~ 𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝚙𝚛𝚎𝚖𝚒𝚎𝚛 ~ 𝓘𝓼𝓪𝓫𝓮𝓵𝓵𝓪
« Isabella ! Isabella ! »
Je grimaçai et me renfonçai un peu plus dans le fourré, priant de toutes mes forces pour que Leo ne me débusque pas. Je souris face à ses grognements d'agacement. C'était tout lui, ça. J'entendis des bruits de pas tout proches, et l'imaginai parcourant dans tous les sens la zone du parc où nous aimions à nous réfugier. J'essayai de contrôler le bruit de ma respiration pour me rendre encore plus discrète, et cela marcha visiblement à merveille, car j'entendis les pas de mon frère s'éloigner. Je serrai le poing en signe de victoire, et tentai de me redresser, gênée par l'ample robe bleue que je portais, et qui n'était absolument pas adaptée dans ce genre de situation. J'aurais plus qu'aimé porter une autre tenue pour cette partie de cache-cache improvisée, seulement j'avais dû échapper à Leo sitôt mes cours terminés, et l'occasion de passer par mes appartements pour me changer ne s'était pas présentée. Je me retrouvais donc à devoir crapahuter dans la seule partie plutôt mal entretenue de l'immense parc du palais, vêtue d'une robe qui aurait plus eu sa place à un bal royal.
Mais telles étaient les choses. Je devais m'y faire, que cela me plaise ou non. Et si mes frères et sœurs acceptaient ces conditions de vie, pourquoi pas moi ? Ç'aurait typique de mes parents, de dire cela. D'ailleurs, ils l'avaient déjà fait. Mais je persistais à refuser les cours inutiles que l'on me faisait prendre, les robes extravagantes que l'on me forçait à porter. Sans grand effet, malgré tous mes efforts.
Je me relevai donc avec difficulté, resserrant mes jupons autour de moi. Je pus apercevoir s'éloigner les boucles caramel de Leo. Je sursautai lorsque, en reculant, je marchai sur une branche, qui se brisa net. Elle émit un horrible craquement, audible de loin. Le juron que je prononçai entre mes dents aurait fait blêmir ma professeure de maintien.
« Isabella ? »
Mince ! Leo était revenu, sans doute attiré par ma bête erreur. Je me baissai aussi vite que je le pus. Mais trop tard. Il balayait les alentours de son regard bleu nuit, regard qui glissa sur moi au moment ou je tentai de replonger au sol. À moitié accroupie, je le vis approcher à travers les trous de la haie. Je soupirai. Adieu à mon rêve d'échapper à la séance de lecture hebdomadaire.
« Allez, Isa, sors d'ici, fit Leopold. Je sais que tu es là. Inutile de te cacher plus longtemps.
— D'accord, j'arrive », soupirai-je avec dépit.
Je m'extirpai une nouvelle fois du fourré, avec un peu moins de difficultés que la fois précédente. Je m'avançai vers la haie, et vis Leo blêmir, croyant que j'allais l'enjamber, et donc détruire définitivement l'œuvre qui était sûrement celle d'un grand maître couturier de notre royaume. Au lieu de cela, je longeai l'obstacle jusqu'à parvenir devant un trou du feuillage assez grand pour me laisser passer. Je m'extirpai de ce refuge végétal et m'époussetai rapidement, évitant le regard mécontent de mon frère, attendant les réprimandes. Leopold me fit patienter quelque secondes, et j'en profitai pour détailler sa tenue du jour.
Il était vêtu d'un pourpoint d'un bleu sombre, exactement de la même teinte que son regard furieux, boutonné au maximum. Des sourcils étaient froncés sous ses boucles ébourrifées par la course l'ayant conduit jusqu'ici.
« Franchement, Isa...
— Quoi ? Tu sais bien que je n'aime pas y aller !
— Oui, moi non plus, mais c'est la tradition. C'est ainsi. Et il faut t'y faire, que tu le veuilles ou non.
— Justement, je ne veux pas ! m'énervai-je.
— Tu ne peux pas renier une tradition vieille de plusieurs décennies sous prétexte que tu en as assez ! riposta Leopold, agacé.
— Et pourquoi pas ?
— Parce que tu crois que Père et Mère, surtout Mère d'ailleurs, l'accepteraient ?
— Non, mais... »
Je ne terminai pas ma phrase, parfaitement consciente que l'argument de Leo était bien plus censé que le mien. Sachant aussi qu'il ne servait à rien de continuer à tenter d'argumenter, étant donné que jamais je ne prendrais le dessus. Comme disait Mère, un grand chef doit savoir se retirer lorsque cela est nécessaire. Je soupirai, et m'avançai dans l'allée, résignée. Leopold m'emboîta aussitôt le pas, comme toujours vainqueur de notre querelle hebdomadaire. Lorsque la cloche sonnant onze heures retentit, le son se répercutant de partout, mon grand frère jura silencieusement, puis s'élança de plus belle sur le chemin de petits gravillons d'un blanc cassé. Encore une demi-heure et nous serions en retard. Quelques mètre plus loin, Leo s'arrêta, et me jeta un regard exaspéré, me faisant clairement signe de me dépêcher. De mauvaise grâce, j'accélérai le pas.
Quand nous débouchâmes sur la partie fréquentée du parc, nous ne trouvâmes presque aucune âme qui vive. Une demi-heure avant la Lecture de la semaine, les gens revêtaient leurs plus beaux atours pour faire honneur à celle qui était presque considérée comme une sainte dans notre société. Lorsque nous tournâmes au coin d'une allée pour déboucher sur l'avenue centrale, le palais se dévoila à nos yeux. D'autres auraient écarquillé les yeux sous ce qui s'offrait à eux, comme si le palais de courbes et de flèches s'élançant vers le ciel allait les engloutir, mais pour nous qui y habitions, c'était une vision routinière. D'un pas pressé, nous avançâmes le long des parterres de fleurs et de buis délicatement taillés par des architectes paysagers.
Nous n'empruntâmes pas l'entrée principale, mais une discrète porte sur le flanc gauche du château. Le palais était comme le parc : désert. C'était l'unique moment de la semaine où les serviteurs étaient autorisés à déserter leur poste en pleine journée de travail pendant plus d'une demi-heure. Après avoir grimpé de nombreux escaliers, franchi d'innombrables portes dérobées et avoir longé une multitude de couloirs, nous arrivâmes enfin dans mes appartements, où je ne passais qu'en coup de vent, le temps de me changer. Je déposai ma robe élimée et me vêtis d'une paire de sandales ouvertes et d'une robe blanche rebrodée de fils d'or m'arrivant aux genoux, et qui, en plus d'être plus simple à porter que mon extravagante robe bleue, était très confortable.
Je m'arrêtai une seconde devant le miroir en pied faisant face à mon lit. Les petites pierres incrustées dans les lanières de mes sandales s'accordaient parfaitement avec mes yeux vert émeraude, qui scintillaient sous la lueur des candélabres se consumant doucement. Les deux nuances étaient presque exactement les mêmes. En revanche, mes cheveux, d'un brun si foncé qu'ils en paraissaient noirs, et que j'avais laissé détachés, offraient un net contraste avec le blanc de ma robe et ma peau bronzée. Ce très léger hâle était hérité de mon père. Cependant, il était si ténu que sous une certaine lumière, il en devenait inexistant. À part ça, mes cheveux et quelques autres détails, tout le reste de ma physionomie était celui de ma mère.
Avant de fermer la porte, je jetai un rapide coup d'œil à la pendule suspendue à côté de l'entrée. Je pressai le pas jusqu'à presque courir : ils ne nous restait plus que cinq minutes pour aller jusqu'à la salle du trône, qui était à l'autre bout du palais.
Quelques minutes plus tard, essoufflés et quelque peu échevelés, nous pénétrâmes dans la salle du trône par l'une des nombreuses portes qui longeaient le mur latéral. La salle était tellement longue que passer par la grande porte nous aurait valu du retard supplémentaire. Nous avançâmes jusqu'au mur du fond, et par extension jusqu'à l'estrade adossée à ce même mur, et aux trônes... trônant sur l'estrade. Les sourcils blonds de Mère se froncèrent lorsqu'elle vit les deux membres restant de sa progéniture approcher. Je la détaillai du regard, le temps que nous parvenions jusqu'à elle.
Mère se tenait bien droite sur son siège, comme toujours, et sa haute stature ne la rendait que plus intimidante. Elle était dotée d'une beauté stupéfiante, et d'un charisme qui faisait se tourner vers elle tous les regards, dès qu'elle entrait dans une pièce. Peu importait le nombre de personnalités présentes, elle les éclipsait toutes.
Son visage formait un ovale parfait, encadré de longues mèches d'un blond vénitien, aux reflets roux sous le soleil. Ses yeux couleur émeraude — exactement les mêmes que les miens — luisaient d'intelligence et de calcul, car elle étudiait tout ce sur quoi elle posait les yeux, évaluant les chances qu'elle avait d'en tirer quelque chose. Elle avait des lèvres parfaites, la plupart du temps enduites d'un baume nacré, qui l'embellissaient encore lorsqu'elle souriait. Malheureusement, cela n'arrivait pas très souvent. Mère passait son temps à cacher ses émotions. En tant qu'Héritière au trône, elle avait été élevée ainsi, en solitaire.
Mon regard se posa sur ses mains aux longs doigts fins. Elle portait son alliance de mariage à l'annulaire droit, et à l'index de la même main, le sceau de notre famille, marquée d'une colombe et de la lettre "C" ouvragée, qui se transmettait de souverain en souveraine depuis des décennies. Au même doigt de son autre main était glissée une bague en argent, ornée d'une améthyste d'un beau violet clair, sa couleur préférée, que Père lui avait offerte à leur premier rendez-vous. Quant à sa bague de fiançailles, elle la gardait précieusement dans un coffret dans ses appartements, et ne la sortait que pour les occasions spéciales. L'anneau d'or serti de trois améthystes alignées, la plus grosse au centre, était son véritable trésor.
Ce jour-ci, ses cheveux étaient attachés en un chignon mi-haut, retenu par une tiare en cristal. Deux longues mèches étaient lâchées et ramenés devant ses oreilles. Son diadème ivoirien était accordé à la robe couleur crème qu'elle portait.
Mon regard glissa ensuite vers Père, assis sur le siège avoisinant. Il était un peu plus grand que sa femme, mais pas de beaucoup. Sa peau était tellement bronzée qu'elle en paraissait mate. Ses cheveux noir de jais mi-longs étaient retenus en une petite queue de cheval lui effleurant le bas du cou, et ses yeux de même couleur attentifs. Son alliance luisait à son doigt, de même que son regard lorsqu'il le posait sur sa femme. Il était vêtu d'un pourpoint noir également, du même modèle que celui de Leopold, et d'une cape bleu sombre ne lui couvrant qu'une seule épaule, et étant rabattue derrière l'autre. Sa couronne d'ivoire fine tenait en place par je ne sais quel miracle, n'oscillant pas d'un poil malgré son équilibre précaire. Une jambe croisée sur l'autre, et la joue appuyée contre sa main, dont le bras lui-même reposait sur l'accoudoir, il paraissait bien peu royal, à l'inverse de son épouse. Il m'adressa soudain un petit signe de tête, me faisant signe de me reconcentrer sur Mère, et je le remerciai du regard. Je regardai Mère, qui nous toisait d'un œil furieux depuis son estrade.
« Vous êtes en retard, nous tança-t-elle de sa voix douce mais ferme qui la caractérisait tant, lorsque nous nous plantâmes devant son siège et celui de Père.
— De trois minutes et demie exactement, intervint cette fayotte d'Élisa, qui ne pouvait s'empêcher d'intervenir là où elle aurait dû se taire, surtout lorsque c'était pour soutenir ses parents plutôt que sa fratrie.
— On ne t'a pas demandé ton avis, Élisa », fit la Reine sans lui adresser un regard.
Je souris, satisfaite que Mère n'aie pas porté la moindre miette d'attention à ma cadette. Élisa faisait tout pour plaire aux adultes, de toutes les manières possibles, même si elle avait ses qualités. Je remarquai également que mes frères et sœurs, grands comme petits, avaient eu la même réaction.
« Bien, poursuivit Mère. Comptez-vous m'expliquer pourquoi donc vous êtes en retard, ou bien cela n'est pas dans vos projets ? »
Je jetai un regard implorant à Leo, qui secoua la tête en signe de dénégation. Le message était clair : c'était moi qui m'étais mise dans ce pétrin, et j'allais devoir m'en sortir seule. Je grimaçai, mon cerveau carburant à mille à l'heure à la recherche d'une excuse tant soit peu plausible.
« J'attends, Isabella, exigea Mère, qui avait visiblement parfaitement compris que j'étais la seule responsable de ce retard.
— Hem... eh bien, balbutiai-je misérablement, après la fin de mes cours, il y a une heure et demie environ, j'étais un peu fatiguée, étant donné que mon sommeil a été agité. Je suis donc allée dans la section nord-est du parc, afin de me détendre un peu avant la Lecture. Malheureusement, je me suis assoupie. Et, la végétation étant particulièrement dense dans cette partie du parc, je n'ai pas entendu la cloche sonnant les onze heures. Quand Leopold m'a retrouvée il était déjà onze heures trente, et le temps de retourner à mes appartements, puis de venir ici même, nous étions en retard...
— D'accord, reprit la Reine, qui avait haussé un sourcil, et l'avait gardé levé tout du long de mon explication, preuve que je n'étais pas crédible. J'ai juste une question ou deux. Comment se fait-ce que tu n'aies pas entendu la cloche ? Le son se répercute pourtant dans tout le palais, et également dans le parc. De plus, pourquoi êtes-vous passés - par vous j'entends Leopold et toi - par tes appartements, au lieu de nous rejoindre directement ?
— La végétation était épaisse, le... le son ne l'a sûrement pas traversée... Et je suis passée par ma chambre pour me changer. Cela m'était... absolument nécessaire. »
Mère haussa son deuxième sourcil, peu convaincue.
« Pourrai-je voir cette robe après, Isabella ? »
J'acquiesçai silencieusement.
« Ne devrions-nous pas commencer ? intervint Père, qui prenait la parole pour la première fois depuis le début de la conversation. Il se fait tard, nous devrions avoir débuté. »
Mère acquiesça, semblant reprendre conscience du temps qui passait. Passablement énervée, elle se leva et se dirigea vers le présentoir orné d'une vitrine situé quelques mètres plus loin. Elle porta les mains à sa nuque, et décrocha la chaînette d'or qui y était suspendue ; à son bout était accroché une clé de la même matière, délicatement ouvragée, toute en courbes et arabesques.
Elle ouvrit la vitrine, et en sortit un lourd livre enluminé. Cet ouvrage était sûrement le plus connu et le plus précieux livre de tout le royaume d'Espérale. Seule la Reine possédait la clé de la vitrine. Il était enlevé de son présentoir chaque semaine, et son usage nous était exclusivement réservé, à nous, la dynastie Espérale, famille régnante du royaume portant le même nom.
Mère revint vers nous, et nous nous rapprochâmes encore de l'estrade. Leo et moi, qui étions restés debout, nous assîmes en tailleur sur l'épais tapis bleu ciel, la couleur officielle d'Espérale. En temps normal, nous asseoir à même le sol nous aurait valu un regard furieux de Mère, mais elle passa l'éponge cette fois-ci, étant donné que personne n'allait faire irruption sans prévenir dans la salle du trône. Je ne voyais pas bien qui serait assez fou pour déranger la Lecture de la famille royale, et s'attiser en plus les foudres de notre redoutée souveraine.
Mère était donc retournée sur son trône. Elle avait posé le livre sur ses genoux, et, comme à chaque fois, je ne pus m'empêcher d'admirer la couverture, que je voyais pourtant tous les samedis à la même heure. Je détaillai du regard les dorures de la couverture ainsi que de la tranche, les délicates fleurs et oiseaux qui y étaient représentés, ainsi que le titre, tout en boucles et délicates courbes : Cendrillon.
Je levai les yeux sur l'immense portrait de cette dernière suspendu au-dessus des deux trônes. Mon illustre ancêtre y était représentée au summum de sa gloire, dans sa robe de bal, le bal où elle avait rencontré le Prince Charlie, aussi dit Charmant. Elle était vêtue d'une extraordinaire tenue, du même bleu que le ciel. Ses boucles dorées se déversaient sur ses épaules en vagues ondoyantes, mêlées de petites tresses, et ses yeux bleus étincelaient, sûrement de bonheur. Ses mains fines gantées de blanc étaient délicatement croisées devant elle. Elle était tout bonnement superbe. Bien sûr, ce portrait n'avait pas été peint le jour même du bal, mais sûrement après son mariage avec le Prince. Je supposais que la marraine de Cendrillon avait recréé la robe spécialement pour cette occasion, sinon, comment ce tableau aurait-il pu être réalisé ?
Mère frappa soudainement dans ses mains, me tirant à ma rêverie. Elle se racla la gorge, signe qu'elle allait débuter cette énième lecture d'un conte que je connaissais déjà par cœur. Au moment où elle prononça les quatre premiers mots, Il était une fois, je décrochai complètement et me laissai emporter par mes pensées, les yeux toujours fixés sur le tableau de Cendrillon pour faire croire que j'écoutais tout en admirant le portrait de mon ancêtre.
//NdA : Et voilà pour ce premier chapitre ! Que pensez vous de ma petite Isa ?
En attendant le prochain chapitre, votez, commentez, partagez !
Bisous,
Moïra Writefolle\\
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