Chapitre 10


Je vais me reprendre en main. Je vais apprendre à aimer ma nouvelle vie. L'aimer, c'est un grand mot. Au moins la supporter. Je me lève ce matin, avant que mon père ne se soit réveiller. Je ne veux pas le croiser, même si je devrait bien l'affronter un jour ou l'autre. Je passe dans la salle de bain où je regarde mon reflet. J'ai l'impression que ce n'est plus du tout le même qu'il y a quatre jours. Mes cernes sont creusées, mes joues sont affinées, mes cheveux abîmés. Le miroir doit être modifié. Il doit renvoyer un faux reflet, je ne peux pas être aussi... changée. C'est sûrement encore l'un ce ces objets spatial futuriste qui n'ont rien à voir avec la réalité.

Les néons éclatants me font déjà mal à la tête. Je rentre dans la douche, pour la première fois depuis que je suis ici. Je me sens tellement sale. J'allume l'eau qui dévale par petites gouttes sur mes épaules. La légère apesanteur fait couler le filet d'eau plus doucement que la normale, et je sens à peine le poids des gouttes sur ma peau alors que le robinet tourné à fond.

Quand je sors de la douche, il doit être à peine cinq heures et demie du matin. J'ouvre un grand placard dans la salle de bain, comportant deux grandes piles de vêtement noir. Je prends dans la pile faite pour moi une combinaison, la même parmi tant d'autres. Je déteste cet uniforme qui me sers de vêtements. Ça me moule le corps, me sers, m'oppresse. Mais ce matin, je décide de l'ignorer. Je passe dans la cuisine, prend un paquet de gâteau et compose le code de sortie en priant pour que mon père ne l'ai pas changé. Je sors dans le couloir soulagé d'être libre, enfin si on peut appeler ça être libre. Je me dirige vers la salle de sport, en me trompant à deux reprises de chemin. Mes pieds retrouvent le sol quand je rentre à la salle et je m'assoie sur un banc dans la pièce. J'ouvre le paquet de gâteau et les avalant comme une goinfre, heureuse de retrouver la sensation du sucre sur ma langue. J'avale presque tout le paquet, laissant des miettes sur le sol. Je regarde ensuite les machines autour de moi. Et je n'ai vraiment aucune envie d'entretenir mon corps. Pourtant, mes jambes ne demandent que ça. Je monte sur un tapis roulant, le mets en marche et commence à marcher. Ça ne fait que trois jours que je n'ai pas réellement marcher, plus de dix mètres de suite en tout cas, et j'ai pourtant l'impression que ça fait une éternité que je n'ai pas réellement marché.

Mes pieds touchent le sol alternativement mais de façon irrégulière. Je ne me suis jamais rendu compte à quel point le sport est une activité inconnue pour moi. Je pense à toutes ces journées que j'ai passées dans mon lit sur Terre à me réfugier dans des univers qui ne sont pas les miens. Au final, je n'ai jamais fait de sport comme tous les gamins, de la danse, du combat ou d'autres trucs du genre. Et puis il y a eu Loïs. Loïs qui m'a fait sortir de ma grotte, de ma prison, quelque soit le temps qu'il faisait. Il était le seul univers que j'aimais hors de ceux des livres. Il était le seul qui me fasse bouger, monter sur un vélo, risqué le peu de confiance que mon père m'offrait. Et voilà que je repense à lui...Loïs.

Je m'arrête de courir et m'écroule sur le sol remplit de tapis. Je regrette de ne pas avoir pris de l'eau. Mais je n'ai pas tellement le temps de me morfondre, car j'ai déjà autre chose en tête. Je brûle d'envie de retourner dans la salle de verre - c'est comme ça que je l'ai prénommée - pour retrouver cette sensation de liberté que je ne trouve que là-bas. Je laisse mon paquet de gâteau sur le sol et sors de la salle de sport en ignorant mon corps qui me supplie de faire une pause.

***

Les étoiles se reflètent dans mes yeux gris, et mes lèvres s'étirent malgré moi. Je n'aime pas ce vaisseau. Mais ici? Je me demande comment l'Homme peut vivre sans voir ça. Quand je suis ici, j'ai l'impression que tous mes soucis s'envolent et se retrouvent aspirés dans les étoiles.

— Tu es encore là? Toi aussi tu as l'impression qu'ici on nage dans la paix?

Je me retourne d'un coup et me retrouve face à Malo. J'ai envie de lui coller mon poing à la figure. Il ne peux pas me laisser seule? Il s'attend à quoi! Que je lui dise de façon poétique que les étoiles qui brillent forment un peace and love dans l'espace? Il y a une minute, je pensais que cette pièce absorbait tous mes problèmes et voilà qu'ils reviennent.

— Non pas vraiment, je réponds en lui tournant le dos.

— Je rêve ou je t'énerve?

Oh Dieu ce qu'il m'énerve.

— Oui, on pourrais dire ça. Écoute, je ne vais pas dire un truc du genre "j'ai trouvé cet endroit avant toi donc c'est à moi" parce que je ne suis pas chiante, mais je le pense très fort.

Malo rigole un peu ce qui à le don de m'exaspérer.

— Oh, ok, alors désolé de te le dire, mais tu fais donc bien partie des personnes chiante. Et mademoiselle, je suis désolé de devoir te dire que cet endroit est public, et manque de chance pour toi, moi aussi j'aime beaucoup être ici. Tu vas devoir supporter ma compagnie.

Putain mais ce fils de riche vas pas me laisser tranquille ?! Je regrette tellement d'avoir voulu l'emmener avec moi hier pour s'échapper avec lui. Maintenant il se croit au dessus de tout. Je reste silencieuse, car c'est le mieux pour le moment, et aussi parce qu' il a raison. Il a autant le droit de rester ici que moi.

Malo flotte à quelques mètres de moi, les yeux rivés sur les étoiles. Je me surprends à le regarder. Lui ne me calcule pas. C'est à peine si il n'a pas déjà oublié ma présence. Mais moi, je n'arrive pas à détourner mes yeux de sa cicatrice. Elle à l'air d'avoir été faite il y a plus d'un an en tout cas. Et le pire c'est que ce n'est pas moche. Ça lui donne même...un charme? Je ne sais pas, mais j'ai toujours été habitué à côtoyer des personnes au visage sans défaut, refait de haut en bas. Le fait que Malo ai une cicatrice qu'il ne cache pas et qui ne le gêne pas me fait bizarre. Pas négativement.

La curiosité prend le dessus sur ma colère. C'est un vilain défaut que j'ai.

— Comment t'es tu fait ça? je lui demande.

Pas besoin de préciser plus de quoi je veux parler. Il saura de quoi je parle.

— Alors, tu supportes enfin ma présence?

— Réponds juste à ma question.

— Une tôle de fer m'est tombée dessus. En plein sur mon oeuil plus précisément. C'est pas du jolie jolie.

Je sens qu'il ne me dit pas tout à la manière dont sa pomme d'adam agglutine. Et je sens aussi qu'il ne faut pas que j'en demande plus. Je me mord l'intérieur des joues pour ne pas poser une autre question indiscrète. Celle qui me ferait apprendre ce qu'il me cache. Je sais qu'il n'a pas envie d'en parler, alors je reste silencieuse.

— Pourquoi tu veux revenir sur Terre en sachant que c'est un suicide? me demande alors Malo.

— Disons qu'ici il n'y a personne que j'aime ou qui m'aime. Mais il y a sur Terre deux personnes qui me retiennent et je préfère passer peu de temps avec ceux que j'aime qu'une vie entière seule. Et toi? Pourquoi courir au suicide?

— Je veux ne jamais oublier la sensation du soleil sur ma peau. Rester dans ce vaisseau serait oublier cette sensation.

En disant cela, le regard de Malo s'enfonce dans la boule de feu étincelante.

— Mais c'est trop tard, reprend-il, il faut croire que le lâche n'a pas sa place sous la caresse du vent.

Je ne comprends pas son allusion. Et ça m'énerve qu'il dise toutes ces phrases poétiques comme si nous étions dans une romance. Ici, nous sommes juste en enfer.

— Tu aurais fait quoi plus tard si la Terre n'avait pas perdu toutes ces secondes? je demande.

— J'aurais repris l'entreprise de mon père.

— Non, je voulais dire ce que tu aurais voulu faire.

— Oh. J'aurais bien aimé voyager, ou un truc comme ça. Une vie ou tu te réveille le matin sans savoir ce que tu vas faire et le découvrir en même temps que tu fais ta vie. Les gens ont trop tendance à prévoir ce qu'ils vont faire le reste de leur vie, leurs études, leurs lieux d'habitation. Ils vivent dans le futur au lieu de vivre dans le présent. Je veux une vie pleine d'imprévus au soleil.

— Les imprévus, tu les as. Le soleil, c'est sûr que c'est compliqué.

— Ouai...Et toi?

— J'aurais vécu dans un appartement deux pièces avec deux chats. Et avec quelqu'un que j'aime beaucoup. J'aurais travaillé dans une maison d'édition, enfin, ça m'aurait plus je pense. Oui, c'est ce que j'aurais aimé. Une vie simple, très simple. Le complexe, ce n'est pas mon truc.

Quand je pense à tout ce que j'ai loupé, tout ce que j'aurais pu faire, je peux empêcher les larmes de couler. Malo s'en rend compte car il détache ses yeux de l'univers. Il ne sait pas quoi faire, car il n'y a sûrement rien à faire en réalité. Il ouvre la bouche, la referme, cherche ses mots. Pendant que moi, les larmes qui dévalent sont de plus en plus nombreuses.

— Tu as dit que personne ne comptait pour toi ici. Je vais faire en sorte que si. Enfin je ne voulais pas dire que...

Malo est maladroit, mais je me surprends à ne pas être fâché. J'ai soudain honte de mes larmes et réponds le visage souriant.

— Et moi j'essayerais d'être ton soleil si tu veux.

Il sourit de soulagement en voyant que je ne m'énerve pas contre sa maladresse et à l'idée qu'il n'est pas seul.

— Mais je doute que mon nouveau soleil va vraiment me faire ressentir la chaleur sur ma peau, réplique t'il en souriant.

Je baisse les yeux, gênée par la tournure de la conversation. Malo comprend qu'il est allé un peu trop loin pour moi, et commence à partir.

— Tu vas où ?

— Ce n'est pas toi qui voulait rester seule?

Sur ce, il s'en va. Mais pourtant je n'ai jamais autant détesté la solitude.

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