New York, District of Columbia
11 mois plus tôt, NYC
- Vous ne pourrez plus jamais danser, Monsieur Park. Nous avons pu vous opérer de votre rupture des ligaments, mais votre cheville reste fragile. Si vous continuez de la solliciter, vous risquez de rester infirme jusqu'à la fin de vos jours.
Prostré dans une ruelle déserte, Jimin sanglotait en se remémorant les paroles du médecin.
Sa vie était foutue.
Tout s'écroulait ... Ses rêves, son avenir, l'essence même de son existence.
Depuis aussi loin qu'il se souvienne, il avait voulu fouler les planches des théâtres de Broadway, danser, chanter pour toucher les étoiles au firmament.
Il y avait tout sacrifier.
Sa famille, qui ne comprenant pas l'intérêt d'une telle passion, l'avait mis à la porte à dix-huit ans, lui targuant de ne jamais remettre les pieds chez eux, de grandir, de se trouver un vrai travail et pas un passe-temps d'homosexuel.
Sa santé, en cumulant les petits boulots pour pouvoir payer ses cours de danse et de chants, puis plus tard, le billet d'avion vers son rêve, allant jusqu'à se priver de nourriture pour économiser quelques centimes.
Sa fierté, quand faute d'argent, il avait dû partager les dortoirs miteux mis à disposition des sans-abris, laver son linge dans des lavabos publics et se contenter de l'eau froide des vestiaires de la salle de danse pour faire sa toilette.
Sa jeunesse, où, obnubilé par son rêve, il avait mis en sommeil sa vie sociale, s'interdisant de fréquenter les jeunes de son âge dont les préoccupations étaient diamétralement opposées aux siennes.
Mais malgré toutes ces difficultés, il avait continué d'y croire.
Du jour où ses pieds avaient foulé la 42ᵉ Rue bordée par les théâtres jouant les plus grandes comédies musicales de New York, il ne se souviendrait que du sentiment d'euphorie.
Pourtant, la galère avait continué, muni seulement des vêtements qu'il portait sur le dos, d'un visa temporaire et d'un maigre sac à dos, il avait été percuté de plein fouet par la difficulté de ceux qui se lançaient à la poursuite du rêve américain.
Il avait réussi à trouver une chambre dans un motel délabré où les filles de joie louaient leurs services à l'heure. Puis il avait été embauché illégalement dans un restaurant asiatique, qui ne l'était d'ailleurs que de nom, faute de permis de travail.
Il avait accumulé les heures pour une maigre pitance qui lui permettait à peine de payer son loyer. Faute de pouvoir se nourrir convenablement, il en avait été réduit à se servir dans les restes des clients.
Les maigres économies qu'il avait constituées avant son départ avaient majoritairement financé le prix exorbitant du billet d'avion.
Durant le peu de temps libre qu'il avait, il courait les auditions, épuisé par le manque de sommeil et de nourriture, effaré du nombre de personnes qui tentaient leurs chances sur les planches.
Et un jour, enfin, il avait réussi.
Il avait auditionné pour une troupe de danse qui se constituait dans le cadre de l'adaptation d'une comédie musicale anglaise à succès.
Son niveau de danse était excellent, il avait séduit le jury par sa grâce innée et avait été retenu.
Sa vie avait alors changé du jour au lendemain.
Il avait pu quitter sa chambre d'hôtel miteuse pour intégrer les dortoirs mis à disposition des danseurs. Ses papiers avaient été régularisés par la Compagnie de danse. Il avait même réussi à s'inscrire à des cours d'anglais payés par son premier salaire.
Comme dans un conte de fées, les bonheurs s'étaient enchaînés les uns derrière les autres.
Mais la vie est parfois une garce.
On dit qu'elle prend plus qu'elle ne donne.
...
Les entraînements duraient depuis six mois, la Première approchait à grands pas.
Les heures d'entraînement se succédaient, vidant leurs forces, faisant souffrir leurs muscles.
Certains craquaient sous la pression, mais lui ne lâchait rien. Il dansait pour son rêve, il dansait pour sa vie, celle dont il avait fait le croquis dans ses rêves.
Sa cheville après une mauvaise réception devint douloureuse, un peu plus chaque jour, pourtant il ignora les signaux d'alerte que lui lançait son corps à grands renforts d'antalgiques et de bombes de froid.
Puis l'incident était arrivé, lors d'un mouvement, il s'était écroulé, incapable de se relever.
Il était resté silencieux alors que les secours l'amenaient à l'hôpital.
Il était parfaitement conscient de la gravité de sa blessure, mais refusait encore l'évidence qui se profilait.
Il avait dû être opéré en urgence, encore bercé par l'espoir utopique qu'il pourrait reprendre la danse après quelques semaines de repos.
Le diagnostic n'avait pas été celui escompté, la Compagnie avait été mise au courant et aussi vite que la chance était arrivée, elle était repartie.
Il avait été congédié puis remplacé.
Son contrat avait été rompu sans préavis, laissant l'opportunité à d'autres, qui n'attendaient que cela, de prendre sa place. Il avait perdu son logement et son rêve, ce fidèle compagnon qui l'avait tenu vivant toutes ces années.
Il était revenu au point de départ, seul, sans emploi et pratiquement sans argent, pleurant sous la pluie dans un pays étranger, sans aucune perspective, sans le moindre espoir.
À qui aurait-il pu demander de l'aide ? Ses meilleurs amis étaient ses chaussons de danse, ses parents l'avaient renié et il n'avait même pas de petit ami dans les bras duquel se réfugier.
Non pas que son physique ne lui permette pas, Jimin était à la beauté ce qu'un chef-d'œuvre est à l'art, sa plus belle expression.
Au moment où le désespoir menaçait de l'engloutir, une main se tendit.
Jeon Jungkook venait d'entrer dans sa vie.
...
Il ne se remémorait pas avec précision les échanges qui avaient suivi cette rencontre, il ne se souvenait que des sensations qu'il avait ressenties.
Il avait levé les yeux vers cet inconnu qui lui parlait calmement dans sa langue natale, sans même qu'il saisisse le sens de ses propos.
Il s'était senti envahi d'une douce torpeur avant de glisser dans les profondeurs de l'oubli.
Il se réveilla dans une chambre d'hôtel dont l'environnement lui sembla extrêmement luxueux par rapport à ce qu'il avait connu depuis son arrivée aux États-Unis.
Un inconnu se tenait assis sur un fauteuil qui faisait face au lit, plongé dans la lecture d'un guide touristique sur la Colombie. Son visage lui était vaguement familier.
Il portait un simple jean et un t-shirt noir qui mettait en valeur ses épaules bien dessinées. Ses cheveux noirs retombaient en mèches soyeuses sur son front.
Jimin regarda autour de lui et vit que ses maigres affaires avaient été rangées dans un coin de la pièce, puis son regard revint sur l'homme.
Celui-ci dû sentir un changement, car il releva la tête de son livre.
- Enfin revenu parmi nous ?
Sa voix était aussi douce que du velours.
- Qui êtes-vous ? demanda Jimin en remontant la couette sur son corps en guise de protection.
L'homme, qui avait vu son geste, leva un sourcil interrogateur avant qu'un sourire rassurant ne vienne étirer ses lèvres.
- Ne t'inquiète pas, tu n'as rien à craindre de moi.
Jimin se détendit légèrement, mais resta malgré tout sur ses gardes, un million d'idées plus effrayantes les unes que les autres lui venaient à l'esprit.
- Que voulez-vous ? Pourquoi m'avez-vous amené ici ?
- Détends-toi et tutoie-moi, on doit avoir sensiblement le même âge. Je te l'ai dit, tu n'as rien à craindre de moi. Je t'ai ramené ici après que tu t'es évanoui dans la ruelle.
- C'était vous... Enfin, c'était toi dans la ruelle ? demanda Jimin en adoptant le tutoiement avec une facilité qui le déconcerta.
- Oui
- Pourquoi ? bredouilla Jimin.
Le regard de l'homme se voila un bref instant avant qu'il ne réponde.
- Parce qu'il m'a semblé que tu avais besoin d'aide et parce que quelqu'un m'a tendu la main quand je me suis retrouvé dans la même situation que toi...
Jimin baissa les yeux sur ses mains qui tenaient toujours la couette, la froissant de nervosité entre ses doigts.
- Pourquoi voudriez-vous m'aider ? Vous ne connaissez rien de moi ou de ma vie, murmura-t-il.
Il passa la main sur sa joue alors qu'une larme solitaire s'échappait de ses yeux, honteux de se retrouver si faible devant cet inconnu.
Celui-ci se leva et s'approcha lentement du lit, comme pour ne pas l'effrayer.
Jimin écarquilla les yeux de surprise quand il le vit prendre place près de lui.
- Écoute, je ne connais pas ta vie, c'est vrai, mais je sais reconnaître quelqu'un qui est arrivé en fin de course, dit-il d'une voix douce. Je ne te demande rien, tu n'es pas obligé de me raconter ton histoire si tu ne le désires pas, mais si tu le souhaites, je peux t'aider, du moins essayer.
Voyant que Jimin restait sur ses gardes, il rajouta.
- Je pense qu'il n'y a pas de coïncidences dans la vie et je suis sûr que tu devais te trouver sur mon chemin à ce moment-là. Appelle cela le destin, la fatalité ou je ne sais quoi, mais notre rencontre, j'en suis certain, n'est pas que le fruit du hasard.
Jimin avait écouté attentivement les paroles de cet homme.
Il se sentait épuisé et ne souhaitait que dormir à cet instant précis pour tout oublier.
Pourtant, il ne pouvait empêcher son cœur de palpiter d'espoir à ses paroles, espoir qu'il avait perdu depuis fort longtemps.
Il eut le sentiment fugace qu'une lumière s'était enfin allumée dans le tunnel sombre qu'était devenu sa vie pour lui montrer la voie.
Cette main tendue lui prouvait qu'il n'était plus seul et cela le réconfortait.
À la peur initiale, se succédait dorénavant la curiosité, mais aussi une aspiration à quelque chose de meilleur.
Qu'avait-il à perdre après tout ? pensa-t-il, il n'avait déjà plus rien.
.
Ce que ne savait pas Jimin, c'est que l'homme qui s'était assis près de lui, regardait le conflit intérieur qui se jouait dans son regard, se remémorant avoir ressenti la même sensation quelques semaines plus tôt.
Quand enfin, le danseur releva la tête et plongea son regard dans le sien, ils passèrent un long moment à s'observer, se jaugeant mutuellement.
Si celui de Jimin était effrayé et encore hésitant, celui de l'inconnu n'était que sérénité, comme si cette proposition aussi subite que stupéfiante était ce qui devait être fait.
Une évidence ...
Alors Jimin lui tendit sa main avec l'impression de sceller les accords d'une autre vie, d'une nouvelle vie.
- Je m'appelle Park Jimin.
L'inconnu prit sa main dans la sienne avec autant de douceur que s'il avait été constitué de la porcelaine la plus fine et répondit à son tour.
- Enchanté Jimin, je suis Jeon Jungkook.
Ils échangèrent un sourire, prémisse à l'amitié qui les unirait dans l'avenir et jusqu'à la fin.
- Ça te dit un petit voyage en Colombie ? demanda subitement Jungkook.
C'est en voyant l'expression de stupéfaction qui s'était peinte sur le visage de son nouvel ami qu'il éclata de rire.
Son premier rire depuis des années...
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