Chapitre 12 : L'ennui

L'ennui est un concept que je qualifierais de relativement normal au premier abord, propre à tous.

Mais lorsqu'il s'avère dangereusement mortel, je ne l'appréhende pas de la même manière. D'un coup, il paraît plus féroce, plus mesquin et fourbe.

Et dans ces moments là je ne peux rien faire d'autre que de fermer des yeux et d'espérer qu'il passe son chemin.
Sous ma couette, comme une enfant se cachant du monstre sous son lit, je rallume lentement la lumière, sans un bruit, pour ne pas qu'il m'attrape.

Je me sens toujours mal à l'aise parce qu'il me rappelle étrangement une figure familière, mais que je n'ai jamais vu. Il m'est absolument inconnu. Et c'est effrayant.

Parfois, j'aimerai le prendre par le bras et l'entraîner pour qu'on danse un peu, lui et moi. J'aurai moins peur.

Je lui apprendrai une valse imaginaire que je ne connais pas, et il me suivrait. Il me marcherait sur les pieds à certains moments, et je soufflerais comme si c'était drôle.

Ce serait beau comme scène. Mais bien trop idyllique. Assez pour qu'elle ne reste qu'un doux rêve parfumé qui n'existe que dans ma tête.

Je soupire, puis je pose ma tête contre la rambarde de fer froid. C'est celle du couloir numéro 3 dans l'aile ouest du bâtiment C. C'est un long corridor où le chauffage est cassé, et je dois me recroqueviller pour ressentir un peu de chaleur. Mais ici, il n'y a personne et c'est calme, tellement calme qu'on dirait que c'est les vacances et que tout le monde a quitté le lycée.

Ce que j'aime de cet endroit, c'est qu'il me ressemble et qui se ressemble s'assemble.

Si je veux, ici, je peux danser, gesticuler, et personne ne peut rien me dire. Si je veux, ici, je peux hurler, ça résonnera, tout semblera tristement vide, mais je peux le faire et ça me plaît beaucoup.

Je viens ici quand je m'ennuie, entre la pose du midi et le cours de maths de Monsieur Dart.

C'est joli, on se croirait dans un palais de glace, dans une immense toile d'araignée, coincée dans une maison fermée à clef.

C'est chaleureux ici. Personne ne me juge et personne ne le peut ni le veut. Car il n'y a personne. Je suis la seule à connaître ce couloir du bâtiment C et cette rambarde froide et grise. La seule à savoir combien le papier peint est hideux et depeint. Combien il se détache et jonche le sol par petits bouts.

C'est mon repaire, mon endroit favorit avec l'ennui.

Je m'endors, encore, en attendant la sonnerie qui me sortira de mon court trépas.

Rien ne dure jamais, j'en suis témoin et même la mort ne peut nous garder longtemps étreints. Alors je ne m'inquiète pas de la cocaïne qui circule dans mon sang et qui fait gonfler mes veines. Ni du bruit incessant de la mouche qui vole autour de moi. Ni de quoi que ce soit qui nécessiterait que je m'y attarde.

La douleur est un concept supportable et rien de plus. Qu'il y ait une rivière de larmes rouges ou d'immenses flammes burlesque qui m'envahissent le coeur, ça ne me fait rien. Même pas un petit pincement aux lèvres.

L'impassibilité se coince dans mes yeux et refuse de descendre vers mes viscères, alors je fixe le mur en me disant qu'il est sûrement glacé lui aussi.

Dans ma petite prison de stalactites, les stalagmites s'annoncent. Ils sortent progressivement du sol avec leurs pics acérés qui pourraient facilement m'empaler.

Quand ça finit par arriver, je ressens chaque picotement contre ma peau de leur corps gelés; chaque parties s'enfoncer un peu plus en moi, puis, d'un coup, tout explose et ça gicle.

Je me demande si quelqu'un me trouvera, dans ma prison glacée du bâtiment C.

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