𝟐.
MARDI
Le lendemain, lorsque je suis allée au collège, May était absente.
-Où est May ? ai-je demandé à Jane.
-Dans sa tombe, a répondu Jane.
-OK. Et plus sérieusement ?
-Elle est malade, si tu veux savoir.
-C'est bien pratique...
-Ouais. C'est bien, il y a plein de nouveaux.
L'une des particularités de Jane est de pouvoir sauter du coq à l'âne quand elle le souhaite sans que personne ne dise rien.
-Ça veut dire quoi, ça ? me suis-je tout de même étonnée.
-Ben, par exemple, y a Arthur Jones, a expliqué Jane. Et puis il y a aussi Forrest Seward, Kim Foote, et...
-Oui, c'est bon, j'ai compris, l'ai-je interrompue.
À peine arrivés, tous les nouveaux sont déjà connus de Jane Lennox. Un autre super pouvoir.
Nous nous sommes arrêtées pour laisser passer un camarade de notre classe aux cheveux enduits de gel.
-J'avais oublié qu'on avait encore Tobias dans notre classe, ai-je soupiré.
-Quel nigaud celui-là, a grogné Jane. On a quoi comme cours, déjà ?
-Tu as un emploi du temps, je te signale.
-Alors, voyons... Oh non ! On a encore anglais ! L'anglais devrait être une matière interdite. Par contre... ah, parfait, après, on a algèbre !
Ce midi-là, Tobias s'est amusé à prendre le sac de Jane et est allé le cacher dans le local à poubelles.
-Espèce d'idiot ! a crié Jane.
Elle s'est lancée à la poursuite de Tobias en le traitant de tous les noms. Ce dernier a fait un geste assez grossier, couramment appelé « bras d'honneur », ce qui a mis Jane hors d'elle. Elle s'est jetée sur lui et... lui a cassé le nez. Tobias a riposté et son poing l'a cueillie sous le menton. Jane l'a précipité sur le sol et s'est mise à le rouer de coups. Autour d'eux, la moitié de l'établissement semblait s'être agglutinée en hurlant « battez-vous ! » de plus en plus fort.
-Non mais ça va bien ?
Le CPE en personne venait d'arriver.
-Suivez-moi ! Dans le bureau de Mrs Henderson !
J'ai soupiré et me suis dirigée vers la salle d'histoire.
-La prof est absente, a dit Andrew Williams.
Je l'ai remercié d'un signe de tête avant de changer de direction et d'aller vers le CDI.
Lorsque j'ai été à l'intérieur, j'ai accroché mon blouson à un porte-manteau puis ai cherché une table. Toutes étaient occupées soit par des petits sixièmes chahuteurs soit par des grands imbéciles de terminale.
-Tu peux t'asseoir là, si tu veux.
Je me suis retournée et j'ai vu Kim Foote qui m'observait sans retenue derrière un énorme bouquin.
-Merci, ai-je dit. Tu lis quoi ?
-Ça s'appelle une encyclopédie.
-Ooh.
J'ai pensé que je devais avoir l'air pathétique en sortant mon livre.
-Oooh, Les Oiseaux ! s'est exclamée Kim Foote. Il est incroyable ! L'auberge de la Jamaïque est génial aussi.
Comme je m'en étais doutée, Kim Foote est le genre de personne assez spéciale, dont l'humeur est assez changeante, ou même... lunatique.
-Euh... OK ? ai-je hésité.
Ses yeux, perçants, toujours posés sur moi, elle a replacé une mèche de cheveux bruns derrière son oreille.
J'ai essayé de me plonger dans ma lecture, mais j'ai senti qu'elle m'observait encore.
-Quoi ? ai-je dit.
-Drupède.
Elle était très calme et placide, mais un imperceptible tic agita sa paupière gauche.
-Ton amie, Jane Lennox, il paraît qu'elle va finir en conseil de discipline.
J'ai senti mes muscles se raidir.
-Comment tu le sais ?
-Je le sais, c'est tout.
-Ah, OK.
Encore une fois, elle a replacé une mèche derrière son oreille.
-Où étais-tu, avant d'arriver dans ce collège ? ai-je demandé. Tu étais déjà en Caroline du Sud ?
-Non, j'habitais vers Seattle.
Ouais, bon, l'autre bout du monde, quoi.
Finalement, je me suis rendue compte que la présence de Kim Foote ne me mettait pas très à mon aise. Aussi, je me suis ruée hors du CDI dès que j'ai pu entendre la sonnerie.
J'ai été la première à arriver en cours d'arts plastiques. Lorsque Mme Meton, la prof que j'ai pour la troisième année consécutive, nous a placés, je me suis retrouvée à côté de Robin McCall, que je connais très peu mais bien assez pour que cela me suffise durant toute ma vie.
Pour le coup, j'aurais préféré la compagnie de Kim Foote. Vous comprendrez vite pourquoi.
En ce moment même, Robin McCall était très occupée à se recoiffer.
-Ce serait vraiment bien si tu enlevais tes affaires de là, ai-je fait.
Robin McCall a haussé un sourcil.
-Tu te prends pour qui, là ?
-Pour ta voisine de table qui aimerait bien avoir de la place pour travailler.
-Qu'est-ce que ça peut bien te faire, que je mette ma brosse là ou pas ?
-Beaucoup de mal, tu t'en doutes bien.
Elle a de nouveau haussé un sourcil, puis rangé sa brosse.
À la fin du cours, j'ai été la dernière à sortir du cours, puisque la prof voulait voir de plus près ce que j'avais fait. Dessiner est l'une des rares choses que je sais à peu près faire.
-Eh, Kelsey !
Je me suis retournée.
-Quoi ?
-Ne t'avise pas de faire ta maligne avec moi, m'a conseillé Robin McCall.
Le truc assez extraordinaire avec elle, c'est qu'elle s'attaque à tout le monde même quand elle est seule et parfois vulnérable. Elle n'a peur de rien, c'est dingue.
-Ça veut dire quoi, ça ?
-Fiche-moi la paix, c'est tout.
-C'est tout ce que tu as à dire ?
Je n'ai pas écouté sa réponse et me suis détournée pour continuer mon chemin.
-Eh, Kelsey !
-Quoi, encore ? ai-je grogné en me retournant.
Ce n'était pas Robin McCall. C'était Kim Foote.
-Non, c'est juste que... tu as laissé tomber ça.
Elle m'a tendue ma trousse.
-Oh, euh... merci.
Elle s'est mordu la lèvre et a replacé une mèche de cheveux derrière son oreille.
Nous avons marché un moment côte à côte. Je sentais mon estomac tressauter dans mon ventre et j'avais chaud, vraiment très très chaud.
-Et, hum... tu habites où ? ai-je demandé, trouvant le silence presque oppressant.
-Juste là, a-t-elle dit.
-Oh ! J'habite dans la rue d'après !
-Sans blague ?
-Ouais.
-Génial !
Elle a marqué une pause et a pincé les lèvres.
-Bon, bah... à plus.
-À bientôt.
Elle m'a adressé un sourire peu assurée puis est retournée chez elle. Je suis restée un moment à fixer la porte qui venait de se refermer sur elle, puis je me suis remise en chemin, le cerveau en ébullition.
En effet, Kim Foote était le genre de personne que je tenais à avoir à la fois très près et à la fois très loin de moi.
Une fois chez moi, j'ai entendu mon père crier depuis la cuisine le menu de ce soir et j'ai répondu quelque chose comme « nickel chrome », je ne sais plus, mon cerveau n'était pas vraiment à sa place ni à son aise. Après avoir posé mon sac dans un coin de ma chambre, j'ai pris mon téléphone, ai enfoncé mes écouteurs et ai monté le volume du son. Je me suis jetée sur mon lit et suis restée là jusqu'au dîner, à repasser indéfiniment ma playlist.
Well, I love you honey,
Give me a beer,
Oooh
Go through it,
Come sit right here
J'ai ensuite dû mettre la table et, bien sûr, ma stupide petite sœur Margret a trouvé fort plaisant de cacher une araignée en plastique dans le tiroir à couvert, ce qui a le don de me crisper tellement je déteste ça.
La nuit, je me suis réveillée en sursaut et me suis précipitée sur mes devoirs dont j'avais complètement oublié l'existence. Puis je me suis saisie de mon carnet de dessins pour gribouiller des trucs dedans.
1296 mots
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top