12. Tu aurais dû m'en parler

Il y a deux heures, j'ai envoyé un message à Morgan, lui disant que je l'attendais chez moi. Bon qu'on se retrouve sur ce fichu canapé me perturbe un peu mais j'ai pas trouvé de raison valable pour aller squatter chez lui comme au bon vieux temps. La réponse arrive enfin.

"Je serais là dans quinze minutes. Je ferme boutique. Besoin de quelque chose pour le repas ?"

"Juste besoin que tu ramènes ta carcasse".

En posant mon téléphone, je me rends compte que nos conversations ressemblent souvent à celles d'un vieux couple ou alors à celles de deux bons amis. Je sais plus.

Tout est prêt. Je vais me changer et enfiler un jogging gris. Au hasard, je sors du tiroir un des tee-shirts aux inscriptions idiotes que Morgan m'a offerts. C'est comme un jeu entre nous. J'ai une sacrée collection et lui aussi. Avec une moue hésitante, je repose le "Si tu veux frôler la perfection passe à côté de moi" et en choisis plus neutre "un geek ne crie pas, il URL". Deux sonneries brèves. Je me sens cloué au sol dans ma chambre.

— Derek ?

— J'arrive.

J'ai réussi à parler d'une voix normale alors que le trac me prend. Pour la première fois, depuis cette fameuse nuit de réveillon, je vais devoir réellement affronter mon attirance pour lui et ses conséquences. Il n'est plus question de nier quoique se soit.

Un peu de courage. Il va pas te tuer.

Je respire profondément et entre dans mon salon. Je m'attendais à le trouver dans l'espace cuisine, comme il le fait souvent mais il s'est assis sur LE canapé. Tranquille. Enfin, il affiche une tranquillité mais je distingue une lueur curieuse dans son regard gris acier et ses mains sur ses genoux sont blanches tellement il les serre l'une contre l'autre. Avec un petit sourire il me montre une bouteille de vin et les deux verres.

— Je suis passé chez moi chercher ça. C'est un vin français. Je...

Il semble hésiter à poursuivre et contemple sa bouteille. Je reste debout comme un con. Alors je m'envoie un coup de pied virtuel au cul et pose mes fesses sur le fauteuil. A distance raisonnable.

— Tu me sers. Ça nous fera du bien, je pense.

— Sûrement. Tu te souviens de la première fois que je t'ai fait goûter un vin français ?

— Oh oui. C'était après notre première dispute. J'y repensais justement cet après-midi.

Il cesse de verser le vin et relève vivement la tête, intrigué.

— Tu as oublié ? Le petit coup en douce que tu as fait pour m'embaucher ?

— Non, j'ai pas oublié, mais... tu le regrettes ?

Je hausse les épaules

— Tu sais bien que non. Mais te souviens-tu de ce qu'on s'est promis en buvant ce verre de vin réconciliateur ?

Il soupire.

— Oui.

*5 ans plus tôt *

Cela fait longtemps que je n'ai pas été aussi heureux de rentrer chez moi. C'est très bizarre cette espèce d'impatience qui ronge mon estomac quand je sais que je vais rejoindre Derek. Je porte encore sa chemise et j'envisage de ne pas lui rendre. Elle me va bien, et... Non rien. j'arrête là mes pensées. Je suis définitivement... bizarre : ce type est sympa, complètement déstabilisé par l'abandon brutal de sa femme, il se remet en cause, il a plus d'appart et il a failli se retrouver sans boulot et moi tout ce à quoi je pense c'est qu'enfin quelqu'un m'attend chez moi. Même si c'est un mec.

En tout cas le problème du boulot c'est réglé. J'ai assez bien mené le truc. Bon il apprendra rapidement la vérité, d'ailleurs je devrais peut-être lui dire ce soir ? Ou pas.

En sifflotant je monte les cinq étages, ascenseur encore en panne, et rien ne peux atteindre ma bonne humeur. Je sifflote toujours un vieux tube des années 60, "California dreamin' " en poussant la porte et mon sourire idiot se fige. C'est quoi le problème ?

Les deux sacs de voyage sont posés dans l'entrée, juste devant la porte et Derek est appuyé au mur du salon, juste devant moi dans une attitude proche de celle qu'il avait devant son sac de frappe.

J'hésite à comprendre, avance vers lui puis je vois quelques feuilles agrafées sur la table du salon. Le contrat.

— Merde, tu sais.

Une grimace de contrariété, un peu de gêne aussi, je ne sais pas vraiment comment réagir. Ni surtout pourquoi ses sacs sont dans l'entrée.

— Oui je sais. Et je n'apprécie pas. Pas du tout.

Ne comprenant pas sa colère, je m'approche et tente de lui prendre les épaules pour m'expliquer. Il me repousse brutalement.

— Laisse-moi tranquille. Tu pensais que j'allais accepter sans difficultés le favoritisme ? Que j'allais prendre un boulot alors que je n'ai pas les qualifications requises, juste parce que je suis ta bonne action ? Ou alors tu imaginais que je serais assez con pour ne pas m'en apercevoir ?

Punaise ,il est vraiment furieux et totalement à côté de la plaque. De sa fureur, de ses propos nait la mienne. Une fureur froide. Méchante. Je suis furieux contre lui. Furieux qu'il n'ait pas compris. Rapidement je passe à côté de Derek et entre dans le salon, je saisis le contrat et me retourne vers lui.

— Tu l'as signé ? crié-je.

— Non.

Je le dévisage quelques secondes, il n'a rien compris et a été prêt à imaginer le pire. Je déchire le contrat. Une fois, puis deux fois. Les morceaux que je jette s'éparpillent entre nous.

— Voilà. Problème réglé. Plus de favoritisme.

Je respire très fort, ne dominant plus cette colère que je ne comprends pas vraiment. Derek me contemple, l'air surpris. Il ne comprend pas non plus. Pourtant il était si prompt à m'imaginer des intentions égoïstes et malsaines. Je secoue la tête et file vers l'entrée, le bousculant de l'épaule en passant. J'ai la main sur la poignée de porte lorsqu'il m'appelle.

— Morgan ? Où vas-tu ?

— Je sors prendre l'air. J'ai le droit de sortir ? A plus tard.

La porte a à peine claquée, je regrette mon mouvement d'humeur. OK, il a refusé ce que je lui offrais, il refuse mon aide. Mais surtout, il a osé penser que je faisais uniquement par favoritisme. Pour me faire mousser à ses yeux.

Je marche dans la rue sombre sans vraiment savoir où je me rends, il a réussi à me faire sortir de chez moi. Remarque je sais que je préfère cela, marcher seul sans but, hors de chez moi ,plutôt que d'imaginer qu'il soit parti de notre appartement, qu'il soit sorti de ma vie.

Il ne va pas partir comme ça ? On a besoin de discuter avant. Ses sacs étaient prêts. Il voulait partir. Peut-être va-t-il penser que la discussion c'était... ma petite crise de colère ?

Merde. Regardant rapidement autour de moi pour me repérer, je repars en courant vers mon immeuble. Je ne sais pas exactement combien de temps j'ai marché ainsi mais je cours, poussé par un sentiment d'urgence. J'ai pas envie qu'il parte. Aucune envie. S'il veut pas bosser avec moi, il trouvera autre chose et je l'aiderai s'il accepte mon aide.

Essoufflé d'avoir gravi à la course les cinq étages, je rentre chez moi sans frapper.

Les sacs sont toujours au même endroit, mon cœur se remet à battre à un rythme plus calme. Dans le salon ,je trouve Derek assis, se tenant la tête entre les mains.

— Je suis désolé.

Les mots se sont précipités dans ma bouche avant même que je réfléchisse. Je croise alors le regard vert tellement expressif, il secoue la tête doucement.

— Désolé pourquoi ? C'est moi qui ait réagi trop rapidement, t'accusant sans réfléchir et surtout sans te demander pourquoi tu as fait cela.

— Juste parce que je voulais t'aider. Et parce que ma société a vraiment besoin de quelqu'un comme toi. Mais ma façon de procéder a été très ... bête. J'aurais dû...

— Tu aurais dû m'en parler, dit-il doucement alors que je ne trouvais plus les mots.

Je hoche la tête, il a raison.

— On oublie mon idiotie et on en parle tranquillement autour d'un verre ?

— À deux conditions.

Je lève un sourcil interrogateur.

— Premièrement, tu fais réimprimer mon contrat demain à la première heure. J'ai hâte de bosser pour toi.

Un sourire idiot étire mes lèvres. Je m'empresse de corriger Derek.

— J'ai hâte que tu bosses avec moi. Et la deuxième condition ?

Il se lève et attrape un verre et le remplit, il me le tend.

— Faut qu'on se promette de se parler à chaque fois qu'il y aura un problème entre nous. Laisser les malentendus et la colère enfler, c'est définitivement pas la bonne direction.

J'accepte le verre et l'offre de paix et me sens enfin serein.

— Marché conclu Derek. 

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