La chaleur était étouffante malgré la nuit qui venait de jeter son voile de noirceur sur la ville.

Ils avaient fait le trajet dans un des véhicules blindés du consulat qui affichait sa plaque diplomatique comme un laissez-passer vers la liberté.

Il les avait amenés sur le tarmac encore brûlant d'un aérodrome privé où un jet les attendait.

L'odeur de goudron prenait à la gorge comme la poussière qui s'envolait dans la brise chaude.

Ils n'avaient pas échangé un mot, chacun perdu dans ses pensées.

La peur les tenaillait.

Celle de se perdre et de ne pas se retrouver, celle d'échouer.

Jungkook et Woosik avaient monté la passerelle sans se retourner sur ce pays qui leur avait pris leurs illusions, leurs avenirs peut-être aussi.

Ils avaient été pris en charge par des agents qui assuraient leurs protections jusqu'à la conclusion sordide de cet épisode de leurs vies.

Joong Ki et Tiago attendaient dans la voiture, leur laissant un peu de cette intimité dont ils manquaient tant.

Yoongi avait posé sa main sur la joue de Taehyung, les yeux emplis de promesse.

Il l'avait laissé se détourner et embarquer à son tour dans le silence déchirant de leurs non-dits.

Il avait capté son dernier regard sur lui alors qu'il se retournait une dernière fois pour l'apercevoir. Il y avait vu la peur, mais aussi l'espoir et la confiance qu'il portait en lui.

Il avait gravé son image dans son cœur une dernière fois, comme s'il ne devait plus jamais revoir cet homme qui représentait son espoir de rédemption.

Puis, il avait regagné le véhicule pour prendre place à côté de Joong Ki qui était au volant.

Il sentit la main de Tiago se poser sur son épaule et la serrer brièvement.

Il savait que son ami ressentait la même peine que lui quand l'avion quitta la piste et qu'on ne vit que les lueurs des feux de navigation dans la nuit.

Il avait entendu sa confession à demi-mot juste avant d'ouvrir la porte.

Il en avait ressenti une jalousie féroce, insensée, dévastatrice qui lui avait fait serrer les poings.

Il aurait aimé le détester d'être tombé amoureux de l'homme qu'il aimait, mais en était incapable, car l'amour ne se contrôlait pas et il en était le parfait exemple.

Il n'aurait jamais pensé que son cœur si froid se mettrait à battre un jour en l'espace d'un regard.

L'avion disparut dans les nuages, emportant celui qui serait, il l'espérait, son futur et Yoongi ferma les yeux.

Il les rouvrit lorsque le véhicule démarra et s'enfonça dans la jungle à la lueur des phares.

Le vol de retour fut l'antithèse de l'aller.

L'ambiance y était silencieuse et pesante, oppressante.

Chacun savait que les minutes qui s'écoulaient les approchaient de la conclusion.

Ils atterrirent à l'aéroport de Westchester County dans le Connecticut au lever du soleil.

Nous étions dimanche et Taehyung savait que Jimin se rendrait dans leur maison de famille comme ils avaient coutume de le faire chaque fin de semaine.

La propriété avait été acquise par leur père quand il avait épousé sa mère. Taehyung y avait grandi puis avait été rejoint par son frère.

C'était une immense maison de style victorien comme cela se faisait dans la région. Elle était entourée d'un parc dans lequel poussaient des chênes centenaires.

Ils aimaient à s'y cacher pendant leurs jeux d'enfant quand l'insouciance était encore le maître mot de leurs vies.

Par souci de praticité, ils possédaient chacun un appartement à New York, dans la City, non loin du siège de SPEARS.

Mais c'est dans cette demeure qu'ils se retrouvaient avec leurs amis pour célébrer les différentes fêtes qui jalonnaient le calendrier.

Ils avaient repris cette habitude sans vraiment se concerter quand Jimin était revenu après la mort de leur père alors qu'il faisait tout pour s'en échapper du temps de leur adolescence.

Taehyung s'était toujours demandé pourquoi sans jamais oser poser la question.

Tous ses souvenirs étaient entachés de mensonges.

Dès que la voiture s'engagea dans l'allée qui menait à la maison, il les repoussa pour être capable de faire face à ce qui allait se passer.

Woosik conduisait en silence.

Jungkook était assis côté passager, silencieux lui aussi, le regard tourné vers l'extérieur, mais ses mâchoires crispées montraient que son calme n'était qu'apparent.

Taehyung leur avait demandé de rester en retrait. Il voulait confronter son frère et comprendre comment il avait pu en arriver là. Il voulait entendre la sordide vérité sortir de sa bouche. Cette vérité que son esprit avait acceptée, mais que son cœur de frère refusait.

Une vive discussion avait eu lieu à l'atterrissage quand deux agents d'Interpol s'étaient présentés un mandat d'arrêt à la main.

Les deux hommes étaient censés les accompagner et procéder à l'arrestation. Ils n'avaient pas apprécié que Taehyung dise qu'il y irait seul dans un premier temps.

Les agents avaient mentionné la dangerosité de l'opération lui signalant qu'il ne s'agissait pas d'une réunion de famille, mais bien de l'arrestation d'un gros bonnet de la drogue.

Le jeune PDG avait refusé d'entendre leurs arguments, il ne voulait pas assister à l'arrestation de Jimin par le biais d'un flash télévisé.

Il avait dû faire appeler Joong Ki pour qu'il donne son accord concernant sa demande qui avait déjà fait débat.

Il s'était retenu d'arracher le téléphone de la main de l'homme.

Il parlait à l'agent secret qui devait certainement avoir des nouvelles de Yoongi.
Il occupait son esprit depuis son départ.

Si Interpol estimait qu'il s'apprêtait à commettre une folie en faisant face à Jimin, Taehyung restait persuadé que c'était Yoongi qui risquait le plus.

L'accord fut enfin donné et les agents acceptèrent la requête du jeune homme avec mauvaise foi.

Il fut décidé que le trio entrerait dans la maison en premier et qu'ils procéderaient à l'arrestation dès qu'ils auraient le signal de Jungkook qui se porta garant de sa sécurité.

La maison étant étrangement silencieuse quand il y pénétra.

Jungkook et Woosik marchaient derrière lui en silence, jetant des coups d'œils inquisiteurs aux alentours comme si une armée allait faire irruption et pointer leurs armes sur eux.

Taehyung n'avait pas peur, il savait que Jimin était là. Son coupé sport était garé devant la maison.

Ils continuèrent d'avancer sans croiser âme qui vive.

Même la gouvernante, qui vivait à l'année dans la demeure pour s'en occuper, ne se précipita pas à sa rencontre comme elle avait coutume de le faire.

Il monta l'escalier monumental en laissant sa main caresser le bois précieux de la rampe comme il le faisait enfant.

Tout dans cette maison le renvoyait à ce qu'il avait vécu dans ses jeunes années avec son frère.

La marche qui grinçait quand on marchait dessus et qu'ils évitaient consciencieusement quand ils sortaient en catimini.

Les éraflures qui jalonnaient les plaintes qu'avaient provoquées des courses de voitures électriques dans le couloir.

La moquette fanée qui n'avait pas été changée et qui absorbait le bruit de leurs pas.

Il passa devant une immense photo encadrée qui les représentait tous les quatre.

Ses yeux pétillaient de bonheur alors que Jimin regardait l'objectif, le visage fermé, sans que l'ombre d'un sourire ne vienne effleurer ses lèvres.

Avait-il toujours eu ce regard ? se demanda-t-il avant de détourner les yeux et de se diriger vers le bureau de son frère.

Jungkook et Woosik le suivaient des yeux avec inquiétude. Son visage était un livre ouvert et ils y voyaient passer toutes sortes d'émotions qu'ils n'auraient pas soupçonnées en lui.

Taehyung s'arrêta devant la porte et prit une inspiration.

Ils avaient demandé aux agents de rester dehors, ce qu'ils n'avaient pas apprécié, mais il était encore chez lui.

Il vit ses amis se positionner dans le couloir, prêt à intervenir quand il les appellerait.

Il leur jeta un regard entendu, Jimin était à lui pour les prochaines minutes.

Quoi qu'il ait pu se passer, il voulait le voir se rendre de lui-même et sortir les mains libres de sa maison d'enfance.

Il appuya sur la poignée et ouvrit la porte, étrangement calme, comme s'il s'était dédoublé pour ne pas avoir à faire face.

La pièce était vaste, deux grandes fenêtres filtraient les rayons du soleil qui s'écrasaient sur le parquet de bois blond. Il connaissait son aménagement par cœur, car c'était l'ancien cabinet de travail de son père que Jimin s'était approprié à sa mort.

C'était l'endroit où les bulletins de note étaient épluchés, celui où son père les convoquait pour les réprimander de leurs bêtises, où les grandes décisions concernant leurs avenirs avaient été annoncées.

Le lieu des punitions qui étaient énoncées comme des sentences.

Rien n'avait été changé et le même bureau trônait toujours en son centre derrière lequel un fauteuil en cuir lui tournait le dos, dirigé vers la vue qui donnait sur les jardins.

Une vitrine de bois sombre abritait les trophées qui avaient été emportés par l'entreprise qui resta, il le savait, à jamais la fierté de son père.

Le manteau de l'immense cheminée en pierres rouges supportaient une autre photo de famille qui était antérieure à celle du couloir.

Taehyung y apparaissait bébé dans les bras de sa mère. La main de son père était posée sur son épaule, toutefois de Jimin, il n'y avait aucune trace, car ils ne connaissaient pas encore son existence.

Il se demanda pourquoi son frère conservait ce portrait qui lui rappelait chaque jour qu'ils avaient eu une vie avant lui.

Le fauteuil pivota doucement avec un chuintement et il reporta son regard vers le bureau.

Jimin y était assis, la tête en arrière, appuyée contre le dossier, les yeux fermés.

Il se redressa et ouvrit les yeux pour les poser sur lui.

Aucune expression de surprise n'y apparut, il l'attendait.

Ils se regardèrent sans animosité, comme ils le faisaient naguère.

Ils se jaugeaient en silence.

Taehyung observait ses traits qu'il connaissait par cœur.

Le teint pâle qui lui avait toujours envié, ses yeux qui se plissaient quand il riait et qu'il devait tenir de sa mère. L'assurance de ses regards qui ne faiblissaient jamais.

C'est Jimin qui rompit le silence en premier.

- Je t'attendais mon frère, dit-il en sortant sa main de dessous le bureau et en posant sur le plateau un revolver.