Chapitre 4
The fuck, pensa Akane, désabusée. Elle jeta son adresse dans « indésirables » en deux clics et retourna vers sa baignoire, ensuite arrêtée par une autre notification. La colère la prit pour de bon en étau ; elle lâcha une insulte en voyant un ô étrange « user14159635 » la contacter sur son Instagram privé. Akane le bloqua, il lui envoya un message Messenger, elle le bloqua, il tenta WhatsApp, elle le bloqua, il finit par Discord, elle manqua de s'étouffer avec sa salive.
D'où il connaît mon hashtag privé ?!
user14159635 : ok, ok, pardon ! Je voulais juste faire une ref' à mon surnom !
Mmh, voyons voir. Cliquer sur un message Discord ne me filera pas un virus quelconque. Je le bloque aussi ici ? Non, attends, « big brother » ? Big Brother, Big Bro... Oh l'enfoiré !
— Oscar, beugla-t-elle, t'es en contact avec Big Bro ?!
— Sous un post 4chan ! répondit-il d'une voix étouffée par la porte.
— Y a une quelconque mention de moi sur ton téléphone ?!
— Je t'envoie des messages...
D'accord, Big Bro m'a peut-être retrouvée et tente de me contacter. Mais qu'en avait-elle à foutre ? Pas mal de choses, en réalité. Toutefois, de là à répondre à ce Big Bro alors qu'Oscar s'en chargeait déjà, très peu pour elle. Elle lui laissa donc son plus beau vent avant d'aller enfin se doucher.
Quand elle ressortit, il ne lui avait envoyée pas moins de dix messages. Entre des « sorry » et autres « je viens juste au sujet de Black Yaourt », il mentionnait brièvement Oscar et 4chan. Si c'était en effet Big Bro, banco. Sinon, ta mère.
Akanyan, 11:51 : Dis-m'en plus.
user14159635, 11:51 : j'ai déjà envoyé onze messages ?
Akanyan, 11:52 : Comment tu as trouvé mes contacts, pourquoi tu viens me contacter moi et d'où tu connais mon hashtag
user14159635, 11:53 : je n'ai hacké aucun de tes comptes, promis ! je n'ai fouillé que le tel de Kyouma et j'ai vu tes contacts
Akanyan, 11:53 : Kyouma ?
user14159635, 11:53 : ton camarade
Oscar s'était renommé Kyouma. Mais quel con. C'est quoi, cet alias pourri ? Il essaie de se faire passer pour un weeb ou un japonais ?
Au moins Akane savait-elle que Big Bro parlait français et savait en effet « hacker » deux-trois trucs. Elle poussa un long soupir.
user14159635, 11:55 : dans tous les cas, j'ai lu entre les lignes et en ai tiré qu'il y avait une histoire étrange avec le groupe de metal Black Yaourt, qu'est-ce qu'il se passe ?
Akanyan, 11:55 : L'histoire est un peu complexe. Avant tout, tu peux te renommer ? Ton pseudonyme est assez laid, j'ai l'impression de parler à un bot.
user14159635, 11:55 : oh, certes, navré
Big Bro, 11:56 : je suppose que c'est mieux. et du coup, Black Yaourt ?
Communication, se rappela la jeune femme avant de répondre. Une fois rhabillée, elle se dirigea droit vers le salon et s'affala sur son sofa, juste à la droite d'Oscar. Elle remarqua Katsumi plus loin dans le couloir, en train de descendre soigneusement ses affaires dans le sous-sol. Elle ne sut plus si elle devait se réjouir de voir tant de monde ici.
— Oscar, Big Bro a essayé de me contacter par mail, Instagram, WhatsApp et Messenger, a aussi tenté de m'appeler, puis a trouvé mon Discord. Il demande quel est le problème avec le groupe de musique Black Yaourt. Tu veux que je réponde quoi ?
Il fronça le nez.
— La vérité ?
— S'il est capable de me contacter comme ça, d'autres pourraient lire notre conversation – au hasard, l'un des Quatre.
— Il avait été souligné à la télévision qu'aucun n'avait eu recours au piratage. Au contraire, c'était Big Bro qui les avait retrouvés après beaucoup de recherches. Donc ça devrait être faisable...
— Donc je lui explique toute ton histoire par Discord ? Comme ça, tac, alors que c'est un réseau social extrêmement utilisé et facilement traçable ? Tu m'excuseras, mais je ne suis pas d'accord.
Elle croisa ses mains devant son visage.
— On va parler sur AO3.
— Le site de fanfictions complètement pétées ?! s'étrangla Oscar.
— Précisément ! Qui viendrait causer de Black Yaourt là-bas ? Allez, let's go, s'enjoua-t-elle faussement.
— Akanyan...
La voix de Katsumi lui retourna les tripes. Elle se tourna néanmoins vers elle d'un regard inquisiteur.
— Tu sais que si on te trace, on verra facilement que tu es sur AO3.
— Alors quoi ?
L'américaine secoua son propre téléphone.
— Utilise le mien.
Ça revient au même, non ? Mais puisqu'on assaillait Akane des deux côtés, elle accepta la proposition de Katsumi – qui afficha un grand sourire.
— En échange, je peux voir le tien ?! tenta-t-elle, des étoiles dans les yeux.
— Non.
— Oh.
Mais ça fonctionnera vraiment, de simplement changer de téléphone ? Autant demander à ce Big Bro. Elle lui expliqua la situation, son point de vue, l'idée lumineuse de naviguer sur AO3.
Big Bro, 12:04 : Akanyan... si tu viens de mentionner AO3 sur notre convo et qu'ils la piratent, c'est déjà grillé.
Akanyan, 12:05 : Ah. Merde.
Elle se creusa donc encore la tête. Comment échangeait-on sur des sujets top secrets ? Comment devenir quasiment intraçable ? Avec un Nokia 8210, peut-être. Ce n'était pas parfait, mais rendrait la tâche bien plus difficile à ceux souhaitant éventuellement espionner leurs conversations.
Tout ça pour un virus qui s'appelle Black Yaourt.
Akane cessa de se demander pourquoi elle devait discutailler avec Big Bro. Ça aurait dû être le rôle d'Oscar. Cela dit, si Big Bro a un problème de sécurité, je serai immédiatement prévenue et pourrai foncer à sa rescousse ! Ce n'est pas du tout pour m'occuper les mains et arrêter de juste mater Oscar en train de faire tout le boulot...
Et ainsi partit-elle à la recherche d'un vieux téléphone et d'un numéro aléatoire.
***
Fougères, quelques jours plus tard
— Merci, Monsieur, remercia une dernière fois Akane avant de quitter le magasin.
Elle regarda son beau Nokia 8210 « personnalisé » et « vraiment ultra intraçable ». D'après Big Bro, il serait bien plus ardu de voir ce qu'elle envoyait via ce téléphone ; il lui avait ensuite demandé de juste lui faire confiance.
S'il avait bossé contre les Quatre de Danone, Akane ne voyait pas de raison de refuser. Mais le risque zéro n'existait pas. Elle allait prendre garde à toujours parler de Black Yaourt, et uniquement de Black Yaourt, rien d'autre que Black Yaourt, car Black Yaourt ne servait pas à faire ami-ami avec des inconnus hackers.
Elle mettait déjà les pieds dans une conspiration ridicule. Je ne compte pas m'enfoncer dans un merdier noir.
Elle fourra son tout nouveau téléphone avec un tout nouveau numéro dans son sac, saisit son vélo rangé contre un buisson et repartit en direction de Rennes. Des véloroutes, de nombreux champs et un croisement un poil dangereux de transports en commun plus tard, elle déboula dans Bruz, lâcha un « bruh » en voyant une moto en panne au beau milieu d'une allée et rentra enfin chez elle.
Naturellement, sur son canapé se courbait leur cher vieil Oscar, et de violents coups sur son mannequin de frappe remontaient de son sous-sol. Katsumi bosse dur, on dirait.
— Du nouveau ? s'enquit-elle auprès du physicien.
— J'ai trouvé sur le board « nourriture » de 4chan un anonyme parlant de Danone.
Il désigna le post en question. L'utilisateur avait posté une photo d'une Danette caramel au beurre salé. « danone going too far w/ britanny culture lmao », avait-il mis en légende. Peu de personnes avaient répondu : Akane ne lut qu'un « Caramel danette from my town's convenience store tastes good, what's the difference btw this and our caramel flavor? »
— Oscar... Vous êtes sûr que l'un des Quatre aurait posté ça sur 4chan ? Ça m'a l'air trop claqué.
— Je ne sais pas. Il faut attendre le verdict de Big Bro.
Après un soupir, Akane alluma son Nokia et contacta leur hacker favori. Elle lui recopia avec labeur le lien vers ce post, ajouta un « un des Quatre ? » et repartit se mêler de ses propres affaires. C'était-à-dire, s'accroupir devant son frigidaire en examinant un exemplaire d'un Black Yaourt.
Que l'un d'entre eux l'ouvre, et ils étaient fichus. Une pandémie pouvait éclater dans Bruz et s'étaler à Rennes, puis à la Bretagne toute entière. Et cette fois-ci, ce ne serait pas Danone qu'on blâmerait, mais Akane, qui avait été peu encline à se mêler de toute cette histoire. Elle se laissa doucement hypnotiser par ce yaourt maudit.
Et maintenant, qu'est-ce que je fais ? Je rejoins Katsumi pour une petite baston ou je me voue entièrement à mon rôle de porte-parole entre Big Bro et Oscar ? Ça ne me...
La sonnerie de son Nokia l'extirpa soudain de ses pensées. Elle le ramassa sans grande conviction.
« C'est soit jojo, soit brice nice », avait écit Big Bro. « de ce que j'en sais, gaëlle ne serait pas en état psychologique de naviguer sur un site comme 4chan. Corrige-moi si ta tante pourrait aimer ce genre de site. »
Ça tombait à pic : Akane n'en avait aucune idée.
Elle reluqua son smartphone un instant. Si elle prenait des nouvelles de tata Béné', peut-être pourrait-elle récolter deux-trois infos. Elle poussa un court soupir avant d'informer Oscar de cet appel et partit dans sa chambre.
Une sonnerie. Deux sonneries. Trop de sonneries.
Les yeux d'Akane analysèrent sa vaste chambre de plus en plus bordélique. Elle ne dégageait que l'espace que ses viewers voyaient. Du reste, linge sale, manuels, boîtes de jeux vidéos et bouteilles d'eau vides jonchaient le sol ou s'empilaient sur des étagères. Le fond de la pièce ressemblait à un vrai débarras ; à peine chatouillé par les rayons du soleil, l'ombre le noyait, et seules de vagues formes en ressortaient. Porte des enfers, tanière d'un démon, trou à rats...
— Oui, allô ? l'interrompit soudain la voix de sa tante.
Akane sursauta.
— Bonjour tata, c'est Akane.
— Oh ! s'exclama-t-elle. C'est une surprise, tu es la plus discrète de tous. Tu vas bien ?
Elle étudia ses genoux d'un air sombre.
Akane était « la plus discrète », disait tata Béné'. « La plus ». Car beaucoup étaient retournés dans leur tanière après le suicide de son autre tante. Son ton ne dissimulait qu'à moitié sa douleur. Même au bout de tout ce temps, Bénédicte n'avait pas fait son deuil, et la jeune femme l'entendit tant que son cœur se serra.
Cette femme trafiquait-elle vraiment des Danettes ?
— Je viens aux nouvelles, confirma-t-elle. Je vais bien, toujours chez moi à retrouver un rythme de vie stable. Et toi ?
Court silence.
— Ça va aussi, assura alors Bénédicte. Le chien se porte bien et la voisine vient me rendre visite tous les week-ends. Je n'ai pas de quoi m'ennuyer, décidément !
— J'imagine.
— Tu ne comptes toujours pas trouver un labo de chimie ? Il y en a un très réputé à Rennes, tu sais.
— Oh, je suis bien comme ça, le monde de la recherche est plutôt dur. Rempli de doctorants hautains, tu connais.
— Je n'ai jamais vu ça dans mon équipe de recherche.
Ça part bien, elle a mis le sujet de Danone sur le tapis à ma place.
— Comment ça ?
— L'équipe dans laquelle je travaille en agro-alimentaire avait de très bons éléments ! De vraies crèmes.
— Avait ?
— Ils ont démissionné.
Akane se tut un instant. Comment creuser encore ? Avec le plus de simplicité possible, décida-t-elle.
— Pourquoi, si l'équipe était bonne ?
— Des problèmes personnels qu'ils n'ont pas pu régler.
— Oh. Je suis désolée d'entendre ça.
Joseph Jordan avait donc aussi rencontré des soucis. Mais vraiment, quel était le rapport avec Danone, d'où venait une telle hargne ? C'était quand même gros, de souhaiter faire tomber la firme.
— L'équipe doit leur manquer, murmura-t-elle.
— L'équipe, oui. L'entreprise, non.
Cette fois-ci, Akane la laissa simplement continuer.
— Les patrons en ont trop demandé. Burn-out. Mais un arrêt maladie était très mal vu des boss. Même avec l'aide des syndicats, ils auraient trouvé un moyen de leur arracher quelques plumes, expliqua Bénédicte, de plus en plus dégoûtée. Ils ont donc démissionné « à l'amiable » et se retrouvent au chômage. Ce n'est qu'une question de temps avant qu'ils puissent dénicher un travail qui paie bien et a de bonnes conditions.
— Ça a l'air d'être un enfer...
Sa tante prit une courte inspiration.
— Un peu, tempéra-t-elle. Mais ils s'en sortiront, ils sont pleins de ressources.
Sur ce, elle dévia leur conversation sur d'autres sujets, plus triviaux, sans intérêt. Elle devint bientôt mécanique, et trouva sa fin au bout d'à peine cinq minutes.
Lorsqu'elles raccrochèrent, Akane jeta son téléphone sur son matelas et se prit la tête dans les mains. Oui, sa tante avait une sacrée dent contre Danone. Elle l'avait vue plus fermée et irritée depuis le suicide de sa sœur, mais de là à s'emporter ouvertement...
Je ne veux pas y croire. Tata Béné' n'aurait jamais planifié une telle chose avant. La mort de sa sœur l'a tant impactée que ça... ?
Bien sûr que oui. On parlait ici d'un suicide. Et au beau milieu de sa souffrance, elle avait visiblement dû continuer à bosser, puis vu deux de ses collègues les quitter à cause d'une charge de travail trop importante. Qui n'aurait pas développé une telle rancœur ? Qui ne souhaiterait pas voir ses patrons s'écrouler par pure soif de vengeance ?
Joseph Jordan, Gaëlle Dupont et Bénédicte étaient humains. Ils se donnaient corps et âme pour la mettre bien profond à Danone. Mais d'habitude, on serait passé par la justice, des syndicats, des fuites de gros dossiers peut-être.
En bref, ils pétaient un plomb – explicable sans être justifiable. Akane saisissait bien mieux la « honte » de son alter-ego du futur ayant parlé sur Arte. Elle avait honte, oui. Plus loin encore, elle ressentait de la pitié pour eux. Ils s'enfonçaient dans un vrai bordel allant leur apporter de lourdes peines et semblaient se cacher les yeux et se boucher les oreilles, butés ainsi dans leurs plans.
Une raison de plus pour arrêter leur folie : Oscar allait sauver les Quatre d'une erreur fatale, d'un vrai désastre.
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