1.Retour dans le passé
J'ouvris brusquement les yeux. Le regard fixé sur cet éternel plafond blanc dénué de chaleur qui surplombait depuis maintenant deux semaines ma tête. Je déglutis plusieurs fois pour essayer de faire disparaître cet horrible gout dans ma bouche et me redressai. Allongée sur un matelas tellement dur que j'arrivai à sentir les barres métalliques du sommier, je peinai à me réveiller.
Ne plus parler avait des côtés vraiment désagréables. Comme avoir la bouche pâteuse à chaque réveil.
— Patiente 47, veuillez vous relever !
Je grognais et me relevais lentement sous un regard scrutateur. Je mourrai d'envie de crier. Pourquoi débarquait-ils tous dans ma chambre sans prévenir ? Et à chaque fois, je n'arrivais jamais à les entendre arriver. Je fronçai mes sourcils et me tournai vers l'infirmier du jour. À en juger l'expression qu'il affichait, je lui faisais clairement perdre son temps. Un sourire amusé étira mes lèvres. J'adorai les rendre fou.
Comme me l'avait annoncé mes parents, deux semaines plus tôt, j'avais bel et bien rejoint l'hôpital Fallen. Une institution médicale pour jeunes souffrants de maladies cérébrales. La-dessus, ma folle de mère avait bien été véridique.
Malheureusement, elle avait omis de me prévenir une seule petite chose. Ici, on traitait les patients comme des animaux. Mais en plus nous restions enfermés la plupart du temps dans des chambres sans vies.
— Plus vite que cela !
Je me retournai vivement et lui adressai un regard noir. Pour qui se prenait-il sérieusement ? J'avais l'intime conviction que je menais la vie dure à tous les surveillants de mon secteur. La seule chose que j'aimais ici était que je n'étais pas sanglée à un lit. Un sacré bon point.
— Suivez-moi !
Je me mis en marche lentement, détaillant avec minutie chacun de ses mouvements pour détendre mes démons intérieurs. Ils auraient pu m'envoyer directement en enfer, pensai-je avec irritation. Je levai les yeux au ciel et soupirai. Je n'étais pas habituée à devoir côtoyer autant personne. La faute à ces saletés de parents : Je n'avais pas eu la chance de découvrir les trésors des relations humaines.
J'avais beau être horrible de penser cela, au fond de moi, je pleurai la vie heureuse que je n'avais jamais eu. Les regrets et le désespoir étaient les piliers fondateurs de mon histoire. Je n'avais jamais voulu vivre ainsi, traitée comme une paria partout où j'allais. Cachée et dissimulée depuis dix-sept ans à cause de ma différence.
Si j'avais pu demander à Dieu de m'offrir un miracle, j'aurai sûrement prié pour vivre une vie quelconque.
— Aidez-moi, chuchota une voix, dans un coup de vent jusqu'à mon oreille.
Je sursautai et jetait des regards craintifs autour de moi. Avais-je rêvé ?
Un tressaillement me parcourt et détourna mon attention. Je ne m'étais pas aperçue que la température avait chuté à ce point. Un frisson glacé couva mon corps alors que j'inspectai maladroitement de droite à gauche, le reste du couloir. Depuis que j'étais arrivée ici, j'étais persuadée que quelqu'un essayait de communiquer avec moi. D'attirer mon attention plus précisément !
L'atmosphère était transie. Je frissonnais sans me retenir, les avant-bras pressés autour de moi pour essayer de me réchauffer. Je manquai même de claquer des dents. Je me tournai vers le surveillant et s'aperçu que j'étais bien la seule à avoir froid. Et à en juger le regard froncé qu'il utilisait pour me dévisager, il était maintenant convaincu que j'étais bien folle. Je levai les yeux au ciel et le suivis en dehors de ma chambre.
L'épaisseur de ma chemise médicale et la toile fine de mes chaussures ne m'empêchèrent pas de ressentir ce froid.
— Par ici, souffla la voix fantomatique...
On aurait dit un enfant qui s'amusait à jouer à cache-cache.
C'est dans ta tête, pensais-je en inspirant profondément, les paupières serrées si fort que je crus que j'allais pas réussir à voir. J'étais folle. Voilà l'explication plausible. D'ailleurs, c'était une certitude.
J'étais malade. C'est cela, j'étais bien cinglée. L'esprit occupé par des dizaines de petits démons. De voix maléfiques qui tentaient de me soumettre. Je n'avais plus de prise sur eux. Victime de leurs sévices, je ne me contrôlais plus.
— 47, réveillez-vous ! m'ordonna-t-il. On arrive.
Je cillai à plusieurs reprises, décontenancée. Qui me parlait ? Je vis le gardien s'approcher vivement de moi en grognant dans sa barbe et m'attrapa le bras. D'un pas rapide, nous foncions vers le réfectoire.
L'une des particularités de Fallen était que les malades les moins atteints avaient la possibilité de manger en groupe. Je détestais ce moment de la journée. Car au moment où je m'installai à table, je savais que j'allais attirer les regards attentionnés des autres patients. De jeunes gamins qui n'étaient autre que des adolescents à peine plus âge que moi.
La violence qui allait suivre, j'y étais habituée depuis mon arrivée. Deux semaines que j'endurai leurs courroux et leurs méchancetés. Mon corps maigre et mes épaules voûtées jouaient beaucoup contre moi. Ainsi que mon impassibilité à toute épreuve et mon silence. Le fait que je ne réagisse pas lorsque l'on me maltraitait les excitaient.
Manger ou être mangé... Telle était l'optique brillant dans cet endroit lugubre.
Je n'étais assurément pas une victime. Au contraire, je les laissai faire en attendant avec patience que mon tour arrive. Lorsque nous arrivions enfin au réfectoire, je baissais aussitôt les yeux. Je préférai rendre les armes en évitant les regards satisfaits de mes tourmenteurs. Aujourd'hui, ils étaient affamés, constatai-je tristement. Alors, cela allait être particulièrement dur.
J'avais remarqué ici que lorsque la conscience désertait l'homme, l'humanité s'en allait avec elle. Quelle que soit la personne. Garçon et fille se confondaient dans le malheur.
— Asseyez-vous !
J'obéis presque aussitôt et m'installai sur un banc métallique gelé. Je frissonnais lorsque la matière dure effleurai mes cuisses nues, à peine recouverte par ma chemise.
— À table, ricana une fille derrière-moi.
— La folle est de retour, hurlèrent d'autres.
Des cris de joie explosèrent et résonnèrent à mes oreilles. Tels des hurlements de guerres. Déchirant l'atmosphère brûlante.
—Calmez-vous ! ordonnèrent les surveillants en se déployant autour des pensionnaires excités
En vain...
Je me crispai et fermai les yeux, me déconnectant de la triste réalité qui allait suivre. Ce fut comme une élévation. Je fixai mon enveloppe charnelle recevoir mainte et mainte objet tranchant, mes longs cheveux noirs éclaboussées et salis par des restes de nourriture. Mais personne n'intervint. Les surveillants aimaient jouer aux aveugles.
Moi, je me contentais de l'observer avec tristesse, les larmes aux yeux. Je me mordais la langue jusqu'au sang. Qu'avais-je fait pour mériter cela ? Au fond de moi, je mourrai d'envie de me rouler au sol et d'entourer mes genoux de mes bras squelettiques. Acceptant cette triste réalité qu'était mon existence. Mon insensibilité les obsédait.
Moi-même, je ne comprenais toujours pas comment se faisait-il que je ne ressente rien.
Que tout était noir pour moi.
Mais, alors que je m'apprêtais à fermer les yeux, j'aperçus une ombre planant derrière moi, menaçante. Je l'observai attentivement et détallai avec curiosité l'être sans ombre qui me surplombait. Celui-là, je le voyais depuis toute petite.
L'atmosphère s'alourdit, signe qu'il n'allait pas tarder à frapper.
Aussitôt dit aussitôt fait, je vis la jeune fille qui m'avait écrasée le visage contre la table s'écrouler net. Les yeux grands ouverts et raide comme la justice. Je clignais des yeux et redescendit vers mon corps pour dévisager son visage.
Deux fois putain... Deux victimes en deux semaines.
La mort s'acharnait sur elle. Elle devenait déjà bleue. Des exclamations de terreurs explosèrent autour de moi mais je n'y prêtait guère attention. J'entendis vaguement les surveillants criées sur tout le monde. Certains s'écartèrent, d'autre partaient en courant.
— Elle l'a tué, scandait un garçon.
Dire qu'il y a à peine une seconde, ils s'acharnaient sur moi.
Tout ce bordel, j'y étais trop habituée. Depuis enfant et aussi loin que je m'en souvenais, cela avait toujours été ainsi. Sans pour autant que je le comprenne. Une larme de honte coula sur ma joue. J'en avais assez de causer la mort d'autant de gens. J'avais une conscience qui m'empêchait de ne pas apprécier ces horreurs.
Moi je restais sur place, en sanglot.
— C'EST DE SA FAUTE ! hurla une fille au visage déformée par la peur. Elle l'a regardée méchamment et après elle est morte.
Je me tournai vers lui dans un état second et le fixai sans un mot. Qu'avaient-ils tous à me regarder ainsi ?
Une horde de surveillants débarquèrent avec fracas et l'un d'eux fonça vers moi.
— Tout le monde debout, les mains à plats sur la table ! ordonna l'un d'entre eux.
Il m'attrapa avec violence par le bras pour me sortir du réfectoire. Au même moment, l'assemblée éclata en une sonate violente, déchaînée.
Je fus bousculée et traînée jusqu'à ma chambre et enfermée à double tour. Qu'avais-je fais ? En plus d'être perdue, j'étais désemparée. Qu'est-ce qui s'était passé.
Au fond de moi, j'avais peur de comprendre de quoi il en retournait. J'avais peur de m'apercevoir que Satan veillait sur moi.
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Quelqu'un a des questions ?
Kiss sur vous !
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