Chapitre 17 : Ses yeux
Je n'ai pas eu envie de me retourner. Je savais qu'elle était là, juste derrière moi, la fille aux yeux verts.
Celle qui est toujours toute seule, qui fixe le lointain par la fenêtre du troisième étage et qui se mure dans un silence de glace.
Ses longs cils clignent à peine, et quand c'est le cas, le mouvement est si lent qu'on se croirait au ralenti.
Elle vient d'une autre dimension.
La fille aux yeux verts a cette aura froide mais étrangement douce, comme une strangulation amoureuse. Drôle de comparaison... et autour d'elle émane un champ magnétique qui m'attire et me repousse en même temps. Ça m'intrigue. Cette réaction que je ne maîtrise pas, cet effet qu'elle a sur moi, je veux en comprendre l'origine. Je veux savoir pourquoi elle ne me remarque pas, qu'elle préfère s'évader à travers le ciel grisé que me regarder moi.
Parfois je me surprends à espérer qu'elle pense à moi, le garçon de la troisième rangée. Et alors, si jamais cela arrivait, je lui chanterais « Tu verras », même si je ne sais pas chanter. Le matin du monde n'est jamais trop loin pour elle. Je ne la connais pas, elle ne me connais pas non plus. Pourtant j'irais jusqu'aux plages de sable fin et jusqu'aux arbres tropicaux pour ses beaux yeux. Rien que pour ses beaux yeux. Et rien d'autre.
Puisqu'elle ne me voit pas, j'attends.
J'ai l'impression que nous regardons dans la même direction, mais pas la même chose.
J'aurais put penser que c'était drôle, légèrement drôle. Mais je trouve trop de choses drôle. Je suis nonchalant, pas assez vigoureux et trop résilient. Je n'aime pas ça. Je pourrais accepter qu'elle ne pose jamais ses beaux yeux sur moi, sans trop de problèmes à vrai dire, mais je ne veux pas. Ce serait trop facile.
J'ai passé tellement de temps à l'observer de ma chaise que j'ai fini par remarquer son visage atypique : un long nez fin, des joues bien rondes et un menton en avant. Des cils retroussés et des pupilles profondes, un regard pénétrant.
Un jour, elle a vu que je la regardais. Alors elle s'est tourné et m'a dévisagé à son tour avec ces yeux là.
J'ai écris dans mon carnet de cours : « Je frissonne. Je me sens fébrile. Je déglutit. Elle m'impressionne, elle semble immense et puissante, avec ses beaux cheveux blonds. C'est dingue comme sensation. C'est une nuée de battement d'ailes dans mon estomac. Une nuée de parasites, de larve qui naissent et s'accrochent aux parois. »
J'ai fais semblant de ne l'avoir jamais admirée de loin en me disant :
« merde, c'quelle est belle »
C'est tout con comme phrase, mais je suis sûre qu'aucun mec ne lui a dit. Ni ne lui dit.
Moi, je suis pas bien différent d'eux. Mais au moins je suis le seul à y songer. Enfin, ça je n'en suis pas bien sûr non plus, néanmoins c'est une idée qui se balade dans mon corps, dans ma tête et dans mes rêves la nuit. Il y a bien un jour où je ne pourrai plus la retenir...
Devant le lycée, je la vois partir à toute vitesse avec les écouteurs enfoncés dans ses oreilles le lundi soir. Le mardi soir aussi. Et le mercredi c'est le midi. Mais elle ne se retourne jamais.
Moi, je reste là, à la regarder de loin en espérant qu'un jour peut-être j'ai le cran d'aller vers elle. Ou qu'elle ait l'envie soudaine de faire demi tour et de venir se jeter dans mes bras. Ce serait une si belle scène, avec le soleil couchant derrière nous et les voitures bourdonnantes à côté.
Il coulerait une bille d'eau sur sa joue, elle aurait enfouie sa tête dans le creux de mon cou et me murmurerait doucement quelque chose comme :
« Tu m'as manqué » ou « Je te vois enfin ».
À mon tour, je pleurerais. À chaudes larmes. Je lui répondrait qu'à moi aussi, que moi aussi, tout en resserrant tendrement notre étreinte. J'oserai même poser un doux baiser dans sa nuque, et caresser ses cheveux de ma main tremblante.
Ensuite, on rentrerait ensemble. On enlacerait nos doigts ensemble, et je me sentirais finalement complet. Je la déposerait chez elle, elle rentrera, laissant choir son sac au sol carrelé de la cuisine, et s'empressera de monter jusque sur son balcon, d'où elle me fera un "coucou" joyeux, le sourire aux lèvres.
Ce moment là, je vendrais mon âme au diable pour le vivre à l'infini.
Puis, elle s'éclipserait dans sa chambre, et je devrais partir. En rentrant, je me sentirais léger et beau.
Mais ce n'est qu'une fantaisie, en réalité, je ne la connais pas et elle non plus ne se connait pas. J'en suis sûr. Par analogie, elle ne me connait qu'encore moins d'ailleurs !
Triste vérité que j'ai là.
C'est une jolie histoire d'amour cependant. Et je me sens bien de seulement la vivre mentalement.
Je n'ai pas besoin de la sentir, plonger dans ses yeux est déjà amplement suffisant. Et dans ce bassin d'iris je me laisse flotter, submerger, écouter et couler. Jusqu'à la fin, ses yeux m'auront donné des frissons.
"Comment tu t'appelles ?
_ Je n'ai pas de nom.
_ Pas de nom ?
_ Non.
_ Je peux t'en donner un ?
_ Ça ne me dérangerait pas.
_ Iris„
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