IV (2)

Les deux adolescents se levèrent et allèrent à la cuisine. Durant les trentes minutes qui suivirent, ils s’évertuèrent à préparer des cookies, tâche rendue difficile par le fou rire dont ils étaient tous deux atteints. Lorsqu'ils eurent enfin mit les cookies au four, Alma avait de la farine partout et Raphaël des pépites de chocolat jusque dans les cheveux. Ils se nettoyèrent sommairement puis sortirent les gâteaux du four et retournèrent dans la chambre du garçon.

Alma s’assit au bout du lit, l’assiette de cookies entre Raphaël et elle. Elle promena à nouveau son regard sur la chambre, songeuse. Amusée, elle observa la collection de boules à neige du garçon et sourit en en comptant trente-quatre. Le hasard n’existait pas, mais les statistiques faisaient des choses merveilleuses. À nouveau, le silence régna entre les deux adolescents, interrompu seulement par les bruits qu'ils faisaient en mangeant leurs cookies. Le cerveau d’Alma tournait à toute allure. Elle était dans la maison de Raphaël. Dans la chambre de Raphaël. Sur le lit de Raphaël. Avec Raphaël. Soit le monde se foutait de sa gueule, soit elle se foutait de la gueule du monde. Mais le pire dans tout ça, c’était qu'elle était heureuse. Elle était bien avec lui, et à ce moment, elle se fichait bien de qui pouvait penser quoi puisque personne ne les voyait. En revanche, elle devait bien admettre que le stade “amis” avait été dépassé. Depuis longtemps. Mais ça, elle préférait ne pas y penser.

L’église du village sonna cinq coups et Alma sauta sur ses pieds.

– Zut, j'ai dit à Isa que je serais rentrée à dix-sept heures ! s’écria-t-elle.

– Attends ! la rappela Raphaël avant qu'elle ne s’enfuie. Est-ce que je peux avoir ton numéro ?

– Euh oui si tu veux.

– Tu peux me l’écrire ?

Alma attrapa le papier qu'il lui tendait et nota les dix chiffres de son numéro.

– Je t’enverrai un message par WhatsApp, lui dit le garçon.

– Ça marche ! confirma la jeune fille. À lundi !

Elle lui fit un petit signe de la main puis sortit et se dirigea au pas de course vers sa propre maison. Raphaël resta dans l’encadrement de la porte, regardant la chevelure rousse de la jeune fille s’éloigner puis disparaître au coin de la rue. Il eut pendant un instant l’espoir qu'elle se retourne mais elle ne le fit pas.

– Merci, Alma… fit-il dans un souffle, laissant sa tête retomber contre le chambranle. Merci d’être venue.

De son côté, Alma marchait rapidement. Elle savait qu'Isa ne s'inquiéterait pas pour si peu, mais elle aimait être à l’heure, et il était déjà 17h06. Il lui restait cinq petites minutes avant d’arriver, normalement elle ne se ferait pas réprimander.

En effet, elle arrive à 17h10 très exactement et Isa, qui lisait sur le canapé, lui fit un grand sourire.

– Hello ma puce ! C’était bien, avec Elena ?

– Super ! répondit la jeune fille, qui avait effectivement prétendu aller rendre visite à Elena, une fille de sa classe de primaire avec qui elle avait gardé contact et qui habitait elle aussi le village.

Elle grimpa les escaliers qui menaient à l’étage et entra dans sa chambre, avant d’en fermer la porte. Là, enfin ! Elle se sentait chez elle, dans son cocon familier, là où le monde extérieur ne pouvait pas l’atteindre. Elle se laissa tomber sur son lit et ne put s’empêcher de repenser à la chambre impeccable de Raphaël, qui n’avait rien à voir avec la sienne, sombre et remplie d'un bazar pas possible.

En grognant, Alma se tourna sur le ventre, enleva ses baskets d'un mouvement de pied et prit son téléphone. Elle ouvrit WhatsApp et ne fut pas surprise d'y trouver un message d'un numéro inconnu. Elle appuya sur la touche “enregistrer le contact” puis son doigt resta en suspens au-dessus de l’écran. Elle réfléchit pendant quelques longues secondes, puis entra les nombres “34” et “0810” dans la case “prénom”. Trente-quatre, parce que c’était le chiffre par lequel elle définissait le garçon, et zéro huit dix, parce que la date du jour était le huit octobre. C’était ainsi qu'elle fonctionnait, tous ses contacts étaient nommés par des chiffres, incompréhensibles pour qui que ce soit mais on ne peut plus clairs pour elle. Par exemple, Chloé était le 53 1305, Alice le 16 2712 et Isa le 25 1403.

Le message de Raphaël n’était pas particulièrement élaboré. Il avait juste écrit un simple “salut”, puis, entre parenthèses, “c'est Raphaël”. Alma nota que le premier message avait été modifié mais n’y prêta pas vraiment attention. Elle ne saurait jamais que le garçon avait initialement ajouté un emoji cœur qu'il avait immédiatement regretté. Sans doute cela valait il mieux.

La jeune fille répondit par un “hey” basique, puis elle éteignit son téléphone, se redressa sur ses coussins, regarda l’objet qu'elle tenait à la main, hésita, le ralluma et appela Chloé. Elle avait promis qu'elle le ferait, elle n’allait pas se défiler.

– Allô ? Alma, raconte-moi tout !

Alma avait toujours aimé cette manie un peu démodée qu'avait son amie de dire “allô” à chaque fois que quelqu'un l’appelait, même lorsqu'il s’agissait de ses parents, ou de sa meilleure amie.

– Tu y es allée, n’est-ce pas ? la relança Chloé.

– Oui oui ! la rassura la rousse. Même si j’ai failli me défiler parce que personne ne venait quand j’ai sonné, mais j’y suis allée et ça c’est très bien passé.

– Je veux plus de détails que ça ! protesta la jeune fille à l’autre bout du fil.

Et Alma lui raconta. La veille, elle avait appelé son amie après le départ plutôt catastrophique de Raphaël et lui avait tout avoué. Elle avait vidé son sac, pleurant une partie du temps, laissant enfin ses émotions déborder de son corps. Chloé l’avait patiemment écoutée, heureuse que la jeune fille se confie enfin, amusée qu'elle se soit trouvé un petit copain, elle, la fille la plus asociale qu'elle connaisse. À la fin de son monologue, la brune avait simplement lâché “No way, Alma, t’es amoureuse”. Bien sûr, elle avait protesté à coups de “maisnonmaispasdutout”, mais Chloé n’était pas dupe. Elle l’avait rassurée, conseillée, puis lui avait ordonné d'aller, dès le lendemain, voir Raphaël et lui parler.

Ce qu'avait fait la jeune fille, et comme souvent, le temps avait donné raison à Chloé.

Une demi-heure plus tard, une Alma fatiguée disait au revoir à une Chloé ravie et surexcitée. La rousse roula sur son lit, le nez dans l’oreiller, et poussa un profond soupir, mêlé d'un grognement désabusé. Ce que Chloé pouvait être chiante quand elle s'y mettait ! Elle lui avait répété mille fois que c’était merveilleux qu'elle ait enfin un petit ami, et blablabla et blablabla.

Raphaël. N’était. Pas. Un. Petit. Ami !

Zut, à la fin ! C’était à croire que son amie avait tout programmé pour que ça arrive – ce qui était statistiquement impossible, Alma en était certaine. Pour ne pas s’énerver encore plus qu'elle ne l’était déjà – même si elle adorait son amie –, la jeune fille attrapa son dernier cahier fétiche en date et descendit dans le jardin, puis alla s’asseoir sous son chêne. Là, elle se mit à écrire des lignes de nombres et de chiffres qu'elle relia ensuite par ordre logique, croissant, décroissant, selon les tables de multiplication ou encore selon des critères nébuleux qu'elle seule comprenait, et encore.

À dix-neuf heures, Isa l’appela à table et elle rangea son cahier, apaisée. Elle mangea, la tête un peu ailleurs, puis monta se préparer à dormir.

En se couchant, elle attrapa son téléphone et remarqua un message de Raphaël. Elle lui répondit, et, voyant que le garçon était en ligne, attendit un signe de vie de sa part, qui ne tarda pas à arriver. Ils discutèrent ainsi pendant près d'une heure, parlant de tout et de rien – mais surtout de rien –, jusqu'à ce que la jeune fille déclare qu'elle était fatiguée.

Alors qu'elle ôtait ses lunettes, elle reçut un énième message de 34 0810.

Et au fait, Alma, je t’aime. Et cette fois je pense sincèrement ce que je dis.

La jeune fille laissa retomber son bras le long de son corps en poussant un profond soupir.

– Mais qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top