~ 𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝚍𝚎𝚞𝚡 ~ 𝓘𝓼𝓪𝓫𝓮𝓵𝓵𝓪
Le claquement sourd du livre que l'on refermait me fit violemment sursauter. Perdue dans mes pensées, je n'avais pas remarqué que nous approchions de la fin du conte, d'habitude moment où je me reconcentrais pour que Mère ne remarque pas ma dissipation. Mais les choses ne se passèrent pas comme je l'espérais, et je découvris le regard inquisiteur de ma génitrice braqué sur moi. Encore une fois. Décidément, je n'avais pas de chance ce jour-là. Mère haussa à nouveau un sourcil, signe que j'avais gaffé. Elle faisait toujours cela dans ce genre de situation, tel une sorte de tic. Et il fallait dire qu'avec moi en particulier, elle avait beaucoup de raisons de lever le sourcil. Bien sûr, mes frères et sœurs n'étaient pas en reste... mais disons que c'était de moi qu'elle devait le plus se méfier. À seulement treize ans, j'étais la plus rebelle de ses sept enfants, même si l'on aurait pu considérer qu'elle n'en avait que six, étant donné que son aîné était pour ainsi dire invisible. En son temps, Camilio avait été le plus turbulent de notre fratrie, mais j'avais,... disons repris le flambeau en matière de rébellion.
Je me tordis les mains, cherchant quelque chose à dire à celle que je considérais plus comme une reine que comme une mère en cette instant. Je me relevai, dans l'espoir de m'esquiver. Espoir qui s'évapora aussi vite qu'il était arrivé lorsque le regard glacé de Mère me cloua sur place. C'est alors que j'entendis un petit claquement. Je tournai discrètement la tête en arrière, et aperçus Olivia et Michael m'adresser un clin d'œil simultané. Olivia pianota sur un bracelet en métal attaché à son poignet gauche, et je vis aussitôt l'image de ma petite sœur se troubler, et le temps que je cligne des yeux, elle passait une porte dérobée d'un des murs de la salle. Je me retins de justesse de sourire. Ma petite sœur d'à peine onze ans allait encore me sauver la mise.
Un léger raclement de gorge me tira à ma joie.
« Isabella.
— Mère ? hésitai-je.
— Il m'a semblé que tu étais... dissipée lors de la Lecture. N'était-ce qu'une impression, ou bien dois-je prendre les mesures nécessaires pour remédier à cela ?
— Les... les mesures ? balbutiai-je, horrifiée ne serait-ce que par l'idée d'un nouveau mois, voire plus, de punition.
— Parfaitement, fit Mère, toujours d'un calme olympien.
— Mais je vous assure que je vous écoutais !
— Ah oui ? Eh bien, peux-tu me dire quelle était la remarque faite par Leopold au moment où notre chère Cendrillon chausse ses pantoufles de verre ? »
Je grimaçai. Je n'en avais absolument aucune idée.
« Quelles n'avaient pas l'air très confortables ?
— Absolument pas. Je suis désormais certaine que tu n'étais pas concentrée sur l'histoire. C'est pourquoi je vais devoir- »
Un énorme boum coupa mère dans sa phrase. Je soupirai de soulagement, et remerciai mentalement Olivia au moins un demi-million de fois. Mère se leva d'un bond, imitée par Père. Je crus l'entendre jurer, mais c'était hautement improbable. Après tout, l'on parlait de Sa Royale Majesté Adelis Emera Délia Espérale, Reine du Royaume d'Espérale, pas de la chargée de pêche du palais ! Bon, je devais bien l'avouer, le Royale était de trop, et ne faisait pas partie du titre officiel de mon impériale génitrice. Mère se dirigea d'un pas énergique vers la sortie de la salle. Le reste de la fratrie Espérale de Keviner se leva progressivement pour la rejoindre. Michael et son sourire coquin, Leopold et sa réserve, Élisa et son exaspérante volonté de plaire, Morgane et sa droiture, et enfin Camilio et sa mauvaise humeur. Les grandes portes de la salle du trône claquèrent violemment contre le mur lorsque les gardes, ayant entendu les bruits de nos pas de l'autre côté du battant, les poussèrent. Mère les dépassa comme une furie et s'avança dans l'immense couloir au plafond voûté, aux colonnades sculptées et aux murs ornés d'une multitudes de présents venus des quatre coins du monde. Un régiment de la garde royale nous entoura, mais resta quand même à bonne distance de Mère, qui paraissait prête à exploser. Les couloirs s'étaient repeuplés depuis le moment où Leo et moi y étions passés, et partout où je posais le regard, je ne voyais que courbettes et révérences, que ce soit du personnel du château, de simples citoyens ou de politiciens s'inclinant devant leur souveraine et sa famille. Mère adressait quelques hochements de tête par-ci par-là à certaines personnes qui semblaient s'enorgueillir de ce simple geste, mais dans l'ensemble, elle continuait à avancer sans se laisser perturber, le visage neutre, les épaules droites et le port de tête altier comme à son habitude.
Père, à cinq centimètres d'elle, voire moins, marchait avec la même vigueur. Derrière suivait Morgane, Héritière du Trône d'Espérale, seconde enfant de mes parents. Ç'aurait dû être Camilio l'héritier, mais nos parents l'avaient destitué de son titre il y a des années, au grand soulagement de tout le monde, et surtout du sien. Camilio étant gay, Mère lui avait épargné la torture de devoir donner un successeur à Espérale, en le "remplaçant" par Morgane, qui était d'ailleurs le portrait craché de notre mère, de son physique jusqu'à son esprit : son visage fin et ovale, son nez en trompette, ses longs cheveux blonds ondulés, et ses yeux verts légèrement en amande étaient ceux de Mère. Tout chez elle, y compris le caractère, était celui de la Reine. Ce n'était pas pour rien qu'elle était son héritière. Élisa était à quelques pas seulement de notre aînée, la tête désespérément levée pour se faire remarquer. Ses cheveux brun foncé étaient sagement attachés en une queue de cheval reposant dans son dos. Sa volonté de plaire était certes exaspérante, voir même cliché pour la benjamine d'une fratrie, mais il fallait la comprendre : elle était la petite dernière d'une grande, d'une immense famille, qui s'était étirée sur des centaines d'années, des dizaines et des dizaines de générations. Et voilà qu'elle se retrouvait dernière née de cette gigantesque lignée. Elle n'en avait que peu d'importance aux yeux des autres, et la plupart du temps, les regards glissaient sur elle comme ils l'auraient fait sur du papier de verre. Elle voulait désespérément qu'on la remarque, pour qu'enfin on cesse de l'ignorer. J'avais vécu, comme tous mes frères et sœurs, la même chose, et comprenais ce que cela faisait de se sentir invisible. Il n'empêchait, son attitude, faussement exemplaire devant les adultes, mais souvent exécrable avec nous autres me donnait parfois des envies de meurtre. Il me semblait qu'elle demandait à Morgane si elle pourrait rencontrer ses amies, qui avaient l'air tellement charmantes et gentilles, selon ses dires. Leopold, mains croisées derrière le dos, dardait un regard sceptique sur Élisa. Il était évident que lui aussi doutait de la sincérité et du bien-fondé de la demande de notre cadette. Les familles des amis de notre aînée étaient toutes extrêmement influentes et populaires. Il n'était pas difficile de deviner que son geste était purement intéressé, et qu'elle demandait cela pour se faire des relations qui n'étaient pas celle de ses aînés. Du moins, c'était probable.
Soudain, je sentis une mains chaude se glisser dans la mienne. Je baissai les yeux vers Michael, et lui souris.
« Est-ce que c'est toi ? lui demandai-je avec reconnaissance. Enfin, toi et Olivia ?
— De quoi parles-tu ? répondit Mica d'un ton faussement interrogateur.
— Tu sais très bien ce que je veux dire. »
Avant de poursuivre, je baissai la voix, de peur que l'on nous entende.
« L'explosion, tout à l'heure, juste après qu'Oli se soit éclipsée.
— Comment tu as deviné ?
— Arrête, soupirai-je. Ce n'était pas difficile. Comment ?
— Un mini-modèle de bombe qu'Olivia a placé. Pas dangereux pour les êtres vivants, bien sûr. Elle produit juste une détonation... et peut briser le verre si il y en a à proximité, finit-il avec une grimace.
— Pourquoi cette tête ? Qu'est-ce qu'il y a ?
— Eh bien... j'ai peur que la serre soit dans un sale état. »
J'écarquillai les yeux. Ma petite sœur avait fait exploser une bombe... dans une serre ? Je me passai une main sur le front, exaspérée. Mère allait être folle de rage... sans compter les jardiniers, verriers, réparateurs et autres, qui allaient devoir retaper tout ce désastre.
Nous nous arrêtâmes quelques secondes lorsque Camilio nous dépassa avec un grommellement inaudible. Je le vis se diriger vers l'un des nombreux embranchements du couloir, et rejoindre une grande jeune femme élancée, à la peau noire comme du charbon, mais aux cheveux blancs comme neige et aux yeux rubis. Dahlia, la meilleure amie albinos de mon frère, sa compagne de voyage et de galère la plus proche. Elle logeait depuis presque un an et demi dans l'aile est du palais, le domaine de mon frère et de ses amis lorsqu'ils ne parcouraient pas le monde. Dahlia, déjà peu appréciée par ses parents à cause de son albinisme, avait été reniée par le reste de sa famille lorsqu'elle leur avait révélé son homosexualité. Depuis, les voyages avec Cam et sa troupe étaient devenus son refuge et l'aile est sa demeure, bien que provisoire. Nos parents laissaient les amis de Camilio habiter avec lui, car il n'y avait pas de risque que leur cadet donne un héritier illégitime au royaume, étant donné qu'il partageait, comme tant d'autres choses, sa sexualité avec sa meilleure amie, et qu'aucun de ses compagnons masculins n'étaient transgenre. C'était pour cela que notre aîné passait plus de temps en voyage avec ses amis qu'au palais en compagnie de sa famille. Je vis le visage de Camilio s'éclairer lorsque Dahlia lui murmura quelque chose à l'oreille. Les deux compères s'en furent aussitôt. Je soupirai, connaissant bien l'expression qui avait pris possession de Cam.
Il allait repartir, encore. Et cette fois, pour plusieurs années. La grande expédition qu'il préparait depuis des mois allait enfin débuter. Je ne savais même pas quand il reviendrait, et j'étais quasi-sûre qu'il n'interromprait pas son voyage pour revenir fêter les dix ans d'Élisa. Des larmes de rages me virent aux yeux, et j'enfonçai mes ongles dans mes poings serrés pour les empêcher de couler. Bon sang, je ne pourrais même pas souhaiter à Camilio l'anniversaire de ses vingt ans en chair et en os !
Je tentai de mettre de côté ces pensées négatives, et freinai de justesse avant de rentrer dans Leopold, qui s'était arrêté en plein milieu du couloir. Réalisant que nous devions être arrivés aux serres, je me retins de déverser ma rage sur Leo, qui n'avait strictement rien fait. J'entendis soudainement Michael prononcer un flot de jurons qu'un enfant de son âge n'aurait jamais dû prononcer, et me faufilai à travers la foule agglutinée devant nous. Je parvins jusqu'à l'espace dégagé par la présence de Mère, et écarquillai les yeux devant le désastre s'offrant à nos regards. J'avançai de quelques pas, et pénétrai dans l'une des serres de taille moyenne, adjacente à la grande. La toiture avait littéralement explosé, de même que le mur de droite, créant une entrée vers la grande serre. Des bouts de verre, que ce soit simples éclats ou véritables plaques de la taille de mon avant-bras jonchaient le sol.
Étrangement, les plantes étaient toutes intactes. Je repensai à ce que m'avait expliqué Michael à peine quelques minutes plus tôt. La bombe n'était pas dangereuse pour les êtres vivants, les plantes y compris. Les jardiniers chaussés de bottes à semelle très épaisse couraient d'arbre en massif de fleurs exotique pour vérifier l'état des végétaux, même s'il était visible qu'il ne leur était rien arrivé de particulier, et des membres du personnel d'entretien commençait déjà à ramasser les morceaux de verre répandus un peu partout. Je balayai la serre du regard, à la recherche d'Olivia, mais ne la trouvai pas. Je supposai qu'elle s'était cachée dans la grande serre ou au milieu des plantes.
Soudain, je vis toutes les personne présente s'incliner, en même temps que des bruits de pas, ou plutôt de talons, retentissaient. Je me tournai vers Mère et Père, et les laissai passer devant moi avec un signe de tête respectueux. Mère s'arrêta au milieu de la serre. Je la vis scruter tous l'espace, avant de remettre derrière son oreille une mèche de cheveux qui s'en était échappée.
« Olivia, clama-t-elle après s'être légèrement raclé la gorge. Sors d'ici. Je sais que tu es là. »
C'est alors que je vis une forme émerger d'un tas de branches enchevêtrées dans un coin de la serre. Olivia, après avoir avancé, stoppa le mouvement juste devant la Reine, tête baissée. De là où j'étais, je pouvais voir ma cadette se mordiller la lèvre. Mère tendit silencieusement la main, et sans un mot, Olivia lui remit un objet que j'identifiai comme étant un détonateur. Mère et fille restèrent là de longues secondes, comme plongées dans une sorte de communication silencieuse. Puis Mère arracha son regard, qu'elle avait planté dans les yeux de sa troisième fille, pour le poser sur les jardiniers, qui avaient cessé depuis longtemps toute activité. Elle prit la parole, et sa voix trancha le silence qui s'était installé, claire et nette.
« Je suis sincèrement désolée pour ce qu'il vient de se produire, s'excusa Mère, ce qui estomaqua toute l'assistance, car cela n'était pas dans les habitudes de la Reine. Cela n'était bien évidemment pas de votre fait, ainsi je ne vous déléguerai pas la tâche de réparer la toiture et les murs de cette serre seuls. Bien que cela vous semblera sûrement être une aide minime, ma fille, Olivia Sophia Espérale, vous y aidera. Malgré son jeune âge, elle est forte et compétente. De plus, ses talents innés en mécanique permettront à coup sûr de construire quelque machine apte à faciliter votre travail. Olivia, as-tu quelque chose à ajouter ?, demanda-t-elle à cette dernière, sachant pertinemment que ce n'était pas une vraie question.
— Je m'excuse pour ce que j'ai fait... c'était stupide, et je travaillerai dur avec vous pour réparer mon erreur.
— Bien. Maintenant, allons-y », termina Mère. Nous nous rendons dans tes appartements, Isabella, indiqua-t-elle sans m'adresser un regard.
Je déglutis avec difficulté. Dans ma suite ? Je me mordillai la lèvre comme Olivia quelques minutes auparavant, tentant inutilement de réfréner la seule pensée qui me venait à l'esprit.
Elle va voir ma robe.
//NdA : voici pour ce deuxième chapitre ! Le caractère rebelle de ma petite Isa se met en place, tout comme les différents membres de sa (nombreuse) fratrie ! Et surtout, l'implacable mère d'Isabella verra-t-elle la robe déchirée, preuve totale du mensonge de sa fille ? Quelle sentence la Reine va-t-elle appliquer ? Rendez-vous dans le chapitre trois pour le savoir ! (Et un indice : ce sera pas joyeux)
En attendant le chapitre trois, votez, commentez et partagez !\\
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