacher son regard de la Gryffondor, comme hypnotisé par ses paroles. Il était déconcerté, troublé, il le comprenait, il prenait soudain conscience que c'était partagé, il se posait une infinité de questions sans mots, il se demandait ce qui était un secret, il se disait que les gens finiraient par le savoir tôt ou tard, il avait peur. Peur. Peur. Peur.

Non. Il ne fallait pas s'engager sur cette pente-là. Drago secoua doucement la tête, navré.

⸺ Hermione, je... retenta-t-il. Tes propos me touchent, tu peux en être assurée. Vraiment. Et... tu sais...

Il avait beau avoir été entraîné toute son enfance pour bien parler et être un excellent orateur, tout ce qui lui avait été appris avait soudain disparu, ne laissant de place qu'à un murmure enroué et mal assuré.

⸺ Tu sais, j'y pense moi aussi. Beaucoup. Et malgré mon éducation, tous les préjugés que j'ai pu avoir envers toi et les Nés-Moldus, tout ce qu'on attend de moi, j'ai remarqué que je pensais à toi souvent. Très souvent. Trop souvent. Et je ressens aussi... quelque chose. Je ne suis jamais tombé amoureux, et, je vais être honnête, je ne le veux pas. Je ne veux pas tomber, parce que quand la chute se termine, tout le monde sait que c'est trop douloureux à supporter.

⸺ Et si la chute n'avait jamais de fin ?

⸺ Hermione, ne me coupe pas non plus, s'il te plaît, c'est suffisamment compliqué comme ça. Je ne sais pas, ça arrive d'un coup, c'est un peu imprévisible et je ne m'y étais pas préparé. Ça me fait peur, tu sais. Beaucoup trop peur. Mais peut-être que...

Il laissa sa phrase en suspens.

⸺ Peut-être qu'on pourrait juste... tenter ? Et on verra si... si on s'aime réellement. Tu ne crois pas ?

Maladroitement, il entrelaça ses doigts avec ceux d'Hermione, qui fixait intensément ses prunelles, consciente qu'ils discutaient de quelque chose d'important. De trop important, peut-être. Ils n'avaient que respectivement dix-huit et dix-neuf ans. Comment peut-on être persuadés d'aimer ? À cet âge-là, on recherche en général des relations n'étant pas sérieuses, pour essayer, pour se persuader que l'on vit quelque chose de beau, sans vraiment s'attacher, peut-être en malmenant son cœur et celui des autres pour rien. Mais là... mais là quoi ?

Hermione exerça une pression de ses doigts pour marquer son approbation.

⸺ Réponds-moi, Hermione, s'il te plaît. Réponds.

⸺ Oui, murmura la jeune fille avec un léger sourire. Oui. Je suis d'accord. Mais... qu'est-ce qu'on fait, au juste ? J'ai l'impression de nager en plein délire et de faire n'importe quoi.

⸺ On pourrait... s'embrasser ?

⸺ Avec les autres élèves malades à côté et Pomfresh qui doit revenir dans vingt minutes ? Tu es certain ?

Visiblement, Drago ne la prenait pas vraiment au sérieux. Hermione leva un sourcil.

⸺ Oh, et après tout...

Il releva le regard et se pencha maladroitement vers la Gryffondor. Dégageant une main de la poigne d'Hermione, il la posa sur la joue de cette dernière après s'être emmêlé les doigts dans ses cheveux crépus. Ce moment paraissait ridicule, vu de l'extérieur. Mais quand on est pris dans la tempête qui malmène notre lucidité, peut-être que l'on ne s'en rend pas compte...

Leurs bouches n'étaient plus qu'à quinze centimètres. Douze centimètres. Drago pouvait sentir le souffle chaud de sa belle sur son nez pointu. Dix centimètres. Six. Quatre. Deux. Un. Zéro.

L'impact se fit avec douceur, et alors que les deux jeunes adultes souriaient, ils s'embrassèrent. C'était doux, chaud, réconfortant, étrange, un peu grisant de savoir que l'on pouvait les surprendre, qu'ils n'avaient pas le droit.

Tout changea d'un coup.

Les muscles de Drago se bandèrent, et tout son corps se crispa. Des pensées parasites vinrent envahir son esprit. Ils n'avaient pas le droit. Et le regard des gens... et après ce qui s'était passé avec Goldstein, et ce qu'en diraient les gens, et ses amis, et les siens, et la communauté sorcière, et la haine, et le regard des autres, et le danger. Ils ne pouvaient pas.

Drago se recula d'un geste sec et brusque, les mains d'Hermione qui s'accrochaient à ses manches retombèrent sur le matelas. La surprise se lit dans le regard de la jeune fille. Un sanglot échappa à Drago alors que la peur et l'appréhension lui nouaient violemment l'estomac, et il plaqua une main sur sa bouche.

⸺ Désolé, je ne peux pas.

Avant même qu'Hermione ait pu dire un mot ou esquisser un geste, il courut vers son lit, à l'autre bout de l'infirmerie, avant de s'y rouler en boule comme un gamin assailli par les cauchemars.