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Je ne parviens pas à chasser le goût de la déception sur ma langue depuis ma récente dispute avec Orion. Dispute qui a éclaté de manière si brutale que je me demande encore ce qui a pu se passer. Ce mec a un sérieux problème. J'imagine que ses cinq cent mille followers sur Insta ne savent pas à quel point il est susceptible, violent et méchant. Oui voilà, il dégage de la méchanceté pure. Même s'il a vécu une épreuve difficile, ça ne lui donne pas le droit de m'agresser. Malgré la mort de mes parents, est-ce que je me permets de sortir les griffes pour défigurer les gens que je viens de rencontrer ? Non. Je me mure dans la solitude, dans les livres, dans mon journal. Si ses frères, aussi gentils soient-ils, s'attendent à ce que je lui trouve des excuses, ils peuvent toujours courir.

— Tu repenses à ce qui s'est passé aux écuries ? me questionne Aristée.

Hélios et moi venons d'arriver à sa hauteur. Il a finalement cessé de poursuivre Orion, pour marcher au pas sur le chemin. Tout autour de nous, de lourds massifs de roses noires forment une sorte de prisons végétales plutôt incroyable. Le gris écrase tout sur son passage : le bitume, le ciel, les arbres. On dirait que quelqu'un a gommé l'intensité des couleurs pour rendre le paysage plus fade. C'est marrant, l'ambiance ressemble à celle que je dissimule au fond de moi depuis leur décès. J'ai l'impression d'évoluer dans ma propre âme.

Désireuse de fuir le sujet de conversation que vient de lancer le frère aîné, je me concentre sur le jeu d'ombre sur le sol. Au-dessus de nos têtes, les branches squelettiques des bouleaux se rejoignent, formant une arche assez terrifiante. Par accident, mon regard finit par tomber sur la monture d'Orion, vingt mètres devant nous. Une colère soudaine m'envahit, aussi surprenante pour moi que pour les garçons.

— Qu'est-ce qu'il a contre moi ? m'emporté-je, alors.

Aristée passe une main lasse dans ses cheveux châtains qu'il ramène en arrière. Sur son cheval, il a l'allure d'un prince que rien ne peut énerver. Son regard vert et or, d'une puissance remarquable, s'adoucit en se posant sur le sujet de notre discussion. Comme s'il l'avait senti, Orion accélère pour mettre plus de distance entre nous.

— La colère fait partie inhérente de sa personnalité. Depuis toujours, il est habité par une hargne si féroce qu'elle le consume. Alors quand il ne va pas bien, elle décuple. Il n'a rien contre toi, je t'assure.

— D'ici quelques semaines, ça ira mieux, continue Hélios. Il doit juste s'habituer à toi. Tu sais, pour un chanteur de rock, il n'est pas très à l'aise avec les gens.

Ça nous fait un point en commun.

— Les seules avec qui il s'entend vraiment bien, ce sont ses groupies qu'il fourre dans son pieu, reprend Hélios en ricanant.

J'imagine très, très bien. Orion finit par s'arrêter pour que nous le rejoignions, ce qui ne le ravit pas des masses. Il boude toujours deux mètres devant, nous empêchant de continuer notre conversation. Si ça se trouve, il l'a fait exprès. Quelques pas derrière moi, Hélios chantonne un air glacé en écho aux claquements des sabots. Tout à coup, la végétation alentour disparaît pour offrir une vue dégagée sur les jardins. Un mystérieux mur de végétation qui semble s'étirer à l'infini attire mon attention un peu plus loin.

— Qu'est-ce que c'est ? demandé-je, fascinée.

— Un labyrinthe ! Quand on était petit, nous raconte Hélios, on allait jouer à cache-cache dedans. Aucun Minotaure ne s'y cache, alors si tu veux y aller, un de ces quatre, tu peux.

Je souris à sa plaisanterie concernant le personnage mythologique. On ne me l'avait encore jamais faite celle-là.

— Viens, me somme le blondinet en poussant son cheval au galop, je vais te montrer l'entrée !

Déjà Rune se met à le suivre sans que je ne puisse la contrôler. On traverse l'herbe couverte de neige sur une centaine de mètres, jusqu'à atteindre l'entrée du labyrinthe. Les hautes haies denses, taillées avec précision, s'élèvent comme des murs vivants. Elles bruissent doucement dans le silence paisible de cette matinée. Leurs feuilles sombres, d'un vert profond presque noir, semblent absorber la lumière environnante, créant une atmosphère éthérée.

À ma grande surprise, Hélio s'y engage. Je le suis, toujours au pas, la poitrine écrasée par une angoisse étrange. Les allées étroites et sinueuses du labyrinthe serpentent dans toutes les directions. Je jette un coup d'œil par-dessus mon épaule pour remarquer que ni Aristée ni Orion ne nous ont suivis.

— Pitié, dis-moi que tu connais le chemin pour sortir de là, grimacé-je.

— Évidemment ! Le labyrinthe existe depuis aussi longtemps que le château, mais mes parents ont dû le rafraîchir de nombreuses fois.

Des arches de branches entrelacées se forment à certains carrefours, appuyant le mystère de cet endroit flippant. Pour couronner le tout, le tapis de feuilles mortes sous les sabots des chevaux craque de manière sinistre. J'ai l'impression que des os éclatent.

Hélios s'arrête, demeure silencieux quelques secondes, puis opère un demi-tour.

— Continuons la balade, OK ? On viendra ici plus tard, si tu veux.

J'ignore si je le veux, justement, bien que l'excitation se mêle à ma peur sourde. Je suis tout de même curieuse de découvrir ce qu'il y a au centre du labyrinthe.

On sort en moins d'une minute, et je me sens tout de suite mieux. On se remet en route sans qu'aucun des frères n'ait commenté notre périple, et je suis plutôt surprise de la part d'Orion. Malgré le froid et l'ambiance lourde, le paysage magnifique m'arrache un petit sourire.

— S'il te prend l'envie d'aller te promener sur le domaine, m'explique Aristée, n'hésite pas. Des voiturettes sont à ta disposition, tu les trouveras derrière le château. Elles t'amèneront où tu veux. Personnellement, je te conseille de t'en servir, parce que c'est plus grand que tu ne le penses. Essaie simplement de ne pas t'engager dans la forêt qui encercle la propriété, tu pourrais te perdre. Contente-toi des jardins et du parc. Par-là bas, tu trouveras le circuit de voitures et de motos. Mais j'ai cru comprendre que tu ne conduisais pas.

— En effet, réponds-je sans m'épancher sur les détails.

Orion met soudain un coup de talon à sa monture, qui file comme le vent.

— Une petite course ? me propose Hélios en se plaçant à ma hauteur. Le premier arrivé au circuit a gagné !

— Tu es sûr de vouloir perdre ? le défié-je.

— C'est ce qu'on va voir.

Il me devance honteusement en partant au galop.

— Allez, Rune ! Montrons à ce petit arrogant ce qu'on sait faire.

Déjà, le vent s'engouffre dans mes longs cheveux et sous mes vêtements. La température infernale ne m'empêche pas d'apprécier la vitesse. Tant pis pour mon pauvre fessier qui me le fera regretter demain ! Je profite de cet élan de liberté pur en éclatant de rire. Rune donne tout ce qu'elle a. Le panorama devient flou, mélange de blanc, de marron et de gris. Ma monture accélère encore sous mes encouragements. Je traverse le flanc d'une colline sans réussir à rattraper mon adversaire qui soulève un nuage de poussière sur son passage, mais quand la descente entraîne Rune, on parvient à le talonner.

Le circuit dont m'a parlé Aristée apparaît en contre bas. Des rubans de bitume gris forment des virages assez étranges, comme si on avait demandé à un enfant de dessiner la piste derrière les grillages.

— Tu perds ! me hurle Hélios, hilare.

Je me concentre de nouveau sur la course et rejoins le plus jeune des Olympie. On atteint la première infrastructure du circuit quasiment en même temps.

— C'était génial ! s'exclame le blondinet en s'arrêtant aux abords de la forêt, juste derrière le circuit. Mais j'ai gagné.

À ma grande surprise, Aristée et Orion nous ont suivis de près.

— Pardon ? On est arrivé ex æquo.

Il glousse en secouant ses jolies boucles.

— On va demander à Aristée. Aristée, tu as vu que je suis arrivé en premier, hein ?

— Je n'ai rien vu, affirme ce dernier en flattant son cheval.

— Orion ! Dis-lui, toi.

Je roule des yeux, devinant déjà la réponse de l'intéressé. Évidemment qu'il ne va pas me déclarer victorieuse, il me hait. Je grimace dans l'attente d'une de ses remarques désagréables. Avec le temps, je finirais par les encaisser, non ?

— Elle a gagné.

Sous l'effet du choc, je manque de tomber. Rune vient de décider de brouter l'herbe, et je m'accroche in extremis à la selle. Orion ne regarde ni Hélios ni moi. Il descend de cheval en restant focalisé sur Ténèbres.

— Quoi ? se vexe le blond. Tu dis n'importe quoi, je suis arrivé le premier !

— Si tu veux, soupiré-je pour calmer l'entrain du perdant.

Ses sourcils se froncent, son visage se tord d'agacement, puis il souffle bruyamment. Sans attendre, il s'éloigne en grommelant entre ses lèvres.

— Il est mauvais joueur, explique Aristée. Ça lui passera vite.

— J'ai cru comprendre.


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