II

Le vendredi matin, Alma se rendit au lycée avec une légère appréhension. Le quatorze avait été clair : elle devait suivre son cœur. Sauf que son cœur était indécis, hésitant sans pouvoir se décider entre l'amour et la peur. Ces changements constants de décision la mettaient sur les nerfs et plus elle approchait, plus elle stressait.

Quand elle passa la porte du lycée, elle fut surprise de voir que Raphaël n'était pas dans le hall. Elle l'y voyait pourtant tous les jours, sans savoir si elle était la personne qu'il attendait ou pas. Cela dit, quand elle monta dans les étages pour aller déposer ses affaires à son casier, elle comprit pourquoi elle ne l'avait pas vu. En effet, en ouvrant la petite porte du compartiment, elle tomba en arrêt devant une enveloppe orange pâle reposant sur ses cahiers, sûrement glissée par l'interstice au-dessus de la porte. Elle la prit, curieuse, et la lut avec stupéfaction.

Alma,

Je suis désolé de t'écrire cette lettre, je n'ai juste... pas trouvé d'autres moyen de m'exprimer, disons. Je sais que ça va te paraître ridicule mais je ne sais pas m'exprimer. Je n'ai jamais vraiment su.

C'est bête, mais depuis que tu as raté une marche de l'escalier devant le lycée et que je t'ai aidée à te relever, je n'arrive plus à ôter ton visage de mon esprit. Le soir, je n'arrive pas à m'endormir car je voudrais revoir tes traits, tes yeux, ton sourire. Quand je te vois dans les couloirs mon cœur bat plus fort et je voudrais tant que tu te retournes, que tu me vois. Mais tu ne le fais jamais.

Je n'ai jamais été amoureux, je ne sais pas ce que ça fait. Mais je crois que ce que je ressens pour toi est de l'amour.

Je t'aime, Alma.

Trente-quatre.

– C'est la déclaration d'amour la plus merdique que j'ai jamais vue, souffla Alma, qui n'en avait jamais vu d'autres.

Et il avait signé "Trente-quatre". La jeune fille aurait voulu s'enfoncer la tête dans un mur. Ou celle de Raphaël, au choix. Oui, après réflexion, cette deuxième option était préférable. Comme ça elle pourrait continuer à vivre en paix.

Elle froissa la lettre et la lança dans son casier dont elle referma la porte avec empressement. Il lui restait plus de vingt minutes avant le début des cours, elle allait dire sa manière de penser à ce petit imbécile. Et s'il continuait à être têtu et pathétique comme sa lettre foireuse, elle lui encastrerait la tête dans un mur. Point.

Vivement, plus qu'elle ne le voulait, elle se releva et posa son sac devant sa salle avant de partir à la recherche de Raphaël. Après dix minutes à fouiller tous les coins du lycée, elle commença à douter de sa présence dans l'établissement. Deux minutes avant la sonnerie, elle dut se résoudre à abandonner ses recherches et à aller en cours. Elle arriva quand le dernier élève de sa classe passait la porte et se précipita derrière lui. Les quatre heures du matin passèrent à une lenteur effrayante. La jeune fille était bien plus troublée par cette déclaration bancale qu'elle n'aurait voulu l'admettre. À midi, elle décida donc de ne pas rejoindre Alice et Chloé, et de partir, une fois de plus, à la recherche du détraqué qui la collait depuis trois semaines.

Après un quart d'heure, elle finit par dénicher le garçon dans un couloir, seul et plongé dans un livre. Elle se planta à deux pas de lui, le dominant de tout son mètre cinquante-huit, les mains sur les hanches.

– Toi ! fit-elle tandis qu'il recevait la tête en tremblant légèrement.

– Je... Oui ? finit-il par articuler.

– Explications ! gronda-t-elle, autoritaire.

Raphaël sembla se ratatiner sur lui-même, ce qui le fit paraître vraiment minuscule étant donné qu'il était déjà assis. Il ouvrit et ferma la bouche plusieurs fois avant de parvenir à protester, d'une voix étranglée et suraiguë.

– De... De quoi ? Je ne comprends pas !

– Eh Ducon ! s'exclama Alma, en soufflant par le nez pour montrer sa colère. Tu vas pas me faire croire que c'est pas toi qui a écrit le torchon débile que j'ai trouvé ce matin dans mon casier !

Le visage de Raphaël passa par une multitude de couleurs variées, toutes plus étonnantes les unes que les autres. Il fut rouge, puis blanc, jaune, gris, verdâtre, et Alma crut voir du violet pendant une brève seconde. La raison, que la jeune fille ignorait, était qu'il avait passé des heures à écrire et réécrire la fameuse lettre, chaque version tout aussi désastreuse que la précédente, et qu'il avait fini par écrire celle-ci sans chercher à être romantique ou quoi que ce soit, plus l'avait glissé dans le casier de la jeune fille sans même se relire, persuadé que s'il le faisait il n'aurait pas la force de la lui donner.

– Mais pourquoi tu es si méchante ? demanda-t-il après un temps, des sanglots qu'il essayait en vain de masquer dans le fond de sa voix.

– Mais c'est toi qui est débile ! cria la jeune fille en sentant que la situation lui échappait.

Il se leva, les yeux légèrement humides, et fit face à la lycéenne.

– Tu n'as donc aucune estime de mes sentiments ! l'accusa le garçon. Tu ne penses qu'à toi, tu t'en fiche de ce que pensent les autres ! Tu sais quoi ? Oublie tout ce que j'ai écrit. C'est faux de toute façon. Je ne sais même pas pourquoi je t'ai écrit ça. Et maintenant, si tu permets, je vais retourner à ma lecture, parce que là, au moins, les personnages sont intéressants. Alors, au revoir !

Et paf, prends-toi ça dans la gueule, Alma, pensa amèrement la jeune fille. Elle recula pendant que Raphaël se rasseyait et semblait l'avoir déjà oubliée, puis partit dans le couloir, le plus dignement possible mais des larmes noyant ses yeux. Dès qu'elle eut passé l'angle, elle courut s'enfermer dans les toilettes où elle put pleurer à son aise. Elle n'avait pas voulu faire de mal au garçon, elle n'était pas cruelle, elle avait juste voulu se protéger, elle. Et maintenant, elle se trouvait d'un égoïsme jamais vu. Pourquoi fallait-il toujours qu'elle parle sans penser à ce qu'elle disait ? Il lui était donc impossible de réfléchir et de tenir une conversation en même temps ? Ses larmes redoublèrent et elle mordit son poing pour ne pas crier de désespoir.

De longues minutes plus tard, la jeune fille sortit des toilettes, les yeux rougis mais en meilleure forme. Elle avait toujours le cœur et l'âme en miettes mais elle ne pleurait plus et marchait la tête haute. Elle monta à la terrasse mais ne trouva pas ses amies. Il était midi et demie passé, ce n'était donc pas très étonnant. Voyant qu'Alma n'arrivait pas après une demi-heure, elles avaient dû sortir se balader dans les alentours. La jeune fille redescendit, n'ayant pas le courage de rester là toute seule pendant plus d'une heure. Elle s'installa à sa place favorite, ce muret surplombant le hall qui lui offrait un spectacle continu. Elle resta là durant une heure entière, les genoux remontés contre son corps et le menton posé sur ses bras croisés. Elle observa les allers-retours des élèves, les surveillants qui passaient d'un pas pressé, les professeurs qui se saluaient et s'arrêtaient pour échanger des mots qu'elle ne pouvait entendre en se croisant, les membres d'administration, perchés sur des talons vertigineux pour certains et engoncés dans des costumes-cravate ridicules pour d'autres, en bref, l'agitation continue et invariable d'un hall de lycée.

Alors que la sonnerie annonçant la fin de sa dernière heure de liberté retentissait, la jeune fille aperçut une silhouette familière traverser le hall. Sans réfléchir, elle sauta du muret et se précipita vers Raphaël, son cœur battant à tout rompre dans sa cage thoracique. Elle s'arrêta devant lui tandis qu'il relevait la tête, sans doute surpris par son arrivée plus que soudaine. En comprenant à qui il avait affaire, son expression de surprise laissa place à un mélange de fatigue, de tristesse et de colère qui fit briller ses yeux encore rougis par les larmes.

– Quoi ? fit-il, agressif, en la fusillant du regard.

Alma ouvrit la bouche et la referma comme un poisson hors de l'eau, sans qu'aucun mot ne sorte.

– Je... Je voulais te dire que... Je suis désolée pour... Pour ce matin. Ce que j'ai dis... Je ne le pensais pas.

Mais non ! s'écria sa conscience, une fois de plus catastrophée. Bien sûr que si, tu le pensais !

Alma eut envie de se trouver non pas six, ni douze, mais au moins vingt-quatre pieds sous terre quand elle vit les yeux du garçon face à elle s'agrandir de stupeur et d'espoir. Elle était vraiment nulle pour ce qui était de l'ordre de la communication avec ses semblables. Mais alors vraiment, vraiment, nulle.

– À vrai dire... Moi non plus, avoua-t-il en baissant les yeux sur ses pieds, comme s'il s'agissait de la chose la plus passionnante au monde.

Non... gémit Alma. Ne me dites pas qu'il a dit ce qu'il vient de dire...

Ils restèrent là, plantés l'un en face de l'autre, chacun plongé dans la contemplation éblouie de tous les possibles et de toutes les beautés que renfermaient les baskets de l'autre, quand la sonnerie retentit pour la deuxième fois, faisant bondir Alma.

– Merde ! jura-t-elle en sautant sur ses pieds avant de s'élancer vers son sac.

Mais à peine avait-elle fait trois pas qu'elle fut stoppée par une main qui attrapait la sienne.

– Attends ! s'écria Raphaël, les yeux écarquillés.

– Je peux pas ! protesta la jeune fille en se dégageant.

Elle courut dans les couloirs à en perdre haleine, suivie de quelques pas par un Raphaël essoufflé qui ne cessait de lui crier de l'attendre, s'attirant les regards moqueurs des quelques élèves établis – très légalement, bien sûr – sur le sol et profitant de la chaleur que leur procurait l'intérieur de l'établissement. La lycéenne finit par arriver devant sa salle, haletante. Elle toqua et, voyant son poursuivant arriver au bout du couloir, entra sans attendre de réponse.

Les quelques secondes qui suivirent furent certainement les pires de toute son existence.

Son prof d'anglais, un homme sévère au regard dur et aux cheveux gris tirés en arrière, la dévisagea avec une colère froide.

– Mademoiselle Scarpa... murmura-t-il d'une voix qui aurait tout à fait pu appartenir au professeur Rogue. Il ne me semble pas vous avoir autorisée à rentrer dans ma classe, est-ce que je me trompe ?

Alma vit les regards brûlants de ses camarades de classe se fixer sur elle. Des regards attentifs, avides de distraction, moqueurs, rieurs, vengeurs même, pour certains. Des regards mauvais qui la transperçaient comme autant d'aiguilles. Si l'on ajoutait à cela les yeux d'un gris acier de son professeur qui continuaient de la dévisager sans un battement, dans l'attente d'une réponse qu'il savait ne pas être une justification valable, cela faisait trente-quatres paires d'yeux qui la regardaient à la fois. C'est-à-dire beaucoup trop. Alma sentit la tête lui tourner, un hurlement perçant qu'elle seule pouvait entendre rompre le silence de mort qui s'était abattu sur la classe.

– Je... Je... bafouilla-t-elle, les jambes tremblantes.

Les larmes lui montèrent aux yeux sans qu'elle ne puisse les en empêcher, ses émotions se bousculant dans son cerveau de manière si désordonnée qu'elle vacilla. Sous les regards hilares de ses camarades, ce ne furent plus seulement ses jambes qui tremblèrent mais aussi ses mains, ses bras, son dos et tout son corps. Elle sentit un étau se resserrer sur son cœur, ses poumons chercher en vain de l'oxygène et sa vue se constella de petits points oranges dansant. Ils se multiplièrent, de plus en plus vite, et Alma fut prise d'une panique sans nom. Au moment où son professeur se levait de sa chaise, le cerveau de la jeune fille décida que c'en était trop et se déconnecta de son corps, qui tomba au sol dans un bruit mat.

Et au prochain chapitre, on rentre enfin dans... *imaginez une voix machiavélique* L'ACTION ! HAHAHAHAHA !! (ça c'était un rire diabolique).

Mais sinon, vous avez bien aimé ce chapitre ? Moi j'ai adoré l'écrire, surtout que ça faisait super longtemps que j'avais pas fait s'évanouir de perso et ça m'avait trop manqué ! Aux éventuels VIP des Légendes d'Engamella qui passeraient par là : oui, je sais, j'ai fait s'évanouir Anaïs pendant cinq jours, j'ai un chapitre entier qui décrit sa mort lente et douloureuse dans les moindres détails, mais je vous assure J'AIME TROP FAIRE CREVER MES PERSOS ! Même si Alma je peux pas la tuer tout de suite, on en est à peine à la moitié de l'histoire...

Bref, j'arrête de radoter (je vieillis ou quoi ? XD) et je vais plutôt écrire le chapitre suivant !

À la revoyure !

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