- C'est très gentil à toi, Ken, mais ça ne marchera jamais.
- Arrête d'être pessimiste, je suis sûr que tu sais faire des tas de trucs...
- Probablement, mais ils n'embaucheront jamais quelqu'un qui n'a pas de papiers.
- Attends, t'as pas de papiers ?
- Non, je suis une immigrée clandestine. Si je me fais attraper par la police, ils me renverront dans mon pays par le premier avion.

Je suis en train de réaliser que depuis tout ce temps, une réfugiée était cachée dans les sous-sols de l'immeuble. Elle a eu beaucoup de chance de ne pas s'être fait dénoncer par les locataires. J'étais loin de me douter que la situation était aussi complexe. Je vais devoir changer mon plan d'action. Avant de lui trouver un travail, je vais devoir lui obtenir la nationalité française.

- Mais dis-moi, tu viens d'où ?
- D'Istanbul, en Turquie.
- Et ça fait combien de temps que tu vis en France ?
- 5 ans.
- Et tes parents, ils savent que tu dors dehors ?
- Non.
- Je suis sûr que si tu leur en parlais, ils pourraient t'aider.
- Laisse tomber, ça fait des années qu'ils ne m'adressent plus la parole.
- Bah pourquoi ?
- J'ai trahi ma famille. Je devais épouser le garçon que mon père avait choisi pour moi, mais j'ai refusé.
- C'est une blague, j'espère ?
- Non. Il y a 10 ans, mon père a fondé une société d'import-export en s'associant avec un ami. Pour faire prospérer ses affaires, il a promis à son associé que j'épouserai son fils, dès que j'aurai atteint mes 22 ans.
- Mais ce n'est pas interdit, ce genre de trucs ?
- Légalement, si, mais l'État préfère fermer les yeux.
- Et t'as des frères et sœurs ?
- 3 sœurs.
- Et elles aussi elles ont eu le droit au même tarif ?
- Non. Ma grande sœur Imran a toujours fait passer sa scolarité avant les garçons. Comme elle était extrêmement brillante, il l'a laissée se concentrer sur ses études afin qu'elle ait une grande carrière.
- Tu m'étonnes...
- Comme je n'étais pas aussi brillante qu'elle, il m'a dit qu'il me marierait dès que l'occasion se présenterait, pour que je serve enfin à quelque chose.
Le salaud, comment peut-il dire un truc pareil ?
- il m'a dit que si je refusais, il me mettrait à la porte. Alors j'ai pris les devants et je suis partie.
Attend, il t'a menacé ?
- Oui. De toutes façons, si ce n'est pas moi qui l'épouse, il forcera mon autre sœur, Özlem, à le faire.
- Tu as dû vraiment galérer pour arriver jusqu'ici.
- J'ai commencé par travailler au noir pour me faire un peu d'argent afin de payer un passeur qui pourrait me faire traverser la Méditerranée. En arrivant en Grèce, j'ai dû me débrouiller pour faire du stop sans me faire attraper aux frontières des différents pays. Je me suis même retrouvée dans un camion rempli d'immigrés entre l'Autriche et l'Allemagne.
- Tu t'es jamais fait attraper par la police des frontières ?
- J'ai failli plus d'une fois, mais j'ai eu énormément de chance.

Lyana a été incroyable, elle a parcouru 3 000 km pour arriver en France et espérer avoir une vie descente. Je suis tellement fier qu'il y est encore des femmes qui se battent pour leur droit, mais je trouve dommage qu'il y en ai encore qui doivent fuir leur pays à cause de leur statut.

- Je suis très mal élevé, je ne t'ai pas proposé à manger.
- Ça ira, t'inquiète.
- Tu ne veux pas boire un truc au moins ?
- Ça va aller, merci.
- Putain, déjà 4 h du matin ? Il serait temps que j'aille dormir. Si tu as besoin de moi, je suis à côté.
- Merci encore pour tout ce que tu fais.
- De rien, c'est normal.