2. Un corps sans âme

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Ce soir, j'étais assise sur mon lit en attendant, les mains posées délicatement sur mon genou. J'avais beau réfléchir, je n'arrivai pas à comprendre d'où sortent ces voix que j'entendais. J'aurai bien accusé ma maladie mais je suis quasiment certaine que la matérialisation aussi précise d'une hallucination n'existe pas.

J'avais vu parfaitement le corps pâle d'une jeune fille. Je l'avais vu aussi clairement que je voyais le mur en face de moi.

— Comment tu vas, patiente 47 ?

Je sursautai, prise de court et mes épaules se crispèrent lorsque je reconnus la voix du surveillant Calvin.

Un homme détestable qui méritait de se retrouver dans le fin fond de l'enfer.

Heureusement pour moi, la plupart du temps, la direction évitait de le mettre dans le même secteur que moi pour éviter les dégringolades. Ils redoutaient que je ne m'attaque à lui une seconde fois. Vous aurez beau me prendre pour une folle ayant un comportement typique d'animal, je réagissais simplement en fonction des gens.

Pour l'instant, je n'avais pas encore eu l'occasion de démontrer mon côté humain.

— Alors quoi de neuf ce soir, ricana-t-il en attrapant ma queue-de-cheval beaucoup trop violemment.

Ma nuque craqua faiblement mais pas assez pour qu'elle puisse être brisé.

Je savais que si je parlais à cet instant, je laisserai, mon côté langue de vipère craché, mon venin sur cette enflure. Mais je ne pouvais rien dire, au risque de me retrouver malgré moi à l'isoloir. Un endroit terrifiant où les patients étaient enfermés durant trop de jours. Affamés et drogués, tel des prisonniers. Cet hôpital est décidément le pire de tous. Parfois, je trouvais qu'il ressemblait à mes parents.

Quelle idiote !

J'avais fait le choix de ne plus parler depuis un bon bout de temps. Jugeant que celui qui mériterait ma voix n'existait pas. Mais parfois je mourrai d'envie d'ouvrir la bouche pour tous les insultés. Jusqu'à ce que j'en perde ma voix. Je ne plaçai jamais un mot, quelles qu'en étaient les circonstances.

— Tu ne parles toujours pas, la folle ? demanda-t-il en feignant une bienveillance qui n'allait pas durer très longtemps puisque je ne répondais pas.

Je savais pertinemment qu'il adorait mon silence. Il était le genre d'être abject qui préférait les plus faibles. Il me dégoûtait tellement... À tel point que j'aurais souhaité revivre mille-et-une-fois le jour où je mourrai, plutôt que de le regarder en face. Lorsque sa langue humide passe sur ma joue, un frisson m'ébranla et un violent haut-le-corps me broya l'estomac. Tellement agressif que j'étais sur le point de m'écrouler à genoux, au sol.

Il s'amusait à me lécher la peau avec lenteur et gourmandise en y prenant énormément du plaisir.

— Tu sais, tu as de la chance aujourd'hui, déclara-t-il soudainement, un large sourire aux lèvres, en s'éloignant de moi.

Je gardai toujours les yeux fixés sur le bas de son visage.

" Je n'ai donc pas le temps de m'occuper de toi ! On a rendez-vous quelque part."

Mon cœur rata un battement en entendant cela.

Je ne voulais aller nulle part avec lui.

Il relâcha ma chevelure et m'attira brusquement vers lui en tirant sèchement mon bras. Un cri manqua de franchir ma gorge.

J'ai mal depuis trop longtemps maintenant...

La pression que ces doigts exerçaient sur ma peau allait certainement laisser des traces. Je tâchai de masquer ma grimace de douleur et le suivi sans rechigner, les jambes tremblotantes. Pieds nus, je manquai néanmoins de m'écrouler plusieurs fois. Mais il ne fit rien pour me rendre la tâche plus facile. Je n'avais pas assez de force puisque je n'avais pas réellement mangé depuis plusieurs jours à cause des incidents aux réfectoires.

La tête baissée, je fixai en silence le carrelage gelé du sol tout le long de notre balade.

Nous marchions le long des couloirs sans vie de l'hôpital pendant un moment.

J'analysai avec rapidité l'endroit du mieux que je pus en essayant de retenir le plus de détails possible. Je n'avais pas eu la chance de visiter entièrement le bâtiment, alors autant en profiter...

Et qui sait, cela pourra peut-être m'être utile pour plus tard.

Je ne pus m'empêcher d'y penser.

Enfin, le surveillant Calvin nous arrêtâmes devant une porte et il frappa vivement contre le battant en me jetant des coups d'œil suspicieux. Il redoutait que je ne lui porte un mauvais coup. Un sourire amusé germa sur mes lèvres face à sa méfiance : le sentiment d'incertitude qui les habite tous, face à moi me faisait jubiler intérieurement. Ils avaient peur de ce qu'ils ne comprenaient pas. Et c'était là mon plus grand atout.

— Entrez ! dit une voix féminine, de l'autre côté.

Il déverrouilla la porte et nous fîmes entrer. Aveuglée l'espace d'un instant pas la lumière trop vive de la pièce, je fermai brusquement les yeux. Je sentais d'entrée de jeu que j'allais avoir un mal de crâne horrible plus tard.

— Bonjour Alésia ! déclara une voix douce. Je m'appelle docteur Maria.

Je rouvris les yeux et levai timidement mon visage pour croiser pendant millième de seconde le regard bienveillant d'une femme assise derrière un bureau avant de le baisser aussitôt. Elle me fixait de ses yeux bleus lumineux et m'adressa un sourire trop joyeux.

Il fallait que je me méfie...

Le surveillant Calvin, près de moi, lui lançait des regards tellement hypocrites que je manquais plusieurs fois de pouffer dans ma barbe.

Quel lèche-cul celui-là !

— Je vous la laisse docteur, déclara-t-il avec un air joyeux qui ne trompait personne. Faites attention, elle mord.

Je levai les yeux au ciel mais me raidis dès que je sentis qu'il me gratifiait d'une pression beaucoup trop douloureuse au bras avant de le lâcher. Et de quitter la pièce. J'attendis plusieurs minutes avant d'oser me détendre et relâcher l'attention. Je me calmai en décrispant chacun de mes muscles, savourant la sensation de la tension de mes membres qui disparaissait.

Plus tard, je ne pus m'empêcher de lancer un regard curieux au docteur face à moi.

— Comment vas-tu ? me demanda-t-elle gentiment.

Je hochai simplement la tête en guise de réponse mais luttai pour enfouir au fond de moi ma surprise.

Cela faisait tellement que quelqu'un ne m'avait pas demandé comment j'allais.

Je ne répondais pas, espérant qu'elle ne s'était pas rendu compte qu'elle attisait ma curiosité. Je compris alors que c'était trop tard lorsque je tombai sur son sourire léger. Méfie-toi, me murmurait ma conscience dans un coin de mon esprit...

Mais j'avais cette espèce de pressentiment qui me guidait depuis toujours qui m'intimait de baisser ma garde. D'affronter les yeux clairs de cette femme au risque de me brûler les ailes. Cet instant d'incertitude me repoussait dans mes retranchements ! J'avais enfin une chance de prouver au monde que je valais plus que ce que je laissai bien transparaître. Ma folie ne guidait pas chacun de mes pas, chacune de mes décisions...

— On m'avait prévenu que tu ne parlais pas mais j'espère que tu me parleras à moi, dit-elle en rigolant. Tu veux t'asseoir ?

J'avisai le siège qu'elle me désigna avec interrogation. On ne m'avait jamais proposé si poliment quelque chose. La dernière fois remontait à l'entretien que j'avais passé avant d'être intégrée à cet hôpital. Et c'était pour me demander de ne pas regarder le directeur car je lui avais fait peur.

— Si tu veux bien, je vais te donner une ardoise et tu vas m'écrire tes réponses sur elle, cela te va ? demanda-t-elle en me tendant une ardoise et un marqueur noir.

Comment lui dire que je n'étais pas sûre de savoir bien écrire ?

Je crois que je ne le saurai jamais.

Bien entendu, mes parents n'avaient jamais jugé utile de m'inculquer ces quelques savoirs basiques mais importants.

Mais sans que je ne sache pourquoi, des mots et des lettres apparaissaient dans mon esprit. Comme des pensées, ils s'imposaient en moi lorsque je fixai un peu trop longtemps une étiquette ou une pancarte. Je n'avais pas appris quoique ce soit mais parfois ma tête m'indiquait des connaissances sortant de nulle part. J'avais vu, une fois à la télé en regardant un documentaire sur les surdoués, que certains n'avaient pas besoin d'apprendre pour savoir lire et écrire.

Tentant ma chance, j'attrapai l'ardoise et le feutre et les posais avec délicatesse sur mes genoux.

La pulpe de mes doigts effleura méticuleusement la texture de l'objet et découvrit avec émerveillement sa sécheresse. Mes yeux restaient désespérément accrochés à ce nouvel outil fascinant. Un sourire euphorique brillait sans retenue sur mes lèvres.

— Alors, je me présente, je suis le docteur Maria, dit-elle, face à moi en m'adressant un regard doux. Je suis ton psychologue. Si tu veux bien, je vais te poser quelques questions !



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Bonjour ? 👶

Un assez court chapitre pour vous présenté un peu plus Alésia et ses amis ? J'espère que mon histoire plait à quelqu'un. Si vous remarquez des fautes, n'hésitez pas à me le signaler en commentaire !

Kiss sur vous ! 💋

📌 Instagram : happinessofaffinity

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