8. Eighth bullet

Un homme, que Taehyung n'avait pas encore vu, pénétra dans la cabane en poussant la porte du pied. Il devait avoir une vingtaine d'années et malgré sa carrure impressionnante et ses nombreux tatouages, il possédait le regard doux d'un enfant.

Il venait lui apporter un plateau sur lequel était disposé un bol de soupe chaude dans laquelle flottaient des haricots et des morceaux de viande non identifiée. Une miche de pain, qui avait apparemment été retirée du feu un soupçon trop tard, menaçait d'en tomber.

Il lui expliqua, à grands renforts de gestes pour se faire comprendre, que le chef Min voulait qu'il se nourrisse.

Taehyung en conclut qu'il parlait de Yoongi.

Il s'approcha de la table et renifla prudemment le fumet qui s'élevait du plateau. La faim le taraudait, mais il hésitait à manger quelque chose dont il ne connaissait pas la provenance, méfiant à l'idée qu'on veuille le tuer ou pire encore.

Pourtant, il fit taire ses craintes et s'attabla, il avait besoin de force et ne pouvait se permettre de faire le difficile.

Le jeune homme le regarda faire avec des gestes d'encouragement et tapa dans ses mains quand il vit Taehyung plonger sa cuillère dans le bouillon.

Une fois qu'il eut fini, il posa ses couverts et inclina légèrement la tête pour le remercier, tirant un sourire à son jeune geôlier.

Celui-ci prit le plateau et le repoussa au bout de la table, puis il prit place sur une chaise et plongea sa main dans la veste de son treillis.

Taehyung eut un mouvement de recul instinctif et se leva brusquement de sa chaise, l'esprit encore rempli des avertissements de Min Yoongi.

Le jeune garçon leva un regard étonné vers lui et tendit sa main ouverte en signe de paix, puis il la posa sur sa poitrine.

- Moi, Tiago, toi ? demanda-t-il en le pointant du doigt.

Taehyung l'observait sans bouger, il essayait de trouver une trace de fourberie dans son regard, mais ses yeux ne reflétaient que la douceur qu'il avait décelée à son entrée dans la cabane.

Son esprit tournait à mille à l'heure. Pouvait-il se permettre de baisser un peu sa garde quand chaque mouvement autour de lui criait au danger ? Tiendrait-il en s'enfermant dans le mutisme et en refusant toute interaction ? Il savait qu'il ne devait faire confiance à personne, pourtant le jeune homme en face de lui ne semblait pas agressif. Pourrait-il s'en faire un allié ?

Tiago attendait patiemment, un sourire rassurant aux lèvres, comme s'il était conscient du débat intérieur qu'il se livrait.

- Taehyung, finit-il par prononcer.

- Taehyung, répéta le jeune homme avec un fort accent, tirant malgré lui un sourire crispé au prisonnier.
Tiago soigner Taehyung, continua-t-il en plongeant sa main à nouveau dans sa veste et en sortant un sac en toile qu'il vida sur la table.

Un rouleau de sparadrap roula sur le plateau et Taehyung le récupéra par réflexe avant de jeter un coup d'œil sur les objets qu'il gisait en désordre sur le bois.

Cela ressemblait aux trousses de premiers secours que l'on trouvait dans les paquetages de l'armée. Il y avait de l'alcool dans un petit flacon, une paire de ciseau, des compresses hémostatiques, de la gaze, une crème antiseptique et du fil de suture.

Tiago ouvrit le sachet de compresses et en prit une pour déverser de l'alcool dessus puis lui indiqua la chaise en face de lui.

Taehyung s'avança, reprit sa place et attendit.

Tiago se pencha vers lui et appliqua la compresse sur les plaies qui zébraient son visage. Il désinfecta chacune de ses lésions en silence alors que Taehyung serrait les dents pour ne pas gémir de douleur à cause de la brûlure de l'alcool.

Sa blessure la plus importante se trouvait sur sa tempe qui avait été entaillée par l'accident de voiture et le coup de crosse de son ravisseur.

Tiago y déposa doucement de la crème cicatrisante avant lui mettre un pansement, puis il lui tendit le tube pour lui indiquer de nettoyer les nombreuses estafilades qui recouvraient ses mains, ses bras et ses jambes.

Le silence, qui régnait entre eux, fut brisé par le crissement des pieds de la chaise de Tiago sur le plancher quand il se leva.

Il rassembla tout dans son sac de toile.

- Tiago revenir demain, dit-il en se dirigeant vers la porte.

Au moment où il allait donner un coup de rangers dans la porte pour l'ouvrir, Taehyung se leva brusquement.

- Merci Tiago.

Le jeune homme se retourna légèrement.

- De Nada, Taehyung, répondit-il avec un sourire avant de sortir.

Le prisonnier se sentit étrangement triste quand la porte se referma. À la faveur de la nuit, la solitude qu'il avait repoussée depuis le début de cette histoire s'écrasa sur ses épaules.

Il laissa son regard errer sur la pièce faiblement éclairée par la lampe à pétrole qui était accrochée au plafond par un crochet en fer.

Il se doutait qu'un groupe électrogène devait alimenter le camp, ne serait-ce que pour recharger les téléphones portables qui leur permettaient de communiquer et de faire marcher les frigos qu'il avait entrevus à son arrivée, cependant sa prison n'en était pas dotée.

La nuit était avancée et son corps perclus de fatigue. Il décida de s'allonger tout habillé sur sa couche de fortune.

Mais le sommeil le fuyait.

Son esprit restait en alerte et refusait de plonger dans le refuge du repos.

Il ne cessait de revoir le déroulé des dernières heures sous ses paupières closes. L'embuscade, les coups, l'évasion qui avait tourné court et les yeux de Min Yoongi qui le fixait sans ciller de ses orbes noirs comme l'enfer.

Il possédait peu d'informations sur ses ravisseurs et n'avait aucune idée de l'endroit où il se trouvait.

L'Amazonie s'étendait sur des milliers de kilomètres carrés et ils avaient roulé des heures sans aucun repère.

Même si Jimin était vraiment vivant comme l'avait laissé entendre Min Yoongi, il faudrait des semaines, peut-être des mois avant qu'il puisse être retrouvé ou libéré contre une rançon.

Il devait absolument tenter de sortir d'ici par ses propres moyens.

L'image de Tiago effleura son esprit. Le jeune homme pourrait-il l'aider ?

Il se demanda quelle était son histoire.

Il savait comment fonctionnaient les cartels, il s'était longuement renseigné pour savoir où il mettait les pieds avant de lancer son projet.

Sa structure était pyramidale. Au sommet se trouvait le baron entouré de ses lieutenants, c'était en général des hommes qui n'étaient que des donneurs d'ordre. Ils ne se salissaient jamais les mains.

Venait ensuite la garde rapprochée qui protégeait ses nantis. Elle était constituée de tueurs, qui eux-mêmes dirigeaient d'autres assassins qu'ils envoyaient faire les basses besognes.

À cela s'ajoutaient les comptables, les gardes, les lanceurs d'alerte, les revendeurs, les chimistes, les transporteurs, les politiciens véreux, les agents de police corrompus. Tout ce petit monde formait une toile d'araignée aux mailles si serrées qu'il était impossible d'en démêler l'écheveau.

Mais la base de ce système était composée de pauvres gens, ceux pour qui, il avait choisi de s'établir ici. Des personnes qui n'avaient d'autres choix pour vivre que de cultiver le pavot et de revendre leur récolte aux cartels. Des jeunes, qui, faute de pouvoir trouver un travail dans ce pays enlisé dans le chômage, n'avaient d'autres possibilités que de servir de mules.

L'ironie de ce trafic voulait que les hommes du cartel ne consommaient pas le poison qu'ils fabriquaient. Ils le revendaient essentiellement en dehors du pays, en Europe ou aux États-Unis grâce à de pauvres hères qui mettaient leurs vies en danger pour gagner une misère.

Taehyung se demanda quelle était la place de Min Yoongi dans ce trafic.

Il savait que des groupes paramilitaires travaillaient pour le cartel sans y être directement reliés.

Il s'agissait généralement de groupes d'hommes issus de la pauvreté qui se ressemblaient en milice et qui offraient leurs services au plus offrant. En faisait-il partie ?

Quel pouvait être le pouvoir de son geôlier pour se voir confier une mission telle que son enlèvement au nom du cartel du Cardo ? Car c'était bien d'eux dont il s'agissait, rien ne se passait dans la région sans qu'il en soit à l'origine.

Les questions se bousculaient dans sa tête sans que l'ombre d'une réponse ne se profile à l'horizon.

Il se tourna vers la fenêtre et ouvrit les yeux. Il pouvait distinguer le ciel incroyablement étoilé qu'aucune lumière électrique ne venait ternir.

L'odeur de feu de bois mélangé à celui de la terre humide parvenait jusqu'à lui.

Il entendait le bruit des rangers de son gardien qui frottaient le parquet en faisant le guet devant sa porte.

Au loin, il crut distinguer le son d'une guitare que l'on grattait avec mélancolie.

Il se laissa porter par ce son et finit par s'endormir dans la moiteur de sa geôle alors que le ciel se teintait des premiers rayons de l'aurore.

Il rêva de jungle et d'animaux sauvages. Il se vit courir pour échapper à un danger. Il sentit des mains qui essayaient de l'attraper et son frère qui hurlait son nom, mais il continuait de filer droit devant lui, car à chaque fois qu'il se retournait, il distinguait les yeux noirs de Min Yoongi qui ne le quittait pas du regard.

Il se réveilla en sursaut et le corps en sueur. Le soleil qui s'était levé depuis longtemps, filtrait à travers la fenêtre et avait réchauffé la température dans la pièce qui était devenue étouffante.

Il se demanda comment les gens pouvaient vivre dans cette fournaise.

Il était assis sur son lit quand la porte s'ouvrit brusquement sur Hoseok. Il se redressa aussitôt, sur le qui vive.

Même si le second affichait un air toujours jovial, Taehyung était mal à l'aise en sa présence.

- Alors lionceau, lança-t-il en s'avançant vers lui. Bien dormi ?

Taehyung le regarda approcher sans répondre.

Hoseok leva un sourcil interrogateur.

- Aurais-tu perdu ta langue pendant ton sommeil ? demanda-t-il en posant un doigt sous le menton du prisonnier pour relever son visage vers lui.

Taehyung allait l'envoyer se faire foutre quand des bruits de pas se firent entendre.

Hoseok le lâcha et se retourna vers le nouvel arrivé.

Min Yoongi se tenait dans l'embrasure de la porte, Tiago derrière lui.

- Pablo t'attend pour aller au ravitaillement, dit-il de sa voix grave.

- J'étais venu voir comment se portait notre prisonnier.

- Ne t'inquiète pas de ça, Tiago est chargé de le surveiller sous MA responsabilité, lui répondit le chef de camp.

Hoseok eut un rictus.

- Je vois, chasse gardée, je suppose, dit-il en pinçant les lèvres.

- Sors, ordonna Yoongi.

Le second se tourna vers Taehyung et glissa un doigt sur sa joue avant de tourner les talons et de sortir en criant.

- À plus tard, lionceau !

Le regard de Taehyung croisa celui de Yoongi dans une question silencieuse.

Il n'était pas sûr d'avoir compris l'allusion de Hoseok, mais un goût de bile remontait dans sa gorge.

Qu'avait-il sous-entendu en parlant de chasse gardée ?

Il aurait voulu poser la question, mais Min Yoongi interrompit leur contact visuel.

Il s'écarta pour laisser entrer Tiago et lui glissa quelques mots à l'oreille. Le jeune homme hocha la tête et alla déposer sur la table le plateau qu'il tenait à la main.

Taehyung ne vit pas qu'il contenait un morceau de viande avec du riz et des fruits. Il ne sentit pas l'odeur de café qui s'échappait du broc en métal.

Ses yeux restèrent fixés sur le dos du chef de camp qui sortit sans un mot, refusant de répondre à la question qu'il avait lue dans ses yeux.

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