11. Quand vous croiserez le patron...

Je ne sais pas ce qui me réveille. La pièce est pourtant silencieuse et toujours assez obscure. Mais dans la pénombre, je devine la silhouette de Morgan, assoupi sur le fauteuil non loin de moi. Je n'ose bouger de peur de le réveiller. Mes émotions oscillent entre un profond soulagement et l'appréhension de rencontrer son regard. Je distingue son visage fatigué. Il ne s'est pas rasé et porte les mêmes vêtements que samedi.

— Derek, je te conseille de respirer. je te préfère vivant que mort.

La voix rauque et tranquille de Morgan résonne doucement dans la chambre.

— Moi aussi je préfère te voir vivant, imbécile, et pendant deux jours j'ai pas su si tu l'étais. Et du coup, j'ai légèrement envie de te tuer.

Son petit rire me fait frissonner.

— Si tu me tues, je ne suis pas certain que ton patron signe ta prochaine augmentation.

Je m'assois sur le lit, en face de lui, cherchant à déchiffrer ses traits.

— Franchement Morgan, mon augmentation, tu peux te la mettre où je pense si tu me refais encore une fois ce coup.

— Promis. La prochaine fois, je serais moins con. J'apprends de mes erreurs, tu sais. Mais en attendant, il est sept heures trente, je t'ai laissé dormir le plus possible mais on doit être au boulot dans... quarante-cinq minutes.

La prochaine fois ? Je ne sais pas trop comment comprendre sa remarque. Je me lève en ayant presque l'impression que rien de spécial ne s'est passé il y a deux jours.

— Ok, je rentre chez moi pour me préparer.

— C'est pas la peine, utilise ma salle de bain et j'ai récupéré quelques vêtements pour que tu te changes.

Je regarde ma tenue. Un peu chiffonnée en effet.

— Merci. Ça te dérange pas ?

J'ai déjà utilisé mille fois sa salle de bain mais là, je sais plus vraiment quoi faire.

— Non, vas-y. Je me change aussi pendant ce temps.

Je souris légèrement et il allume alors la lumière. Nous nous croisons dans la pièce assez maladroitement. Soudain, alors que je passe à côté de lui, il attrape doucement mon bras. Je regarde sa main posée sur moi et reporte lentement mon attention sur son visage.

— Oui ?

— Il faudra qu'on parle ce soir, tu crois pas ?

Sa question est prononcée avec hésitation, comme s'il craignait ma réaction.

— En effet. C'est une bonne idée.

Je ne comprends guère le soulagement qui éclaircit son visage mais c'est un spectacle agréable et c'est en souriant de nouveau que je file me préparer. Mon patron ne rigole pas avec la ponctualité.

*5 ans plus tôt*

Je pianote sur le volant avec nervosité. J'ai plus qu'à attendre dix heures. Ce rendez-vous me stresse. L'immeuble d'Extrem Green Tours est situé dans un quartier tranquille non loin de l'appartement de Morgan mais je craignais un problème de circulation ou un truc genre "pneu qui éclate" donc j'ai pris ma matinée au boulot. Je les ai appelés pour expliquer mon absence et rassurer mon chef : je rattraperais mon retard dans la journée. C'est pas parce que je déteste me rendre la-bas que je dois me conduire comme un minable et les laisser dans la merde avec le planning clientèle.

La portière passager s'ouvre et Morgan s'assied souplement à côté de moi. Je suis surpris, il est parti tôt ce matin et je ne pensais pas le voir avant ce soir, à la maison.

— Tu fais quoi ?

— J'ai vu ta voiture dans le parking et comme tu as plus d'une demi-heure d'avance je suppose que tu stresses.

Je lui réponds par un grognement qui n'est ni un acquiescement ni un démenti.

— T'as aucune raison de t'inquiéter, ce poste est fait pour toi. Ça fait 6 mois qu'on cherche quelqu'un avec ton profil.

— Mon profil ? Il a quoi de particulier? J'ai à peine un an d'expérience et encore je gérais plusieurs sites, je suis loin d'être un spécialiste capable de...

Il pose sa main sur ma cuisse, stoppant le tremblement nerveux qui m'agite et me faisant taire.

— Tu m'as montré ton CV hier. Il est nickel. En fait, je suis certain que tu es un sacré atout pour la boite. Je... le patron serait con de ne pas te prendre. Nous avons vraiment besoin de plus de visibilité. Bon j'arrête là. Sois toi-même, tu vas convaincre Massakov. En plus avec ce costume hyper séduisant, il ne pourra rien te refuser.

J'ai bien remarqué en observant les gens sortir et entrer dans l'immeuble d'Extrem Green Tours que mon code vestimentaire pour le boulot était un peu... strict. Tous sont habillés comme Morgan : jeans, sweat. Je vais me faire remarquer avec mon costume gris. Tant pis. Je fais la moue. Trop tard pour en changer et me couler dans le moule. Je suis vraiment con. Alors que ma jambe recommence à battre la mesure, Morgan soupire.

— Attends j'ai une idée. On fait la même taille tous les deux.

Sans comprendre, je regarde mon nouvel ami ôter son blouson de cuir noir et son pull léger noir à col rond.

— Enlève ta veste et cette foutue chemise blanche. T'es vraiment très classique mais avec mon pull et ...

Il regarde à l'arrière de ma voiture. Son regard s'arrête sur ma veste en daim gris qui traîne sur la plage arrière.

— ... parfait. Mon pull, ta veste. Nouveau look.

Je réfléchis une seconde et accepte son pull. Punaise il a des goûts de luxe. La douceur de l'angora est super agréable et je me retrouve moulé dans un cocon de douceur portant son parfum.

Pendant ce temps, il a enfilé ma chemise blanche et a remis son blouson de cuir. Et curieusement ça lui va. Je crois que tout lui va.

— Maintenant, tu bois ce café que je t'ai pris au distributeur. Tu respires calmement et tu positives.

Il me tend un gobelet fumant sorti de nulle part et après un clin d'œil, sort de ma voiture. Je me sens soudain beaucoup plus confiant tout simplement car il a confiance en moi.

— A ce soir ?

— A ce soir.

*****

Je suis rentré avant Morgan. L'inconvénient d'être le boss, c'est que les horaires sont parfois extensibles. Il m'a prévenu par message qu'il aurait du retard ayant rendez-vous avec deux testeurs revenant d'Islande. Je suis donc parti pour une soirée de stress en attendant son retour. Je passe au restaurant marocain à deux pas de l'immeuble et récupère deux pastellas au poulet et aux amandes. Je suis encore capable de les faire réchauffer et de nous préparer une salade pour compléter. Morgan et moi, on s'est croisé deux ou trois fois dans la journée mais à par l'échange de quelques regards attentifs, comme si nous jaugions notre humeur, rien ne s'est passé.

A midi, c'est moi qui avait un rendez vous et il m'a fait livré un sandwich. Il a pensé à moi et surtout il ne semble pas m'en vouloir.

Comment je vais lui expliquer ce que j'ai fais ? Dois-je lui parler de ce que je ressens ? Où dois-je au contraire minimiser le problème ? Faire passer notre presque-baiser pour une... blague ? Je sens que je suis en train de me défiler. Et lui qu'a-t-il ressenti ? Veut-il seulement aborder le problème pour dire "on tourne la page".

Ce serait plus facile mais au souvenir de ce que j'ai ressenti en le touchant sa peau et en frôlant ses lèvres, un frisson me parcourt et une chaleur troublante m'envahit. Dois-je renoncer à l'espoir de recommencer ?

Ce dont j'ai peur, c'est qu'on se dispute. Et que cette dispute marque la fin de notre amitié. Je crois que je peux renoncer à respirer sa peau, à l'embrasser si cela doit causer notre séparation.

Nous nous sommes déjà disputés, parfois violemment même, mais... à chaque fois nous savions que c'était... sans conséquence sur nous deux. Même la première fois. Nous nous connaissions depuis à peine une semaine.

*5 ans plus tôt - un peu plus tard*


C'est très bizarre. M. Massakov a été très gentil. Voir trop gentil. Je me demande si Morgan ne plaisantait pas en évoquant une possible homosexualité du mec. Jamais on ne m'a traité avec autant d'égards. Surtout lors d'un entretien d'embauche. Il a juste poser deux trois questions pour la forme. Puis, il s'est répandu en compliments sur les sites de mes clients que je lui ai indiqué avant de me demander de patienter dans une salle d'attente, le temps que le contrat soit imprimé et donc prêt à la signature.

Prêt à la signature ? OK je suis merveilleux et formidable et mon boulot est fantastique. Mais soit cette boite a vraiment un groooos problème de Web soit... quoi ? J'ai aucune idée mais j'attends, encore, dans la salle d'attente non loin du comptoir d'accueil où deux jeunes femmes, superbes papotent en attendant la clientèle.

J'ai noté que la petite brune me regarde souvent en donnant des coups de coude peu discrets à sa collègue. Ça me fait sourire. Ça ne devrait pas, je ne suis pas encore divorcé. Ceci dit, ce qui peut augmenter ma confiance en moi ne peut pas faire de mal. Mon téléphone bippe me prévenant de l'arrivée d'un message. Je le sors de ma poche arrière pour le consulter.

"Désolé de ne pas pouvoir te rejoindre. Réunion imprévue. Je peux pas me dégager, même quelques minutes. Tout est OK ?"

"Aucun problème. J'ai la place ! C'est bizarre."

"Pourquoi bizarre ?"

"Je sais pas, je t'expliquerai"

"OK. A ce soir"

"Morgan ?Le DRH est-il homo ?"

" 🤔 😂"

Notre échange m'a fait sourire

— Monsieur Cummings ?

Je lève la tête en entendant la jolie voix de la non moins jolie fille de l'accueil à un mètre de moi. Mon sourire s'élargit.

— Appelez-moi Derek. Je peux faire quelque chose pour vous ?

Elle pouffe et rougit. Apparemment, j'ai pas totalement perdu la main même si je la drague pas vraiment, même si ça fait....quatre ans que j'ai pas dragué non plus. Depuis que j'ai rencontré Laura.

— C'est moi qui devait vous demander cela. M Massakov a demandé qu'on prenne soin de vous, me dit-elle sur un air de confidence.

— Ah. Massakov. Il est sympa.

— Mouais, c'est surtout qu'il a déjà fait des bourdes dans le recrutement et que maintenant, c'est le boss qui décide. Comme le boss lui a dit "embauchez Cummings" ,Massakov serait prêt à vous payer pour que vous acceptiez le contrat.

Elle est bavarde. On l'arrête plus mais c'est intéressant.

— Ouf vous me brisez le coeur, j'avais crû que ...

Je la fais griller un peu d'impatience et je la vois se tortiller de curiosité. Comme je vais bosser ici, autant me faire une amie.

—J'avais cru que j'avais tapé dans l'œil de notre cher Massakov. Je suis tellement triste il est si ...séduisant.

Elle éclate de rire et je note que sa collègue, qui garde la boutique, quelques mètres plus loin, brûle d'envie de nous rejoindre.

— Je m'appelle Evie. Vous me plaisez mais si vous trouvez notre Youri séduisant vous allez tomber en pâmoison quand vous croiserez le patron, ajoute-elle avec un clin d'œil.

— Et quand aurai-je ce plaisir ?

— Pas aujourd'hui il est surbooké. En plus il a pris du retard dans son planning ce matin, il a disparu pendant trente minutes. C'était la panique à l'étage. Mais sinon, il est hyper abordable. C'est vraiment un type sympa. Pas très causant mais sympa. Vous verrez, vous serez bien chez nous.

Décidément elle est très bavarde.

— Je n'ai aucun doute, Evie. Votre collègue vous appelle je crois.

Elle tourne la tête alors qu'effectivement l'autre fille lui lance :

— Evie ! Arrête de papoter. M Sully a demandé qu'on monte des cafés dans la salle de réunion pour les investisseurs.

M. Sully ?

J'attrape la fille par le poignet avant qu'elle ne s'éloigne.

— Attends Evie, juste un truc ... le boss, votre boss, il s'appelle comment ?

— Tu viens de l'entendre. Sully. Morgan Sully. A plus tard.

Alors qu'elle s'éloigne en balançant joliment ses hanches à mon intention, je sens ma fureur monter et je sens que je vais avoir une sacrée conversation avec l'homme chez qui je squatte.

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