V
NDA : il est très long mais je vous le mets quand même en une seule fois, il y a une séparation au milieu de toute façon.
Alma attendit le lundi suivant pour reparler à Raphaël. Elle n'avait pas répondu à son message, n'était pas retournée le voir, mais elle avait réfléchi. Beaucoup réfléchi. À vrai dire, elle s'était torturé le cerveau durant toute la nuit du samedi au dimanche, puis pendant toute la journée du dimanche, et encore la nuit suivante.
Maintenant, elle était dans le bus qui l'emmenait au lycée et sa décision était prise. Après toutes les longues heures de réflexion qu'elle avait eu, la seule conclusion qu'elle avait tirée et dont elle était certaine était que ce que ressentait Raphaël pour elle, elle le ressentait pour lui. Elle s'était rendue compte qu'une fois qu'elle avait accepté ses sentiments, les choses s'étaient révélées beaucoup plus simples. Elle aimait Raphaël et rien ne pourrait l'en empêcher. Sa décision était donc de le lui dire, malgré l'embarras que cela allait provoquer. Elle se repassa en tête tous les évènements qui s'étaient enchaînés depuis leur première rencontre, et fut une fois de plus sidérée par la rapidité de l'avancée de leur amitié. Surtout quand on savait qu'elle avait tout d'abord détesté le garçon. Elle se souvenait avoir lu, vu ou entendu que certaines formes de haine se transformaient en amour. Certes, elle ne haïssait pas Raphaël, au début, mais elle ne l'aimait pas. Et maintenant, elle se retrouvait à s'avouer qu'elle en était amoureuse.
Le bus s'arrêta et la jeune fille descendit. En rentrant dans l'établissement, elle ne vit pas Raphaël, qui avait pourtant l'habitude de l'attendre, en revanche, elle aperçut Chloé. La brunette était adossé contre l'un des piliers qui soutenaient le plafond et se précipita sur elle en la voyant arriver.
– Alma ! s'écria-t-elle en se précipitant vers son amie.
– Chloé ! répondit la rousse en l'étreignant.
Depuis qu'elle avait mis son amie au courant, celle-ci se faisait beaucoup moins de souci. Elle avait d'ailleurs prévu un plan machiavélique visant à utiliser Raphaël à ses fins afin qu'il aide Alma à combattre ses démons et qu'elle puisse enfin être heureuse. En attendant, elle comptait obliger la jeune fille à lui raconter précisément tout ce qui se passerait entre le brun et elle, et, si possible, les espionner pour constater par elle même l'avancée des choses. Et puis au pire, elle ajouterait sa patte à l'histoire au cas où les choses tourneraient mal.
Mais bien sûr, tout cela, elle le garda pour elle en se jurant que jamais Alma n'en saurait rien.
Les deux amies papotèrent pendant quelques minutes. Chloé voulut que la rousse lui raconte encore une fois, de vive voix, sa visite chez le garçon et la jeune fille s'exécuta, heureuse de partager son bonheur avec sa meilleure amie, même si elles savaient toutes deux les peines qui se cachaient sous ce vernis doré.
Finalement, la rousse prit congé de la brune et partit vers son casier, en se demandant où pouvait bien être Raphaël. Elle était amusée de voir que Chloé était aussi enthousiaste à l'idée qu'elle se soit trouvé un amoureux. D'un autre côté, elle continuait à s'inquiéter de ses actions et surtout de cet amour qui était tout nouveau pour elle. Elle redoutait tant d'aimer, mais pourtant, le destin semblait s'acharner sur elle. Elle aimait Chloé et Alice, elle aimait Isa et Marc, elle appréciait les jumeaux, et maintenant elle aimait Raphaël, tout ça en sachant pertinemment qu'aimer signifiait souffrir.
Le temps de se faire ces réflexions, elle était arrivée à son casier. En l'ouvrant, elle y trouva un petit papier, signé Raphaël, lui proposant de manger avec lui. Elle fut à peine surprise de sentir un sourire étirer ses lèvres. Décidément, ce garçon avait su la conquérir.
En s'asseyant devant sa salle de français, la jeune fille sentit un poids immense sur sa poitrine. Le poids de quoi, elle n'aurait su le dire. Peut-être était-ce la culpabilité, peut-être était-ce la tristesse, elle n'en savait rien mais cette présence désagréable refroidit immédiatement son humeur.
Cependant, à midi, elle avait retrouvé un semblant de joie et ce fut le cœur plus heureux qu'elle descendit dans le hall, espérant y trouver Raphaël. Il n'était pas là quand elle arriva mais, étant donné qu'il ne lui avait pas donné de point de rendez-vous, elle ne savait pas où il voulait qu'ils se retrouvent. Au bout de quelques minutes, elle commença à se demander si ce n'était pas un canular. Pourtant, elle était sûre d'avoir reconnu l'écriture du garçon... À midi et demi, il n'était toujours pas là et Alma était de plus en plus inquiète. Elle monta à la terrasse, personne. Elle sillonna les couloirs, en vain. En désespoir de cause, elle se résigna à aller demander à la Vie Scolaire si quelqu'un savait où était le brun. On lui dit qu'il n'était venu que la première heure puis qu'il était reparti. Septique, la jeune fille dut se résoudre à passer le reste de la pause midi seule. Elle ne mangea pas, perdue dans ses pensées noires.
Lorsqu'elle sortir enfin du lycée, à 17h, elle décida d'aller voir chez Raphaël s'il était là. En sonnant au 34, rue Pasteur, elle ne put s'empêcher de repenser à l'avant-veille, au temps qu'ils avaient passé ensemble, tous les deux, et elle sentit son cœur fondre dans sa poitrine. Ce que l'amour pouvait rendre bête.
Ce fut encore la mère du brun qui lui ouvrit la porte et sourit en la reconnaissant.
– Bonjour... hésita la jeune fille. Je me demandais si Raphaël allait bien, je ne l'ai pas vu au lycée, aujourd'hui.
– Oui oui, ne t'inquiètes pas ! répondit la femme. Il a juste une mauvaise grippe. Tu veux que je lui dise que tu es là ?
– Eh bien... euh... Oui, je veux bien, merci, bégaya Alma.
La mère de Raphaël la fit entrer puis lui demanda d'attendre un instant dans le salon. Alma eut le temps de compter cent vingt-quatre secondes avant qu'elle ne revienne et lui dise que le garçon l'attendait.
En entrant dans la chambre aux murs jaunes, Alma fut surprise de la trouver plongée dans l'obscurité, une obscurité maladive, presque angoissante. L'atmosphère de la pièce était lourde, l'air sentait la maladie. Ou peut-être juste se faisait-elle des idées.
Raphaël était allongé sur son lit, deux oreillers lui soutenaient la tête. La jeune fille eut de la peine pour lui en voyant ses yeux fiévreux et les divers médicaments posés sur la table de chevet.
– Salut, fit-elle avec un petit sourire désolé. Comment ça va ?
– Désolé pour ce midi... répondit le garçon. Je voulais venir mais je n'ai pas pu...
– Je vois ça, fit Alma avec un hochement de tête. Qu'est-ce qu'il t'es arrivé ?
– Va savoir, lui répondit-il avec un haussement d'épaules. J'étais en cours de maths et j'ai eu super mal à la tête, comme ça, d'un coup. Je suis allé à l'infirmerie, ils ont appelé ma mère et elle m'a ramené.
Alma fit une moue compatissante.
– Bon... fit-elle. J'espère que tu iras vite mieux.
– J'espère aussi, sourit le garçon.
Ils restèrent silencieux pendant quelques secondes puis Raphaël prit une grande inspiration et murmura, dans un souffle à peine audible :
– Au fait, Alma... Je... Enfin... Le message que je t'ai envoyé samedi soir... Tu... Tu...
Il semblait si gêné que la jeune fille aurait pu en rire, si la situation n'avait pas été celle qu'elle était. Elle se mordit la lèvre et un long frisson glacé lui traversa la colonne vertébrale.
– Moi... aussi, déclara-t-elle d'une traite en fixant son regard dans les yeux océan du jeune homme.
Ce dernier eut un sourire, un sourire de soulagement et d'autre chose qu'Alma jugea être de l'amour.
– Alors... hésita-t-il. Est-ce que tu penses qu'on... qu'on pourrait se retrouver, par exemple, euh, samedi prochain ?
– Oui, si tu veux, accepta la rousse avec un petit hochement de tête en essayant de maintenir sa voix à un niveau régulier.
– Sup... commença le brun, mais il fut interrompu par une violente crise de toux.
Alma, ne sachant pas quoi faire, regarda de tous les côtés, affolée, mais Raphaël parvint à retrouver son souffle et la rassura d'un geste.
– Ça... Ça va, haleta-t-il. Ne t'inquiètes pas, ça va passer. Ce n'est rien de grave.
– Tant mieux, alors, soupira la jeune fille, rassurée mais tout de même ébranlée par la violence de la toux qui avait secoué le garçon.
– Bon eh bien... à samedi prochain, alors, dit-il après quelques instants. Il y a peu de chances que je sois là cette semaine, mais on peut toujours espérer !
– À samedi, répondit Alma, un peu attristée qu'il la mette dehors, tout en sachant qu'il avait juste besoin de repos.
⠐⢾░▒▓ 𝟷𝟺-𝟹𝟺 ▓▒░⡷⠂
C'est ainsi que la jeune fille se retrouva, le samedi suivant, à attendre Raphaël dans le parc du village, où ils s'étaient donné rendez-vous. Comme il l'avait prédit, il n'était pas venu au lycée de la semaine mais il avait discuté avec Alma par messages et elle avait été soulagée en apprenant qu'il allait mieux.
Elle l'attendait depuis quelques minutes, assise sur un banc, respirant l'odeur des feuilles d'automne qui tombaient gracieusement des arbres de plus en plus dénudés en un ballet aérien, quand le garçon arriva. Il lui sourit en la voyant et s'approcha d'elle. Elle se leva en lui rendant son sourire, un peu gênée mais les yeux brillants. Ils restèrent quelques secondes face à face, se contentant de s'observer l'un l'autre, puis Raphaël prit la parole :
– Tu es... resplendissante, la complimenta-t-il. Tu veux aller marcher ?
Alma se sentit rougir et tenta de dissimuler le sourire qui étirait ses lèvres en baissant la tête, laissant ses cheveux retomber devant son visage. Elle sentit une hésitation venant de son interlocuteur, puis une main replaça délicatement ses mèches derrière son oreille. Un immense frisson lui traversa la colonne vertébrale et son cœur s'emballa brusquement dans sa poitrine tandis que tous les poils de son corps se hérissaient de... de quoi, d'ailleurs ? Les sentiments qui assaillaient son cerveau étaient si nombreux, si nouveaux, et ils faisaient naître tant d'émotions dans tout son corps qu'elle ne savait plus où elle en était.
Sans vraiment être consciente de ses actes, elle releva la tête et saisit la main de Raphaël. Elle fixa son regard dans le sien et comprit qu'il était en train de traverser le même tourbillon de sensations qu'elle. Pressant les doigts du garçon, elle laissa son sourire prendre toute la place qu'il voulait. Son cœur se gonfla dans sa poitrine et un sentiment de bonheur intense envahit chaque cellule de son organisme.
– Oui... souffla-t-elle. Allons marcher, c'est une bonne idée.
Sans lâcher sa main, elle détacha son regard des yeux océan du brun et l'invita à le suivre. Ils marchèrent côte à côte, main dans la main, sans échanger un mot, savourant simplement la présence de l'autre à ses côtés. Le monde n'existait plus pour eux, seuls comptaient le contact de leurs corps, la respiration de l'autre, les battements de cœur qui résonnaient, puissants, dans leur cage thoracique et les sentiments nouveaux qui naissaient dans leur esprit et dans leur cœur. Ils avaient tous deux renoncé à essayer de les comprendre, se contentant de les voir jaillir et voltiger, fleurs neuves et si délicates qu'ils caressaient du bout des doigts, craintifs de briser leurs jeunes et fragiles pétales.
– Alma... murmura Raphaël, effrayé par l'intensité du moment.
– Oui ? interrogea la jeune fille, tournant la tête vers lui.
Ils ne voyaient pas les gens autour d'eux, mais eux les voyaient. Et nombreux souriaient devant le couple si parfait qu'ils formaient, devant la pureté et l'innocence qui émanaient d'eux.
– Je... Je crois que je n'ai jamais été aussi amoureux de toute ma vie, balbutia-t-il. Et je crois aussi que c'est l'une des choses les plus magnifiques qui me soient arrivées.
Alma fut à nouveau parcourue par un long frisson de bonheur et elle crut que son cœur allait exploser. Un sentiment d'ivresse lui monta à la tête et elle n'eut même pas conscience que son autre main attrapait celle du garçon, le premier être humain pour qui elle ressentait tant de choses, celui auquel elle tenait plus que tout.
– Moi aussi, dit-elle du bout des lèvres, noyée dans l'océan azuré des iris de Raphaël. Moi aussi.
Il faisait une bonne dizaine de centimètres de plus qu'elle – pourquoi ne s'en était-elle pas rendu compte plus tôt, d'ailleurs ? Enfin, ça n'avait aucune importance – et elle dut se hisser légèrement sur la pointe des pieds lorsqu'il pencha son visage vers le sien. Le temps sembla se suspendre, elle ferma les yeux et pencha la tête en arrière tandis que son cœur s'arrêtait de battre et qu'une multitude de papillons se mettaient à s'affoler dans son bas-ventre. Une éternité plus tard – ou quelque secondes, le temps n'était plus qu'un concept abstrait –, durant laquelle son être tout entier retint sa respiration, les lèvres du garçon se posèrent sur les siennes.
L'univers entier explosa autour d'elle, plus rien n'avait de sens, plus rien sauf les milliers de saveurs qui naissaient de leur baiser, plus rien sauf leur cœur qui battaient à l'unisson, résonnant dans l'air tiède comme les lents coups d'un gong, plus rien sauf l'amour, si puissant, si éclatant, si beau, qui les unissait, annihilant l'idée de parties pour ne laisser que celle de tout, d'un tout uni et indissociable. Plus rien sauf les bras du garçon qui s'enroulèrent autour d'elle, l'un sur sa taille et l'autre dans ses cheveux, plus rien sauf l'étreinte qu'elle lui rendit, plus rien sauf leurs lèvres, leurs lèvres dévoilant des horizons merveilleux qu'ils n'avaient jusque là pas même effleuré.
Ce fut Alma qui mit fin à ce contact, tout doucement, par peur de briser le lien qui venait de se tisser entre eux, fragile et luisant d'un éclat si pur qu'il en paraissait irréel. Ils reprirent leur respiration, à peine conscients qu'ils l'avaient tous deux retenue le temps de leur premier baiser. Sans défaire leur étreinte, ils plongèrent leur regards l'un dans l'autre, voyant pour la première fois leur âme à travers leurs pupilles.
Raphaël caressa doucement les cheveux roux d'Alma et celle-ci se sentit fondre littéralement entre ses bras. Elle laissa sa tête retomber, son front posé contre l'épaule du brun.
– Je serais toujours là pour toi, chuchota-t-il à son oreille, la voix rendue rauque par l'émotion.
À l'entente de cette phrase, la jeune fille se raidit. Tous ses muscles se crispèrent et un flash de lumière lui brûla les rétines. L'horrible image des cadavres de ses parents, brûlés, brisés, tordus dans une position grotesque et terrifiante s'imposa à son esprit. Une voix douce, féminine, lui assura qu'elle serait toujours là pour elle mais fut interrompue par le hurlement de terreur qui jaillit de sa gorge quand la foudre s'abattit sur elle. Un hurlement terrible, exprimant la terreur à l'état pur, la terreur de voir sa fille mourir, la terreur de mourir.
Le corps de la jeune fille fut pris de convulsions, une sueur froide recouvrir son épiderme et son cœur battit si fort qu'il manqua de se déchirer tandis que des images défilaient à toute vitesse sous ses paupières serrées. Une main qui se tendait vers elle. Une tour sous l'orage. Sa mère, traversée par la foudre, le corps cambré quelques centimètres au-dessus du sol, la bouche grande ouverte sur un cri muet. Fauchée. Fauchée par la mort, par la foudre. Image terrifiante qui se grava dans l'esprit d'Alma pour l'éternité. L'image de la Mort, sans filtre et sans vernis, juste elle, à son état le plus pur.
– NOOOOOOON !!! hurla la jeune fille en se jetant en arrière.
Elle trébucha, tomba, repoussa sans ménagement la main que Raphaël tendait vers elle. Elle s'enfuit, aveugle, l'image de la Mort imprimée à sa vision, masquant tout le reste. Elle ne prêta pas attention aux gens qui s'étaient levés, inquiets, ni au garçon qu'elle embrassait quelques secondes plus tôt, pas même à la route qu'elle traversait, manquant de se faire renverser. Elle n'entendait plus que le cri d'agonie de sa mère qui résonnait dans ses oreilles, ne voyait plus que son corps, ne sentait plus que sa propre souffrance et la pluie glaciale qui tombait des cieux le jour fatidique, elle n'avait plus en bouche le goût fleuri de son baiser, mais celui, métallique, du sang, et l'odeur de feuilles d'automne du parc était remplacée par celle de la mort.
– Maman... eut-elle seulement le temps de gémir avant de tomber, évanouie ou morte, sur le gravier du chemin, les bras serrés sur sa poitrine et le visage inondé de larmes si froides qu'elles en étaient brûlantes.
Tu m'avais promis que tu resterais...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top