III

La matinée passa relativement rapidement pour Alma, qui était intéressée par un grand nombre de matières. Malgré ce qu'on aurait pu penser, la jeune fille était plutôt littéraire que scientifique et elle buvait les paroles de sa prof de français, pour le plus grand plaisir de celle-ci, qui était stupéfaite de voir cette étudiante à l'air rêveur prendre autant de notes et si rapidement. Et c'était vrai, Alma était une vraie machine à écrire, elle pouvait noircir jusqu'à deux feuilles recto-verso quand un sujet la passionnait. Après le français, elle eut droit à un cours d'histoire, un de maths et un d'anglais. On était au début de l'année, le 12 septembre pour être précis, les profs apprenaient encore à connaître leurs élèves et réciproquement.

À la pause déjeuner, Alma passa une deuxième fois à son casier, fit un détour par les toilettes puis rejoignit ses amies à la terrasse, un espace sur l'un des toits du collège aménagé spécialement pour les lycéens. C'était une sorte de réconfort pour ceux-ci, car le proviseur avait déclaré que cet endroit leur était entièrement réservé et qu'ils pouvaient y faire ce qu'ils voulaient – dans la limite du raisonnable – sans être rappelés à l'ordre par les surveillants. Des tables y avaient été installées, ainsi que des bancs et des chaises, le tout protégé par une toiture sommaire.

Les amies d'Alma, Alice et Chloé, étaient nonchalamment assises à une table, un pied sur le banc et le téléphone dans la main. Elles semblaient en grande conversation et Alma fut heureuse de les revoir. Par un malencontreux coup du sort – ou simplement un CPE hargneux –, les trois jeunes filles, qui s'entendaient pourtant si bien, avaient été séparées. Alice et Chloé s'étaient retrouvées en 2nd3 tandis qu'Alma était toute seule en 2nd5.

– Salut les filles ! lança la rouquine et s'affalant sur le banc, poussant Alice pour se faire de la place. Ça roule ?

– Hey, sourit Chloé, une petite brune aux yeux pétillants. Ça va, et toi ?

– J'ai des devoirs de physique à faire, j'avais la flemme de les faire ce weekend, grogna-t-elle.

– Ouuuh la mauvaise élève, rit Alice en repoussant ses longs cheveux blonds derrière ses oreilles.

– Rho ça va, hein, maugréa Alma. Rappelle-moi qui a eu un dix sur vingt en maths la semaine dernière, déjà ?

– Un à zéro pour Alma ! s'exclama Chloé en éclatant de rire.

La blonde leva les yeux au ciel en soupirant que, de toute façon, le monde était injuste.

Alma, elle, soupira en remontant ses lunettes sur son nez.

– Bon les poulettes... J'ai du taf, moi, fit-elle en sortant son cahier de physique.

– Les poulettes ? releva Alice. C'est nouveau, ça.

La rousse ne répondit pas mais sourit en se penchant sur ses polycopiés.

– Tu as de quoi manger ? lui demanda Chloé.

Chloé n'était pas la meilleure amie d'Alma pour rien. C'était une fille calme, délicate, discrète et très attentionnée, mais qui savait se montrer pleine d'humour. Alice, elle, était le cliché de la grande blonde espiègle qui ne manquait jamais l'occasion de taquiner ses amies. Malheureusement – ou heureusement – pour elle, Alma avait un sens de la répartie très développé, et les deux amies ne cessaient jamais leurs joutes verbales, qu'elles adoraient toutes les deux.

– Non, répondit finalement la rousse. J'irais m'acheter un truc à la cafèt après ça.

La brunette hocha doucement la tête. Elle avait remarqué que depuis le début de l'année, Alma se nourrissait de moins en moins et soupçonnait ses démons de la hanter plus que d'ordinaire. Elle se promit de lui en parler bientôt et reprit la conversation qu'elle avait abandonnée avec Alice un peu plus tôt.

Quarante minutes et beaucoup de soupirs plus tard, Alma releva la tête de son cahier, victorieuse. Elle referma son stylo d'un geste théâtral et se laissa tomber sur le dossier du banc en fermant les yeux.

– Fini ? demanda Chloé, le sourire aux lèvres.

– Et pas qu'un peu ! s'exclama la jeune fille sans ouvrir les yeux.

Alice se pencha sur le cahier de son amie et poussa un sifflement.

– Eh ben, toi, t'arrêteras jamais d'écrire en pattes de mouches. Je plains tous les profs qui doivent corriger tes devoirs.

– Alice, je t'emmerde, lâcha la rouquine en se passant une main sur le front, lasse.

La blonde eut un rire, puis se rassit contre le dossier.

– Je vais m'acheter un sandwich, bâilla Alma en se levant difficilement, fatiguée par sa nuit plus que courte.

Elle s'empara de sa carte de cantine et descendit les escaliers sous le regard pensif de Chloé. Celle-ci se tourna vers Alice, mais la blonde, concentrée sur son portable, ne semblait pas avoir remarqué quoi que ce soit. La jeune fille soupira tristement, elle ne savait pas quoi faire pour aider son amie, et elle savait que si elle lui parlait, la rousse lui assurerait que tout allait bien et refuserait de s'ouvrir.

Alma revint quelques minutes plus tard, un sandwich dans une main et un chocolat chaud dans l'autre.

– Un chocolat chaud ? Alors qu'il fait trente degrés ? s'étonna Alice, narquoise, en relevant la tête de son écran.

– C'est pour stimuler mes neurones, argua la rousse, tu sais, celles que tu n'as pas.

– Mais euh, geignit l'autre. Qu'est-ce que je t'ai fait pour mériter tant de cruauté ?

Alma haussa les épaules sans se départir de son sourire coquin.

– Ma foi... exister ? supposa-t-elle.

– Quelle violence... soupira Chloé en levant les yeux au ciel.

La blonde se renfonça sur le banc en baragouinant que le monde était cruel et que tout était ligué contre sa pauvre personne innocente.

– Innocente ? releva Alma, en haussant un sourcil dubitatif.

La pause midi se continua ainsi, Alma grignota quelques bouchées de son repas puis déclara qu'elle n'avait plus faim, Chloé soupira en la voyant le jeter dans une poubelle, Alice continua à regarder son téléphone. L'après-midi fut plus longue que la matinée, la jeune fille commençait à ressentir sérieusement les effets de sa nuit presque blanche et elle eut la très désagréable surprise de voir un splendide 17/20 entouré au feutre rouge sur la copie que lui rendit le professeur de maths. N'importe qui en aurait été heureux, mais la lycéenne n'était pas n'importe qui et elle sentit son sang se figer dans ses veines et son cœur accélérer dans sa poitrine. Elle se dépêcha de fourrer le papier au fond de son sac en tentant de ne plus y penser. Les heures s'enchaînèrent, physique, allemand puis à nouveau physique. Le lundi était un jour relativement léger, elle n'avait que sept heures de cours et finissait à 17h. Le reste de la semaine... c'était une autre histoire.

Lorsque la sonnerie retentit, à 16h50, la jeune fille ne se pressa pas pour ranger ses affaires. Son bus ne partirait pas avant 17h15 , elle avait le temps. Elle alla tranquillement à son casier, récupéra les affaires dont elle avait besoin et déposa celles qui ne lui servaient pas puis rejoignit Chloé dans le hall. Son amie prenait elle aussi le bus et les deux jeunes filles se retrouvaient chaque fin de journée et discutaient en attendant que leurs bus partent, tandis qu'Alice, qui rentrait à pied, quittait le collège directement après la fin des cours. Alma repéra facilement la brunette et les deux s'installèrent à leur place favorite, un muret surplombant le hall. Elles discutèrent de tout et de rien, comme d'habitude, prenant simplement plaisir à se retrouver après une journée de cours.

– Merde ! s'écria soudain Alma en regardant sa montre. Il est 16, faut que je file !

Elle attrapa son sac d'une main et se précipita en trombe à l'extérieur, priant pour que son bus ne soit pas parti.

Malheureusement, emportée par son élan, elle rata une marche en dévalant les escaliers devant le lycée et percuta de plein fouet une élève qui discutait avec ses amis et qui avait commis la seule erreur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Elle vit le sol se rapprocher à une vitesse folle, ses lunettes tomber de son nez et ne parvint pas à réprimer un cri de douleur lorsque ses mains raclèrent le bitume et que ses genoux percutèrent douloureusement le sol. L'autre fille, elle, avait eu plus de chance et s'était rattrapée à un de ses amis, évitant la chute.

Alma releva la tête et vit avec surprise une main secouriste tendue vers elle. Elle la prit et se releva, après avoir récupéré ses lunettes, qui, par miracle, étaient en parfait état.

– Merci, bredouilla-t-elle, serrant les dents pour empêcher des larmes de douleur de s'échapper de ses yeux.

– Ça va ? demanda le propriétaire de la main, un garçon au teint mat et aux yeux d'un bleu océan qui avait de quoi faire chavirer le cœur de n'importe qui.

– Oui, oui ! couina Alma, puis elle lâcha sa main, demanda pardon à la fille qu'elle avait bousculée et s'enfuit sous les yeux effarés des jeunes gens qui ne comprenaient pas vraiment ce qui se passait.

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