Chapitre 26
Rennes, Ancienne Nation de Bretagne, 25 janvier 2078 – le lendemain
— Hua, prononça Harriet, nous n'avons pas encore mangé aujourd'hui.
Aucune réponse. Elle se répéta donc, penchée sur ses « comptes ». Cependant, cet étrange silence persista, jusqu'à ce qu'un mauvais pressentiment s'empare d'elle. Elle fronça les sourcils et étudia la pièce. Un profond choc retourna ses entrailles.
Des affaires avaient disparu, et Hua avec.
Deux tasses de thé reposaient en face d'elle et une senteur de mémé flottait dans la pièce. Ses draps étaient en bazar, ses deux oreillers se remettaient de la marque de leurs têtes enfoncées dedans cette nuit-ci. Mais c'était tout.
— Hua... ? appela-t-elle faiblement.
Elle se releva en chancelant, aussi perdue qu'une sénile sortie de son asile.
— Hua, tu es là ?
Sa voix fit hideusement écho dans le studio. Entre ses cloisons grises et ses deux lits en hauteur, au-delà même du pas de sa porte, dans le couloir et dans la cage d'escalier, elle ne reçut pas la moindre réponse.
Elle se précipita hors de son appartement, l'œil rond et le souffle haletant.
— Hua ! s'écria-t-elle. Hua, où tu es ?!
Elle n'attendit pas pour fouiller les moindres recoins du bâtiments. Grenier, premier et second et troisième et quatrième étage ; sa recherche ne déboucha nulle-part.
— Léa... ? tenta-t-elle, grelottante de pied en cap. Léa, tu es où ?
Elle descendit les marches avec précipitation et déboula dans la chambre de sa partenaire ; les vêtements posés avec soin sur son lit la heurtèrent en plein bide.
Non, Léa n'était pas là, se souvint-elle. Léa avait explosé en poussières il y avait dix jours de cela, dans ses bras.
Et Hua ? Hua, où était-il ? Lui ne pouvait pas « exploser en poussières ». Elle commença à se précipiter dans le corridor, pour se figer simplement.
« Harriet, je pars. »
Hua était parti la veille au soir. Et elle ne se souvenait plus même de ce qu'elle lui avait dit.
Harriet était seule.
Je suis seule.
Elle bloqua un long moment. Les souvenirs des jours précédents s'emboîtèrent peu à peu dans son esprit. Mémé était passée plusieurs fois pour prendre le thé ; Hua avait dit qu'il allait à Montaigu et elle avait refusé de le suivre ; et juste après l'annonce de son départ la veille, il avait explosé en sanglots.
Elle ne les entendit qu'à cet instant, avec plus de douze heures de retard. Elle vit Hua suffoquer contre elle sous ses plaintes et la prier de réagir. Et elle se rappela qu'elle lui avait dit que tout allait aller. Mais rien ne va.
Elle se laissa glisser contre une cloison au hasard. Elle n'y croyait pas, mais la vérité lui éclatait à la face. Elle était de nouveau seule comme trois ans auparavant. Quelle ironie, qu'elle ne se soit pas souvenue de ses dernières paroles.
Un rire haché fit trembloter ses poumons. Il vibra ensuite dans sa trachée, remonta sa gorge et franchit ses lèvres. Il la secoua ainsi un instant, avant de s'intensifier encore et encore jusqu'à ce qu'elle se gausse au risque de s'asphyxier, les bras croisés sur son ventre douloureux. Des larmes brouillèrent sa vue, tant cette ironie l'éclatait.
Et elle allait de nouveau connaître une longue solitude.
Ses gloussements se transformèrent aussitôt en hurlements. Elle se pencha en avant et agrippa ses cheveux ; de longues et puissantes plaintes sortirent de sa bouche tremblante. Ses yeux ronds fixaient du vide, des larmes en gouttaient en abondance et roulaient sur ses joues comme une violente averse. Elle avait mal à la trachée, elle manquait d'air, ses oreilles bourdonnaient, sa tête tournait.
Mais elle ne pouvait pas s'arrêter de s'égosiller. En réalité, elle s'époumona tant que quelqu'un se précipita à sa porte et y tambourina sans s'arrêter.
— Cassez-vous ! rugit-elle. Hors de ma putain de vue ! Laissez-moi ! Qu'est-ce que je vais faire de ma vie ?!
Brusque silence. Ses plaintes avaient cessé. Elle laissa retomber l'intégralité de ses membres ; derrière ses acouphènes, elle entendit cette personne partir en courant. Un enfant, comprit-elle à ses petits pas.
— C'est vrai..., énonça-t-elle. Qu'est-ce que je vais faire de ma vie, maintenant... ?
***
Montaigu, Ancienne Vendée Unie, 30 janvier 2078
Hua et Cat' déambulaient depuis trois jours dans les rues détruites de Montaigu. Cette ville était bien hideuse, comparée à Rennes ; elles différaient tant que Hua avait l'impression de se retrouver dans un autre pays. Et ce n'était pas pour lui déplaire.
Il changeait enfin d'air. Il ne lui manquait plus qu'à trouver ces personnes que Léa connaissait...
— Youhou ! s'extasia-t-on soudain.
Lui et Cat' cessèrent leur marche : au beau milieu du parking qu'ils allaient emprunter, quelqu'un à la tresse brune en bazar venait de rouler sur le goudron, et se relevait désormais en grimaçant. Elle venait de sauter du haut d'une ancienne boutique.
Du haut d'une ancienne boutique ?!
On tourna sa face pâle vers eux ; ses épais sourcils se froncèrent à leur vue. Cette personne se releva en époussetant son jean trempé et plissa ses grands yeux bruns et cernés.
— Yo, vous êtes qui ? J'ai jamais vu votre tête dans le coin.
Hua ravala sa salive dans l'espoir de dénouer sa gorge. Un nouvel espoir le poussa à ouvrir la bouche.
— Vous êtes Jade ? hésita-t-il.
On haussa aussitôt les sourcils.
— Je suis si réputée que ça ?
Le soulagement de Hua fut de courte durée. Certes, cette jeune femme s'appelait Jade, venait de sauter d'un toit et semblait bien fêlée, mais il manquait encore un élément pour confirmer que c'était la Jade qu'il cherchait.
Cat' lui frappa alors le dos : il toussota un instant, pour affronter, craintif, le regard de cette individue.
— « Yo, les rigolos »... ?
En voyant sa réaction, Hua chuta pour de bon à terre.
Il avait trouvé. Il pouvait partir autre-part, se trouver un autre endroit où vivre et recommencer une nouvelle vie. Tout allait bien se passer. Tout est derrière... Il cramponna sa main sur son sac, et sentit la boîte contenant les poussières de Meng. Puis, il reprit la parole d'un ton chevrotant.
— Je m'appelle Hua, et j'ai besoin de votre aide.
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