I

Après une longue absence, me revoici enfin avec la suite !

Bonne lecture <3

– Alma.

Un nom parvenait à ses oreilles. Peut-être le sien, peut-être un autre. De toute façon, cela n'avait aucune importance. Le monde extérieur se résumait à un brouillard sombre et âpre, une bouillie pâteuse qui lui collait à la peau et lui écorchait les yeux.

À l'intérieur de son esprit, tout était noir. Plus noir que la nuit, plus noir que l'espace, plus noir que l'encre de Chine. Elle se débattait vainement dans ce néant obscur, ne parvenant pas à s'en échapper. Au loin, lors de courts instants où son cœur s'affolait, une lueur pâle, couleur océan, scintillait dans le lointain. Vite avalée par les ténèbres.

– Alma !

Une main sur sa peau. Un souffle à son oreille. Ça n'avait aucune importance. Rien n'avait d'importance. Même les battements de son cœur qui s'échappaient par à-coups douloureux de sa prison d'os n'étaient plus qu'un soupir lointain.

Depuis combien de temps n'avait-elle pas dormi ? Elle ne le savait pas. Elle ne savait même plus ce que signifiait dormir. Elle nageait dans le brouillard ténébreux de son esprit depuis si longtemps qu'elle avait oublié tout le reste.

De l'extérieur, ce que voyait Isa, c'était un petit corps, plus maigre que jamais, la peau pâle et les yeux vides, un corps recroquevillé qui n'était pas sorti de sa chambre depuis trois semaines. La jeune femme ne savait pas précisément ce qui s'était passé. Vingt jours auparavant, un garçon de l'âge d'Alma avait toqué à sa porte, le corps inanimé de sa fille entre les bras. Puis il s'était sauvé sans un mot. Sans une explication. Isa avait fait sa petite enquête, elle avait contacté les amies de la rousse, posé les bonnes questions aux bonnes personnes et elle avait fini par avoir une idée de ce qui s'était passé. Elle redoutait depuis longtemps que cela arrive, mais elle avait espéré que sa fille lui en aurait parlé avant. Elle avait pourtant tout fait pour qu'elle se sente en confiance et puisse avoir une vie le plus normale possible. Mais visiblement, la blessure était encore bien ouverte.

La jeune femme ne savait pas quoi faire. Le lendemain était la rentrée des classes mais Alma n'était décidément pas en état de retourner au lycée. Elle avait passé les vacances dans sa chambre, sans même s'en apercevoir. Plusieurs fois, le garçon – Raphaël – était venu sonner à la porte et avait demandé si la jeune fille allait bien. Chaque fois, Isa lui avait répondu qu'elle n'était pas là, désireuse de protéger sa fille.

Mais de ces visites, la rousse ne savait rien. Elle avait perdu la notion du temps depuis le jour fatidique où toute son existence, si durement reconstruite, s'était effondrée. Pour la deuxième fois, elle avait tout perdu. Le temps passait sur elle, sans heurts, sans doutes, sans vagues. Les larmes avaient depuis longtemps déserté ses yeux, son corps était sec. Sec et brûlant. Brûlant d'une fièvre étrange, d'un mal inconnu qui la consumait lentement. Chaque heure qui passait était une heure de trop. La jeune fille aurait voulu mourir, mourir pour échapper à la cruauté de la vie. Mourir pour retrouver ses parents. Où qu'ils soient.

La rouquine n'avait pas mangé, à peine bu, seulement somnolé pendant de brèves heures. Son sommeil, hanté par les cauchemars, n'était pas une délivrance. Elle n'avait plus aucun espoir, la moindre étincelle de vie avait quitté son esprit. Son cœur continuait de battre, imperturbable, ses poumons se gonflaient, mais elle n'en voyait pas l'intérêt. Non, le seul moyen de s'en sortir était de s'ôter la vie. Mais comment ? Elle n'avait pas la force. Pas la force de se lever, pas la force de prendre une décision. Alors elle attendait, maintenant son corps à la limite extrême de la vie, elle attendait de mourir d'épuisement. Que ses pensées noires la terrassent, la noient, la tue. La douleur n'importait pas, elle y était de toute façon déjà trop habituée.

Mais une tristesse sans nom pesait au fond de son cœur, nouait sa gorge, la rendait faible et misérable comme elle ne l'avait jamais été. Elle était seule, si seule, et elle avait tant besoin d'amour. Besoin de bras maternels, de mots réconfortants, de quelqu'un qui saurait s'occuper d'elle, la choyer, l'aimer au moins jusqu'à sa mort.

– Maman...

Le mot était sorti tout seul, elle en avait à peine conscience. Isa, qui s'apprêtait à sortir de la chambre, se retourna, une main sur la poignée de la porte. Ce soupir, à peine audible, était empli d'un tel désespoir, d'une telle tristesse, que la jeune femme ne put s'empêcher de sentir son cœur se serrer. En voyant les yeux de sa fille se lever vers elle, des yeux si tristes qu'ils vous en faisaient pleurer l'âme, elle fit ce que toutes les mères faisaient quand leur enfant avait besoin d'aide.

Alma, logée au creux des bras de celle qui l'avait élevée et aimée comme sa fille, se laissa aller à son chagrin et à sa peur. Elle pleura, agrippée au corps de sa sauveuse comme à un dernier espoir, elle pleura des larmes qu'elle ignorait posséder, dans la tentative de vider son esprit de toute la tristesse accumulée. Isa, elle, serra le petit corps de sa fille dans ses bras, lui caressant les cheveux, lui chuchotant à l'oreille que tout allait s'arranger.

Après de longues minutes, si ce n'était des heures, la jeune femme sentit le corps de la rouquine se faire inanimé entre ses bras. Pendant un instant, elle eut peur qu'il ne soit arrivé quelque chose, mais elle fut soulagée en entendant la respiration régulière de sa fille, endormie.

Elle déposa doucement Alma sur son lit, la couvrit d'un duvet et embrassa son front brûlant. Elle observa encore pendant quelques instants son visage ravagé par le chagrin, un chagrin que même son sommeil troublé ne parvenait pas à faire oublier. Elle resta là, silencieuse et immobile, assise près du lit de sa fille souffrante, jusqu'à ce que celle-ci ouvre les yeux.

Alma se réveilla en sentant que quelque chose avait changé. La brume fade et grise qui lui encombrait l'âme avait, à défaut d'avoir disparu, reculé et une lumière neuve éclairait ses pensées. Elle se mit en position assise, les yeux bouffis par les larmes et le sommeil, complètement perdue. Elle poussa un soupir en avisant Isa, dernier pilier tangible dans un monde qui disparaissait sous les vagues provoquées par la tempête de son âme.

Elle s'accrocha à nouveau au cou d'Isa, voulant à tout prix maintenir la tête hors des flots en s'accrochant à sa mère. Peu à peu, elle reprit conscience du monde qui l'entourait, et demanda à Isa de lui raconter ce qu'il s'était passé depuis le jour où tout avait basculé.

La jeune femme raconta, doucement, déroulant les faits avec précaution de peur de dire quelque chose qui replongerait sa fille dans les ténèbres d'où elle sortait. Ainsi, Alma apprit que Raphaël, mais aussi Chloé et Alice étaient venus la voir, qu'Isa les avait répétitivement chassés, prétendant que la jeune fille était atteinte d'une maladie contagieuse ou encore qu'elle était en voyage avec son père. Elle apprit que depuis quelques jours, le froid s'était levé et que le givre recouvrait parfois la pelouse lorsque l'aube se levait. Elle apprit aussi, et cela la fit tressaillir, que les cours reprenaient le lendemain. Et avec les cours, le lycée, les gens, les voix, la proximité immédiate d'êtres humains, de corps vivants, de tant de choses qui firent naître en elle une vague d'anxiété phénoménale.

– Tu n'es pas obligée d'y retourner dès demain, lui proposa Isa. Je t'ai excusée pour la dernière semaine en disant que tu étais malade, mais tu peux rester une semaine de plus à la maison avant de sortir à nouveau.

– Non... répondit la rouquine après une longue hésitation. Je ne peux pas me défiler, il faut que j'y aille. Si je reste ici, je sens que je ne le supporterai pas. J'ai besoin de m'occuper l'esprit pour ne pas... retomber dans... dans...

Sa voix mourut dans sa gorge tandis que les larmes lui montaient à nouveau aux yeux. Isa lui caressa tendrement la tête, et lui assura qu'elle comprenait.

– Si tu veux, proposa-t-elle, je peux écrire un mot à tes professeurs pour leur dire de t'excuser si tu ne te sens pas bien ?

– Non, déclina encore Alma. Je dois faire comme si de rien n'était, comme si tout était normal.

– Il n'y a aucune notion d'obligation, protesta sa mère. Tu as vécu des choses terribles, et il est normal que les autres le prennent en compte.

Cette fois-ci, la rouquine se contenta de secouer la tête sans répondre. Agir comme si de rien n'était. C'était tout ce qui comptait.

Avec l'amour de sa mère, sans qui rien n'aurait été possible.

– Merci, maman, chuchota la jeune fille en enfouissant son visage dans le cou de la jeune femme.

– C'est normal, ma chérie, répondit celle-ci dans un murmure en éteignant sa fille.

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