Taehyung observait un oiseau coloré qui chantait, perché sur une branche et poussa un soupir.

Il envia sa liberté, celle tout simplement de vivre à sa guise.

Cela allait faire près de deux mois qu'il passait ses journées et ses nuits enfermées entre les quatre murs d'une cabane si on faisait abstraction de son évasion ratée.

Il avait retrouvé ses forces même si parfois des vertiges le saisissaient encore.

Yoongi le quittait rarement des yeux et quand ses obligations l'amenaient à l'extérieur, il faisait en sorte que Tiago lui tienne compagnie.

Le jeune brésilien lui parlait à voix basse pour ne pas être entendu des autres, de tout et de rien, de rien, surtout, de banalités qui visaient à lui faire oublier la raison de sa détention.

Le reste du temps, ils jouaient aux cartes en silence, l'une des rares occupations auxquelles il pouvait avoir accès en dehors du dessin.

Il avait l'impression que son semblant de vie ne commençait que quand Yoongi arrivait.

Ils partageaient dorénavant leurs repas, comme l'auraient fait deux colocataires.

Le chef de camp n'était pas bavard, mais il sentait souvent son regard sur lui.

Un changement flottait dans l'air.

Leurs yeux tenaient un dialogue que leurs lèvres leur refusaient.

Taehyung avait senti l'attirance naître dans son corps, mais aussi dans son cœur.

Min Yoongi l'intriguait, l'attirait et il avait parfois l'impression que c'était réciproque...

Alors, il l'observait à la dérobée.

Il aimait le geste qu'il faisait de la main quand il rejetait ses cheveux en arrière. Le regard sombre qu'il posait parfois sur lui et qui faisait s'accélérer ses battements de cœur. Sa voix rauque quand il lui parlait, les veines de ses mains qui ressortaient lorsqu'il pianotait sur son clavier.

Autant de détails qu'il n'aurait pas dû remarquer.

Il sentait encore la chaleur de son corps contre le sien quand il l'avait pris dans ses bras pour le remettre au lit et l'odeur de musc qui l'entourait comme le plus enivrant des élixirs.

Il s'était longuement interrogé.

Comment pouvait-il être attiré par son geôlier ?

La réponse était pourtant simple. Il ne le considérait plus comme tel depuis longtemps, car il était avant tout celui qui lui avait sauvé la vie, qui l'avait veillé quand la fièvre consumait son corps, qui l'avait lavé comme un enfant alors qu'il ne tenait pas debout et qui le protégeait des dangers du camp.

Min Yoongi était un mystère, celui que l'on avait envie de déchiffrer et de faire sien.

Une contradiction quand s'opposait sa mission à son comportement envers lui.

Il n'était que dualité à ses yeux. Il incarnait la masculinité dans toute sa splendeur et pourtant il flottait dans ses yeux, parfois, une note de tendresse.

Pourquoi son attitude était-elle aussi ambiguë quand d'autres l'auraient laissé mourir pour se débarrasser du problème qu'il constituait ?

Il avait entendu sa conversation avec les commanditaires de son enlèvement. Il savait maintenant qu'il était un exécutant indépendant. On lui avait demandé de l'enlever et de le garder prisonnier en attendant que quelque chose se produise. Quelque chose dont il n'avait aucune idée pour l'instant.

Toutefois, l'Image du mercenaire sans foi, ni loi ne collait pas avec sa manière de se comporter. Une pièce manquait au puzzle.

Il lui avait demandé de lui faire confiance et il n'avait pu s'empêcher de la lui donner.

Il ferma les yeux et laissa son doigt glisser sur le vélin de son cahier. Même sans le voir, il pouvait retracer chaque trait qui composait le portrait qu'il avait exécuté.

La courbe de ses lèvres pleines, la silhouette de son profil, les yeux de chat qui brillaient d'une lueur énigmatique.

Min Yoongi détenait un secret et lui n'avait de cesse de le découvrir pour peut-être réussir à accepter les sentiments qui naissaient en lui.

Mais n'était-ce pas déjà fait ?

Il ferma brusquement le carnet et rouvrit les yeux pour le glisser sous son oreiller.

Il n'aurait jamais dû esquisser son portrait et pourtant il n'arrivait pas à le détruire.

Il se leva et se dirigea vers l'aiguière qui avait été posée sur un meuble bas pour se passer de l'eau sur le visage.

Son esprit tournait en boucle autour de Yoongi, alors qu'il aurait dû s'inquiéter de son sort et de l'angoisse que devait ressentir ses proches.

Il essuyait son visage avec une serviette quand l'objet de ses pensées entra dans la cabane.

Il l'avait laissé seul un bref moment, car il avait été appelé par un homme dont il n'avait pas vu le visage et qui s'était exprimé en portugais avec un débit de mitraillette.

Même s'il commençait à comprendre quelques mots, il avait été incapable de saisir ce qu'il disait, néanmoins son ton traduisait une certaine panique.

Le visage de Yoongi était fermé et une ride d'inquiétude barrait son front.

Il ne put s'empêcher de lui demander :

- Quelque chose ne va pas ?

Le chef de camp releva les yeux vers lui et plongea son regard dans le sien.

Le prisonnier se surprit lui-même de la question qu'il avait posée et s'attendait à se faire envoyer sur les roses.

- Hoseok est parti, répondit laconiquement Yoongi en se passant une main sur le visage.

- C'est un problème ?

Le chef de Camp stoppa son geste et fronça les sourcils.

- Je t'ai déjà dit que tu poses trop de questions.

- Peut-être parce que tu ne me donnes aucune réponse.

- Je n'ai pas à t'en fournir. C'est clair ?

Taehyung jeta la serviette qu'il tenait à la main et le regarda avec colère.

- Non, ce n'est pas clair ! Rien ne l'est dans toute cette histoire, ni le pourquoi de ma présence ici, ni ce qu'ils attendent de moi, cria-t-il en désignant le téléphone que Yoongi venait de déposer sur la table. Quant à toi, ton comportement est irrationnel, tu m'enlèves, tu me fais prisonnier, tu me sauves, tu me demandes de te faire confiance, mais tu ne me donnes rien.

Yoongi ne l'avait pas lâché des yeux pendant toute la durée de son monologue. Il pouvait voir son torse se soulever au rythme de sa respiration saccadée.

Taehyung le vit s'approcher lentement de lui. Il se déplaçait avec une grâce toute féline et il était captivé malgré lui.

Quand Yoongi ne fut plus qu'à quelques centimètres de lui, il continua d'un ton proche du murmure.

- Tu ne me donnes rien...

- Qu'aimerais-tu que je te donne ?

Taehyung se perdit dans les orbes bruns de l'homme qui faisait battre son cœur.

Les mots de Yoongi prenaient une tournure autre dans son esprit.

Il le vit avancer un peu plus près, si proche qu'il devinait son parfum, mélangé à celle de la cigarette qu'il venait de fumer.

- Qu'aimerais-tu que je te donne ? répéta-t-il d'une voix qui le fit frissonner malgré la température tropicale.

J'aimerais que tu me prennes dans tes bras au moins une fois. Je voudrais que ta bouche se pose sur la mienne et que je puisse sentir le goût de tes lèvres pour emporter ton goût avec moi quand tu devras te débarrasser de moi.

Je voudrais que tout soit différent et que je puisse faire un pas vers toi en toute confiance.

Cependant, il ne pouvait prononcer ces mots alors, il se contenta de rester immobile. Il observa le grain de sa peau puis descendit son regard vers ses lèvres pleines.

Son corps était irrésistiblement attiré vers lui, mais il ne pouvait bouger.

Il ne devait penser qu'à sauver sa vie qu'il savait menacée. Ses tentatives de fuite avaient été réduites à néant. Il devenait de plus en plus dépendant de celui qui aurait dû être son ennemi.

Pourtant, une seule chose tournait dans sa tête.

Et si je mourais demain ? Partirais-je avec le regret de ne pas avoir laissé parler mon cœur ? De ne pas avoir fait ce pas vers toi ?

Ses yeux remontèrent vers le regard noir qui le dévisageait.

Il y voyait danser une lueur de désir et sentit ses jambes faiblir.

N'est-ce que ça, du désir que je t'inspire alors que ta seule présence annihile ma volonté ?

Il ne savait pas que l'esprit de Yoongi était, lui aussi, en déroute et qu'il se posait les mêmes questions.

Cette attirance qu'il ressentait pour Taehyung le consumait un peu plus chaque jour au risque de le réduire en cendres.

Tout était si complexe alors qu'il aurait fallu que tout soit simple.

Faire un pas en avant et prendre ses lèvres qui l'appelaient. Se perdre dans son corps jusqu'à l'amnésie. Ne vivre que le moment.

Il leva doucement la main vers son visage et posa la main sur sa joue comme si son corps ne lui obéissait plus.

Il vit Taehyung fermer les yeux et se laisser aller contre sa paume.

Il se mordit les lèvres tant son envie de lui devenait douloureuse.

Il devait reculer, il le savait, pourtant il se perdit dans ce contact.

Il ne sut jamais ce qu'il aurait pu se passer, car la porte de la cabane s'ouvrit brusquement sur Tiago.

Ils sursautèrent violemment et s'éloignèrent l'un de l'autre comme s'ils avaient commis le pire.

Le jeune brésilien resta sans voix, il avait vu le geste que Yoongi avait eu pour Taehyung et savait bien qu'il s'agissait de quelque chose de plus fort qu'un simple geste de tendresse.

Il croisa le regard de son chef et eut la confirmation de ce qu'il devinait déjà depuis quelque temps.

Il tourna les talons et referma la porte.

- Merde, dit Yoongi.

Il attrapa son portable sur la table et emboita le pas au brésilien.

Taehyung resta à observer la porte fermée sans savoir comment réagir. Son corps vibrait encore de la caresse de Yoongi sur sa peau.

Il avait rêvé un bref instant qu'ils étaient ailleurs, mais ce rêve s'était écroulé à l'instant où la porte s'était ouverte.

Il sortit de sa torpeur et se dirigea vers le lit sur lequel il se laissa tomber.

Il avait cru toucher le paradis, pourtant, c'est l'enfer qui s'ouvrait à lui. Celui du doute.

Il se souvint du regard peiné que Tiago avait porté sur Yoongi et se demanda pour la première fois quelle était vraiment la nature de leur relation.

Se pouvait-il qu'il y ait quelque chose entre eux ? Étaient-ils amants ?

Ils vivaient chaque jour dans ce labyrinthe végétal qu'était la jungle, les liens dans ce milieu hostile se nouaient plus vite et plus forts que nulle part ailleurs et il savait parfaitement qu'ils étaient proches. Il en avait eu la preuve chaque jour qu'il avait passé avec eux.

Il se retourna sur le ventre et enfouit son visage dans son oreiller pour étouffer un cri.

Les tentacules de la jalousie venaient d'entrer son cœur et la vérité faisait jour en lui.

Il aimait Min Yoongi.