À l'extérieur.

- Planque-toi.

Le petit nouveau, fébrile, manqua de trébucher quand Johnny lui ordonna de se plaquer contre le mur terreux le plus vite possible. Son cœur battait vite, il ne fallait surtout pas se faire prendre. Johnny, ce grand type baraqué et armé jusqu'aux dents semblait n'avoir peur de rien, même pas de la mort, c'est-à-dire l'ennemi en face. Des bottes tapèrent le sol poussiéreux quelques longues secondes, où le petit groupe retint son souffle comme il le pouvait, puis elles s'éloignèrent, au pas de l'armée, synchronisé et efficace.

- Et maintenant ? osa souffler Haechan toujours mort de peur.

Il ne comprenait pas pourquoi Lay l'avait laissé partir avec Taeil et Yuta. C'était vrai quoi, c'était juste un pauvre orphelin depuis deux ans, errant de villes en villes depuis sa fuite de sa petite ville natale avec son ami d'enfance, Mark. Sauf que Mark, lui, savait exactement où était sa place, et rentrer dans la résistance de ce Lay semblait avoir été son seul objectif depuis tout ce temps. Alors Haechan avait suivi, pas très sûr de ce qu'il faisait. Oh, et puis parce qu'il aimait plus que bien son meilleur pote aussi.

- On exécute le plan, et sans bruit.

La voix de Johnny était dure et sans sentiments, et Haechan comprit qu'il n'aurait pas le choix. L'Exodus se dressait droit devant eux, à peut-être deux ou trois kilomètres. Ce n'était rien, des mètres réduits en poussière, et cela effrayait le pauvre Haechan, qui suivait le petit groupe habillé de noir et de camouflage comme il le pouvait. Dans sa main droite, Johnny tenait fermement un talkie-walkie qui le reliait directement à ce qu'ils appelaient tous « la base », là où Lay et les autres surveillaient les opérations. Johnny savait ce qu'il faisait, ça se voyait qu'il était là-dedans depuis de longues années. Haechan retînt son souffle quand il dû enjamber au pas de course des corps d'innocents en haillons, étalés en travers de son chemin. Taeil, bien que plus âgé que lui, ne semblait pas tout à fait rassuré non plus, ce qui rassura d'une certaine manière le plus jeune. Ridicule.

Le plan imposé par Lay sous la forte pression de Seulgi et de quelques autres membres de la résistance ? S'approcher le plus possible du fameux Exodus, ce grand bâtiment imposant en plein centre de l'ancien Séoul désormais délabré et en parti abandonné, et trouver une entrée, repérer les caméras et les tours de gardes, bref, une faille, n'importe quoi qui permettrait d'entrer en douce. Au fond de lui, Haechan n'était pas certain que ça soit une bonne idée, après tout, on parlait quand même du bâtiment le plus sécurisé de la zone. Johnny aussi le savait, mais il estimait trop Lay et la cause de tout cet acharnement avec l'Exodus pour le contredire dans ses plans.

Lay, quant à lui, tremblait presque, toujours enterré sous terre, entouré de Seulgi, Sehun et deux trois sous-chefs. Il n'en revenait pas d'avoir céder sous la pression de Seulgi qui voulait absolument que les choses bougent. Alors il avait accepté, seulement si le groupe allait du côté de l'Exodus, ce qui avait exaspéré la jeune fille.

- Jamais tu ne comptes nous dire pourquoi tu tiens tant à t'aventurer par là-bas ? soupira t-elle les bras croisés en attendant des nouvelles de Johnny et sa troupe.

Lay ne répondit pas. C'était pourtant évident, mais la blessure, encore trop béante et profonde, était trop délicate à évoquer. Il ferma les yeux un instant et soupira, parfois, Seulgi l'exaspérait, bien qu'elle fut devenue au fur et à mesure des mois sa meilleure amie, une sorte de petite sœur pour lui.

- Ce n'est pas le moment d'en parler.

- Bien sûr, ricana t-elle presque méchamment. Ce n'est jamais le moment. Je respecte ta position de leader et tes décisions, mais pas celles qui sont insensées. Celle-là en fait partie Lay.

- C'est toi qui m'a soûlé pour que j'envoie les troupes dehors, dit-il les dents serrées.

- Ouais, mais pas directement à la morgue, cracha la brune en fusillant le garçon du regard.

Sehun releva la tête de son ordinateur, un sourcil arqué.

- Vous croyez que c'est le moment de se crier dessus ? Où en est Johnny ?

Le talkie-walkie n'avait pas résonné depuis cinq bonnes minutes dans la petite salle, ce qui commençait à inquiéter Lay mais également Taeyong, qui était le leader du petit groupe parti plus tôt.

- Ça ne sent pas bon, finit-il par dire.

Lay prit l'objet entre ses mains et appuya sur le bouton rouge.

- Johnny ? Tu me reçois ?

Pas de réponse. D'habitude, le grand brun répondait toujours dans la seconde. Lay croisa le regard de Taeyong, puis de Seulgi et Sehun. Dix minutes passèrent, toujours aucune réponse. Lay essaya de nouveau, toutes les dix secondes, rien du tout. Taeyong commençait à bouillir de rage. Tout le monde dans cette salle respectait Lay, mais ce soir-là, une mauvaise odeur de défaite et de révolte flottait dans l'air moite.

- Lay, mec, je te jure que si t'as envoyé mes potes à la mort...

La phrase de Taeyong resta en suspens. C'était lui qui avait recueilli le petit Haechan quelques mois auparavant. C'était lui qui s'entendait le mieux avec Johnny, lui qui consolait Yuta quand il faisait ses crises de paranoïa et lui qui enlaçait Taeil contre son cœur quand tout allait mal. Et ces quatre types étaient dehors, sans protection digne de ce nom, alors Taeyong commença à perdre patience.

- Pourquoi ils ne répondent pas ? chuchota t-il en prenant directement l'objet des mains de Lay qui se laissa faire, un peu dépassé par la tournure des événements. Johnny ! Johnny réponds-moi bordel de Dieu, où êtes-vous ?!

Le silence énerve, fait souffrir, en aucun cas il ne soigne. « Pas de nouvelles, bonne nouvelle », que c'est faux dans certains cas. Les mains de Taeyong tremblaient toutes seules. Jamais il n'avait ressenti ça.

- Comment tu expliques ça ?! hurla t-il à Lay.

- Tout le monde se calme ! cria celui-ci à son tour. Ils vont répondre et...

Le talkie-walkie grésilla et tout le monde se tut, tendant l'oreille pour entendre le moindre murmure.

- Vite...

La voix de Johnny paraissait faible. Taeyong et Lay avaient les yeux grands ouverts, même Sehun qui d'habitude gardait son calme paraissait dépassé par les événements. Oh bien sûr, ils avaient déjà connu des pertes. Mais pas ça. Pas Johnny.

- De l'aide... souffla celui-ci depuis l'extérieur.

Taeyong fut le premier à se ruer sur l'objet.

- Où êtes-vous ?!

- Ex... Exodus... Ils ont prit Yuta... Je...

Seulgi se prit la tête dans les mains, les lèvres pincées.

- C'est la fin pour moi les gars...

- Hors de question ! hurla Taeyong en s'agitant. J'arrive mon pote, j'te laisserai pas tomber !

- J'ai renvoyé les autres... Aidez-les... C'est foutu pour moi... Continue... ton combat, Lay... Je détruis les preuves et j'attends que vous veniez me chercher dans l'Ex...

La communication se coupa, laissant toute la salle en tension. Taeyong répéta longtemps le prénom de son ami, refusant de croire que celui-ci était en danger, s'était fait capturer, allait mourir. Au bout de quelques minutes de léthargie totale, on entendit de l'agitation dans les étages supérieurs, et Mark débarqua en hurlant qu'ils étaient revenus et qu'il fallait absolument que Lay et Taeyong viennent. Aussitôt dit, aussitôt fait. Près de l'entrée de fortune, Taeyong trouva Haechan, recroquevillé sur lui-même, pleurant toutes les larmes de son corps, le bras en sang et secoué de tremblements incontrôlables. À côté de lui, Taeil, les yeux écarquillés, en état de choc extrême. Taeyong se jeta sur lui.

- Nom de Dieu, que s'est-il passé ?!

Aucun des deux survivants ne put répondre. Mark s'occupait comme il pouvait de son meilleur ami, et Lay observait la scène, impuissant. C'était la première fois depuis des années qu'il se sentait à ce point inutile.

- Ils ont eu Yuta et Johnny ?

Taeil remonta les yeux vers lui, les sourcils froncés dans les bras de Taeyong qui tentait de le calmer.

- Johnny ?... Il ne l'ont pas attrapé, ils l'ont tué.

Lay ne répondit pas, trop sonné. La haine dans les yeux de Taeil et Taeyong le clouait sur place. Seulgi arriva pour en rajouter une couche.

- Il va falloir prendre les bonnes décisions. On peut savoir ce qui t'arrive Lay ? Johnny est mort par ta faute, et ils vont torturer Yuta jusqu'à ce qu'il ne crève lui aussi.

Elle s'adressa ensuite aux autres.

- Vous voulez toujours d'un leader qui vous envoie tous à la mort ? Il n'y a pas que l'Exodus dans cette guerre, il y a mille autres problèmes à gérer !

Une sorte de révolte à l'intérieur de la révolte semblait prendre forme sous les commandements de Seulgi. Lay était perdu dans son propre jugement, les larmes aux yeux, ce qui n'était pas arrivé depuis de longues années. Quasiment deux ans. Il fallait qu'il le dise, qu'ils comprennent tous enfin. Alors il cria, comme une plainte semblant déchirer la nuit noire, la plainte d'un pauvre gosse perdu dans un monde sanglant sans ses parents, un homme solitaire et livré à lui-même:

- Dans l'Exodus... Il y a mes deux meilleurs amis, et ils y sont depuis bientôt deux ans... Et quand ils ont été capturé, j'ai juré que les délivrer deviendrait ma priorité numéro une... Je suis désolé pour Johnny et Yuta... Mais je ne peux pas rebrousser chemin et faire comme s'ils n'existaient plus, qu'ils étaient déjà morts, c'est... c'est impossible, finit-il d'une petite voix.

Le calme revint et personne ne parla pour quelques minutes.

- Ils le sont déjà peut-être, Lay, déclara finalement Seulgi.

- Je refuse de le croire ! hurla Lay. Ce sont des putain de battants, personne ne peut les abattre ! Je dois les retrouver et les sortir de là, et même si vous décidez tous de partir, j'irai moi-même, je ramperai s'il le faut, mais je les sauverai, c'est une putain de promesse.

Les larmes dévalaient ses joues sans aucun bruit autour. C'était un pari fou, suicidaire, que de vouloir sortir quelqu'un de cette prison. Taeyong se leva et tapota l'épaule de son ami.

- J'accepte de rester, mais je n'accepterai plus aucun autre coup foireux. On a perdu Johnny et Yuta, c'est largement suffisant.

Et enfin, la petite voix d'Haechan s'éleva.

- On a trouvé un moyen d'entrer...

Le bout de papier qu'il serrait fort entre ses doigts tachés de sang allait être la clé de tous leurs futurs plans.