chapitre 12
𝑪𝑯𝑨𝑷𝑰𝑻𝑹𝑬 𝑫𝑶𝑼𝒁𝑬
Enfin. Dehors. Étrangement, il n'y avait personne. Monsieur Jeon et les autres qui l'accompagnaient, étaient dans leurs petites maisons personnelles qui devaient avoir dans le passé constituées différents bâtiments d'une école. Les lumières étaient éteintes.
La douce fraîcheur de la nuitée estivale, peut-être était-on en août à présent, caressa avec douceur l'épiderme saccagé par les blessures et les larmes de Taehyung, lui rappelant qu'enfin la tranquillité se permettait de lui tenir compagnie.
Les appartement des femmes de réconfort et de Taehyung possédaient de maigres lampes à huile, quasiment impossibles à faire fonctionner, cependant celle de la deuxième moitié du bâtiment était allumée. Jangmi, si sa mémoire ne lui faisait pas défaut, était encore éveillée. Il avança doucement, en limitant la force et la puissance de ses pas pour que le bruit du bois soit minimisé. Il sentit bien alors l'humidité nocturne mais habituelle qui rendait moite et froide la structure boisée, sous la plante nue de ses pauvres pieds.
Il avait juste à toquer contre la porte et laisser la jeune femme la faire coulisser. C'était simple. Il lui donnerait une information sur certains hommes qu'il avait connus et cela pourrait les aider à se préparer.
Pendant qu'il réfléchissait à ça, il avait baissé son corps de façon à être accroupi, il avançait plus lentement certes mais il se trouvait bien moins visible sous les rayons immaculés de la lune qui se plaisait à être pleine en ce soir. Le bas de son unique pantalon, celui que son grand-père lui avait donné lors de son départ de la maison, celui qu'on lui enlevait complètement pendant plusieurs heures tous les jours ou presque, le laissant choir péniblement à l'autre bout de la pièce, était à présent humide également, ayant touché le bois.
Il arriva enfin tout proche de la porte. Il leva sa main, les doigts refermés contre sa paume, la tourna, hésita un instant puis fit taper la phalange du doigt par-dessus les autres contre la porte, trois fois.
En quelques secondes, la jeune femme ouvrit, lentement, sûrement prête à recevoir un japonais ayant eu des envies tardives et qui se serait déplacé depuis sa résidence. Elle eut un soupir de soulagement en voyant que la seule personne devant elle était un jeune garçon vu un peu plus tôt, qu'elle avait finit par assimiler comme la "femme de réconfort" d'à côté de chez elle. L'homme de réconfort du coup.
Il avait l'air tout pur avec ses traits angéliques, ses grands yeux marrons glacés pleins de larmes qui n'attendaient que de pouvoir couler en torrents indisciplinés sur ses joues, ses boucles indistinctes qui descendaient très bas dans sa nuque.
Il était bien jeune pour connaître un si noir pan de monde. Elle éteignit rapidement la lampe à huile puis s'assit aux côtés de Taehyung contre le sol mouillé, ses jambes bougeant légèrement pour calmer les frissons qui la prenaient à cause de la fraîcheur de la "terrasse".
Ses longs cheveux tombaient dans son dos en une cascade noire et sale, autrefois lisse, pleine de nœuds créés dans la journée, de poussière à force d'avoir été traînée sur le sol insalubre de sa chambre, touchant de leurs pointes abîmées sur le haut de ses cuisses, les ouvertures faites au sabre par l'un des kempetais de la veille, les taches marrons et plus dure que son épiderme commençant à apparaître, comme de fines et longues écailles.
Il y eut un moment de silence pendant lequel ils étaient les genoux contre le sol, les jambes repliées dans une position honorable sous leurs corps fatigués. Cette position leur faisait extrêmement mal, mais ils se seraient sentis gênés de ne pas se montrer du respect mutuellement.
Ils en manquaient tant, de respect, qu'avoir un comportement humain normal se présentait à eux comme une clé flamboyante pour ouvrir la cellule d'un détenu. Ils avaient d'habitude la sensation, commune, d'être des animaux, pire, des objets, des meubles, même des jouets.
La brise se fit plus froide, les minutes s'écoulaient mais ils le laissaient aucun mot sortir de leurs lèvres, un sorte de malaise commun les ayant mis sous cloche. Ils ne se faisaient pas encore confiance, parler semblait compliqué.
Mais d'autres choses parlaient pour eux.
Ils savaient, en se regardant du coin de l'œil, qu'ils avaient le même genre de blessures. Celles autour du cou de mains qui auraient trop serré pendant ces actes terribles, bestiaux, inhumains, emplis de colère et de haine. Celles sur les cuisses, que Jangmi devinait seulement chez Taehyung parce qu'il évitait de poser ses mains à certains endroits de celles-ci, même au travers du pantalon. Ils avaient tous les deux cette lueur de désespoir ultime au creux des pupilles, lumières happées doucement par les ténèbres noires de la lassitude pure et dure de l'existence humaine.
Lorsque la lune eut parfaitement posé son empreinte dans des phosphènes clairs à l'intérieur des yeux des deux jeunes gens, enfin, la jeune femme ouvrit la bouche pour déposer quelques mots dans l'air frais.
<<Laisse-moi deviner, le cou, c'est celui qui a la cicatrice sur toute la joue hein ?
Cet homme était on ne pouvait plus brutal, avec une musculature particulièrement développée pour un japonais pure souche, une chose de plus qui mettait les captifs ici en danger. Cet homme ne regardait pas les visages, il prenait de derrière avec hargne, un frustré de mariage sans nul doute, et il frappait sans réfléchir, attrapant pour frapper plus fort et à répétition les cous de ses victimes.
Lui, Taehyung ne l'oubliait pas, parce que c'était celui qui possédait le plus de dégoût envers lui-même et qui pourtant ne pouvait se passer du corps juvénile à souhait d'un bel éphèbe. Peut-être ressemblait-il au jeune homme avec un avenir indistinct qu'il avait été, quelques années auparavant. Avant la cicatrice sur toute la joue, que Taehyung avait compris comme datant d'une bataille sombre où il avait dû perdre une part non-négligeable d'humanité.
Tous étaient devenus parfaitement observateurs, réfléchis, ils comprenaient des choses grâce à des détails. Et Taehyung ne le savait pas encore, mais cette faculté qu'il développait, pour essayer de se concentrer sur d'autres choses que son malheur comme à son habitude, allait peut être devenir dans un futur plus ou moins proche, la clé non pas pour ouvrir la cellule, mais pour ouvrir le bureau des dieux.
-Oui, c'est celui-ci qui m'a fait la trace au cou.
Un blanc s'installa, loin d'être gênant. Un blanc de compassion et d'envie de rassurer l'autre, de lui dire qu'il n'était pas tout seul dans son malheur. Leurs yeux parlaient à leur place et un sourire commun s'étira sur leurs lèvres.
-Tu n'es plus toute seule Jangmi, et ton amie non plus.
Ses mains tremblaient, mais il faisait de son mieux pour garder ses yeux vissés dans les siens. La noiraude hocha la tête tout en attrapant les doigts du bouclé. Elle les caressa doucement, douceur dont les monstres qui la touchaient ne faisaient pas preuve. Une douceur presque maternelle, une brise délicate sur l'épiderme du bronzé qui le fit déglutir.
Elle paraissait si calme, si paisible. Ses beaux yeux sûrement anciennement pétillants et son air enfantin donnaient à Taehyung l'envie de la protéger et de l'emmener loin d'ici. Loin de ces hommes et de cette violence qui n'allait guère à son personnage. Et pourtant elle pensait de même pour lui.
Comme reprenant soudainement ses esprits, Taehyung retira le plus calmement possible ses doigts de la poigne de l'autre et se releva d'un coup avant de se pencher en avant. Il voulait lui montrer son respect, ses encouragements, son soutien.
Il avait si peur pour elle.
Mais ne devait-il pas avoir peur pour lui ?
Jangmi baissa la tête, un petit sourire bien dissimulé formé sur ses lèvres. Elle épousseta ses vêtements avant de se lever à son tour et d'enlacer le bouclé qui était toujours courbé à quatre-vingt-dix degrés. Elle le prit dans ses bras et cala la tête du garçon sur son épaule mutilée; tout ça, sans un bruit.
Taehyung pleurait et Jangmi aussi. Il enveloppa de ses bras la jeune fille et demeura telle une statue de pierre le temps d'apprécier ce moment de sérénité auprès des siens.
-Je t'aime bien Taehyung. Je t'en supplie, ne meurs pas compris ?
-Je te le promets Jangmi..., il se détacha, tu n'as pas intérêt à rendre l'âme face à ces ordures non plus.
Elle baissa son regard.
-Impossible, j'ai encore bien trop de choses à accomplir dans ma vie.>>
Taehyung esquissa un léger rictus avant de se décaler et de sortir le plus doucement possible de l'appartement.
Il avait un mauvais presentiment, celui qui lui dictait de se dépêcher et de rentrer chez lui au plus vite. Malgré ça il n'avait pas encore eu l'opportunité de voir l'amie de Jangmi et cela le tracassait beaucoup. Il se pinça les lèvres en serrant ses poings.
Qui savait si elle serait toujours en vie demain ?
Un bruit de porte qui se coulisse pour être fermée le fit frémir et il se dépêcha de rejoindre sa chambre en essayant de faire le moins de bruit possible. Son cœur battait si vite, il avait si peur.
Ces temps-ci, la peur était la seule chose qui le maintenait vivant.
Et à vrai dire, ce n'était pas plus mal.
Après avoir attendu une poignée de minutes dans le noir, sans faire aucun bruit de peur d'attirer la moindre personne, Taehyung soupira et se glissa sur le sol dur et froid, comptant y passer la nuit.
Ses draps étaient souillés et il ne comptait plus y mettre ne serait-ce qu'un orteil. Souillés par la luxure, par le viol, la violence et le péché.
Qu'ils aillent tous en Enfer,
Taehyung, lui, n'irait sûrement nul part de toute manière.
Enfin ça, c'est ce qu'il se disait.
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