Chapitre 9
Recroquevillée dans mon lit, je lutte contre la faim qui m'assaille le ventre. Mais je n' ai pas la force de bouger. Sur ma table de nuit, un petit réveil affiche 23 : 46. Et j'ai l'impression que ça fait une semaine que je suis ici. Le temps passe à une vitesse si lente. Peut être que dans l'espace, une minute équivaut à une heure? J'essaye de me mettre en tête que cet endroit est ma maison à présent. Pourtant, c'est dur de faire comprendre quelque chose à son cerveau quand on en a pas la moindre envie.
Sur le côté de mon lit gise le roman que je viens de terminer. Et pourtant, je ne me souviens même plus du prénom du personnage principal. En ce moment, j'ai l'impression que c'est plutôt moi le personnage principal d'une histoire. Une sonnerie aiguë me sort de mes pensées. Il vient d'un petit téléphone, posé à côté du réveil. Le bruit résonne dans toute la maison, et je suppose qu'il y a un téléphone dans chaque pièce. Je tend un bras vers le combiné pour le désactiver. Je n'ai pas envie d'avoir à entendre toute les sonneries des collègues de mon père bloqués sur Terre, et tout ça pour lui parler d'affaire. Je me demande si mon père continue à gagner de l'argent avec ses lasécrans même a des milliers de kilomètres de la Terre. Mais mon doigt s'arrête à un centimètre du bouton pour arrêter la sonnerie. Je reconnais ce numéro. Évidemment, puisque ce n'est rien d'autre que le numéro de Marie. Mon pouce dévit directement de trajectoire et s'écrase sur le logo lumineux vert pour décrocher .
— Allô? Monsieur Welvove?
— Non, c'est Alizée.
Rien que d'entendre sa voix - même légèrement modifiée - me réchauffe un peu mon cœur glacé.
— Bon Dieu Alizée! Comment tu vas?
— Mal. Terriblement mal.
Je ne peux pas empêcher mes larmes et je lâche:
— Marie, si tu savais comme je veux revenir sur Terre. Je suis seule, et je ne reconnais plus mon père....Je n'en peux plus.
— Oh non Alizée...Je n'aime pas t'entendre pleurer, tu sais...Calme toi. Je sais que ce n'est pas simple, mais respire en même temps que moi ok ?
— Ok...
— 1, j'inspire. 2 j'expire.
Marie me répète ces mots en respirant elle-même de son côté. J'essaye de me caler sur sa respiration, vraiment. Mais je n'ai que des hoquets et des inspirations tremblantes. Mais Marie persévère. Dix minutes passent pendant lesquelles elle est avec moi. Et loin de moi en même temps. J'essaye d'oublier que la distance transmet son appel avec une minute en décalage, car cela me rappelle à quel point je suis loin d'elle. Marie continue à m'aider, prend son temps, et bientôt, je parvins à respirer à peu près normalement.
— Ok, c'est bien Alizée. Tu te sens de raconter exactement ce qu'il se passe?
— Je ne voulais pas y aller tu sais? La vérité est que ce serait un mensonge si je te disais que je suis aller dans ce foutu vaisseau car je te l'ai promis. Je ne voulais pas. Seulement, papa m'a prise de force. Il m'a fait mal. Et je me retrouve au milieu de tous ces bourgeois alors que je les déteste tous. Je veux juste rentrer à la maison. Je déteste être ici. Et puis le garçon que j'allais voir la nuit...Il me manque.
Un nouveau sanglot me secoue, mais j'ai l'impression d'un poids en moins sur mes épaules. Marie est bien la seule personne à qui je peux dire toute la vérité.
— Tu vas me détester pour ce que je vais te dire Alizée, mais c'est peut être parce que c'est le début? Peut être qu'avec le temps, tu sauras apprécier ta nouvelle vie? Je ne peux pas te dire d'oublier le garçon que tu aimes en quelques jours, ça prend énormément de temps, mais si tu arrives à te détacher de lui, peut être arriveras tu à te détacher un petit peu de la Terre.
— Mais il n'y a pas que lui. Il y a toi aussi. Mais ce n'est pas ça, Marie. Je ne m'habituerais jamais à cet endroit. Ce n'est pas chez moi, et ça ne le sera jamais. Terre est ma maison. Pas ici. Je me sens si seule. Bloquée. Emprisonnée. Avec comme seule compagnie mon père, mais il n'est plus comme avant. Il me fait peur.
— Alizée... Je suis vraiment désolé. C'est de ma faute, c'est moi qui t'ai forcée à monter dans cette fusée. Peut être que si j'aurais su que tu aurais été plus heureuse ici, je t'aurais aidé. Mais...l'idée que tu meurs, même en même temps que nous tous...je n'arrive pas à l'accepter.
— Qu'est ce que votre fille aurait voulu? je demande alors.
— Quoi ?
— Si votre fille avait eu le choix. Qu'est ce qu'elle aurait fait? Partir dans l'espace ou rester condamnée?
— Heu...Je, je ne sais pas...
— Vous n'avez aucune idée de ce qu'elle aurait fait ?
Un silence se fait au bout du fil. Puis enfin, la voix de Marie reprend, pas sûre d'elle.
— Tu sais Alizée, je travaille dans votre famille depuis plus de dix ans. A ce moment-là, ma fille devait avoir onze ans. Elle n'a qu'un an de plus que toi. A partir du moment où j'ai travaillé chez toi, j'ai vu de moins en moins ma fille. Deux fois par semaine, une fois, deux fois par mois, une fois par mois. Je n'ai pas été là pour elle dans son adolescence. Et quand j'étais là, avec elle, je n'étais pas la meilleure des mères. Je crois que ma fille était jalouse de toi. Car j'étais plus là pour toi que pour elle. J'avais l'impression que je ne pouvais pas t'abandonner, te laisser, car je n'avais pas le droit. Tu étais jeune, à moitié orpheline. Et je me suis tellement attachée à toi... C'est mon plus grand regret tu sais, de ne pas avoir profité de ma fille biologique. Car toi aussi tu es ma fille. La petite fille complètement perdue, noyée dans l'argent, et dans le manque de maternité. C'était il y a dix ans.
Silencieusement, une larme coule sur ma joue. Mais un sourire traverse mon visage. La fierté de pouvoir appeler quelqu'un "maman", et d'entendre quelqu'un m'appeler "ma fille". Et je pense alors à la fille de Marie, qui n'a pas eu de maman. Car c'est moi qui lui ai volé. J'ai envie de la rencontrer, de la prendre dans mes bras et lui demander d'être ma sœur. Car je me sens coupable, mais aussi car j'ai toujours voulu avoir une personne de mon âge à qui tout raconter. Mon sourire disparaît en pensant l'idée que j'ai causé le plus grand regret de Marie.
— Alors non, je ne sais pas ce qu'aurait choisi ma fille. Je ne la connais pas assez, répond enfin Marie.
— Tu as sept mois pour savoir ce qu'elle aurait choisi. N'en perd pas une journée Marie. Rattrape le maximum de temps perdu. C'est à toi de me faire une promesse.
C'est à Marie de verser une larme. Je n'ai pas besoin de la voir pour savoir qu'une petite goutte d'eau dévale sa joue à toute vitesse.
— Je te promets Alizée. Je te promets. Prends soin de toi.
— Toi aussi.
Avec émotions, le téléphone se coupe et le silence complet revient. Et je suis prête à accepter mon destin.
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