chapitre 1
𝑪𝑯𝑨𝑷𝑰𝑻𝑹𝑬 𝑼𝑵
Taehyung n'avait pas spécialement une vie de rêve mais il était relativement heureux avec celle qu'il possédait et ceci était ce qui rendait son cœur aussi pur que son âme. Après tout, lui au moins avait un toit sur la tête et l'entièreté de sa famille réunie sous celui-ci. Que demander de plus ? Ah oui; La richesse, la réussite, le savoir, les envies, les désirs.
Il appréciait assez sa vie, mais ce n'était pas pour autant que tout lui plaisait.
Fils de fermier et issu d'une classe sociale peu gâtée donc, le garçon n'avait pas un quotidien de tout repos. Lui et sa famille étaient installés proche de Daegu, une assez grande ville située en Corée du Sud, dans un décidément trop petit village non loin des collines de Gaya-san.
Le ciel était bleu azur en ce jour, ce qui signifiait que le soleil ardent se reflétait avec violence sur les rizières immergées. On se trouvait dans la période où le travail principal dans la rizière était le repiquage, soit un travail fastidieux et répétitif, long, pendant lequel on pataugeait sans arrêt dans une trentaine de centimètres d'eau et on était courbé à longueur de journées. On repiquait les plants de riz en petites touffes contenant une dizaine de tiges, et on implantait dix à trente touffes au mètre carré. C'était donc un travail physique que les grands-parents paternels de Taehyung n'effectuaient plus, du moins ne pouvaient plus se permettre de le faire.
<< Taehyung ! Viens m'aider avec la rizière !
Le géniteur du jeune brun venait de hurler si fort que tout le village l'avait probablement entendu. Il devenait légèrement sourd ces derniers temps, c'était mauvais signe.
-Oui papa, j'arrive.
Taehyung remonta son pantalon, le roulant jusqu'à ses genoux hâlés, avant d'effectuer la même tâche avec son haut, que l'on aurait pu appeler chemise trop large dans une autre vie. C'était un morceau de tissu lourd et épais autrefois blanc, avec le col si abîmé qu'on avait dû y mettre une sorte de ficelle pour le maintenir, laissant tout de même une partie non négligeable de clavicules et de torse à la vue de l'astre solaire qui se rinçait l'œil sans en rater une seule miette.
-Que mon petit-fils est beau.
-Grand-mère..!
Elle se tenait près du champ, le grand chapeau de paille du jeune homme en main, prête à lui donner alors qu'il se dirigeait vers une après-midi longue et fatigante.
-Fais attention à ta tête mon chéri, tu dois protéger ton cerveau. Je ne veux pas que ton intelligence soit consumée par le soleil.
-Grand-mère, c'est encore une légende de l'aînée du village ? Pourquoi l'écoutes-tu, c'est aussi elle qui a dit que nos rizières portaient malheur il y a quelques années. >>
Il eut un petit rire, un rire doux qui fendit l'air brûlant qui régnait en cette après-midi, et la vieille dame lui sourit en retour, tout de même peu convaincue. Les légendes renfermaient toujours une part de vrai, disait-on.
Le jeune brun posa le chapeau de paille sur le haut de son crâne et posa un pied puis l'autre dans le champ.
Il travailla pendant des heures, s'arrêtant quelques secondes de temps en temps pour passer son avant bras sur la surface recouverte d'une pellicule de sueur qu'était son front. Sa peau joliment colorée d'une teinte brun clair brillait, dorée, sous les rayons flavescents de la boule de feu dans l'étendue bleue au-dessus de sa tête. Dire que les jeunes filles du villages qui passaient à côté ne s'arrêtaient pas pour l'admirer dans son dur labeur, les bras parsemés de veines dues à l'effort -chose qui contrastait d'ailleurs avec son corps délicieusement fin et ses traits délicats- serait un mensonge. De plus, ces derniers temps, ses cheveux légèrement bouclés de nature à cause de l'humidité constante avaient poussé, dans sa nuque et en nuage de mèches soyeuses au-dessus de sa tête, ce qui se voyait quand même sous le chapeau, et qui, d'ailleurs, lui allait à merveille. Il avait un certain nombre d'admiratrices, chose qui faisait beaucoup rire les membres bienveillants de sa petite famille.
Lorsqu'enfin, Phébus prit une teinte érubescente et qu'il se mit à descendre, changeant par la même occasion les nuages blancs en étendues de couleur pêche duveteuses, le jeune homme soupira de bonheur et quitta le champ, où il était le dernier.
Il entra dans sa petite maison, l'odeur de la nourriture embaumant l'air encore chaud qui parcourait en courants l'espace intérieur. Tout le monde était déjà attablé. Son grand-père, en bout de table comme le chef de famille qu'il était, sa grand mère, à ses côtés, son père un peu plus loin, et en face de lui, sa mère. Enfin, son petit frère de dix mois, Minwoo, qui souriait comme il le pouvait à son exemple. Sa chaise de bois, enfin, le tabouret qui avait un jour eu un dossier et qui lui était la plupart du temps dédié était déjà tirée, face à un bol plein. Du riz. Blanc, fade, en pyramide trop petite pour satisfaire son estomac suite à ses heures d'efforts physiques, mais tout de même mieux que rien.
<<Bon appétit tout le monde !>>
Décidément, le grand-père n'avait pas perdu sa gourmandise avec le temps.
Un silence de plomb vint rejoindre la petite famille à sa place en invité indistinct, remplissant la pièce de sa présence invisible. Puis enfin, le père de Taehyung ayant terminé son bol, posa ses baguettes de côté, et se tourna vers sa mère, son éternel sourire de vieille dame emplie seulement de gentillesse et de bienveillance sur les lèvres.
<<Maman, tu voulais nous parler de quelque chose qui va se passer bientôt dans le village ?
-Oh oui ! Elle sembla s'être rappelée d'une chose incroyable, assez pour illuminer ses pupilles délavées par le temps. Alors tout à l'heure, je discutais avec les autres grand-mères du village, et puis soudainement, on a entendu un monstre de fer. C'était une voiture. C'était la première fois que madame Seo en voyait une, elle a été tellement émerveillée qu'elle en a perdu une autre dent, en gardant la bouche ouverte trop longtemps...C'était deux membres de la Kempetai.
Le père de Taehyung serra les mâchoires. Il était profondément touché par l'occupation, lui étant si attaché à sa patrie. Il haïssait les japonais du plus profond de son cœur, tellement que parfois il se demandait s'il ne voulait pas tenter un coup d'État. La haine contre les japonais, c'était aussi quelque chose que son fils avait développé. Il passait son temps à lui parler d'un royaume puissant, évolué, de lui raconter les légendes et les mythes de son pays natal. Ainsi, les japonais avaient réellement l'air d'un envahisseur profondément mauvais. C'était ce qu'ils étaient, d'ailleurs. Et pas seulement un air. Se déplacer en voiture au lieu d'utiliser un cheval, c'était bien quelque chose d'un japonais citadin. Mais il se tut, souriant face à l'air similaire au sien que possédait son fils.
-Les deux membres de la Kempetai sont venus vers nous, et ils ont commencé à nous parler d'une campagne de recherche de travailleurs volontaires, des ouvriers et des serveurs pour la ville...c'était en japonais alors nous n'avons pas compris tous les détails précis mais...Ils ont promis que ces gens seraient logés, et nourris, du moins jusqu'à ce qu'ils puissent être autonomes. Ils ont dit qu'ils ne prenaient que des jeunes, femmes et hommes, et qu'ils les choisiraient au moment d'un entretient global, enfin un rassemblement en ville qui se déroulerait en début d'après-midi...Dans très peu de temps donc. Ce n'est pas génial ?
Silence général; seuls les petits bruits de satisfaction du petit garçon au bout de la table qui aimait bien la sensation de la nourriture se faisaient entendre.
-Quel est le rapport avec nous belle-maman...?
-Et bien on pourrait y envoyer Taehyung pardi !
Ledit Taehyung qui avait de l'eau dans la bouche manqua de s'étouffer, avant d'afficher un air médusé et sidéré dirigé vers son ancêtre qui semblait avoir un peu trop bu.
-Pourquoi ne pas m'envoyer directement au Japon pour aider nos envahisseurs tant qu'on y est ? Et puis mamie, vous avez besoin de moi ici, qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Que te prend-t-il ?
-Ne me parle pas sur ce ton. Je suis très sérieuse. Tu pourrais être autonome financièrement, dans un autre domaine que la riziculture. Le premier de toute la famille ! Tu pourrais monter plus haut dans la hiérarchie et offrir un meilleur futur à tes enfants... Ouvrier c'est l'avenir non ? On raconte que l'industrie se développe exponentiellement, et que beaucoup d'agriculteurs tels que nous se reconvertissent. Ça pourrait être l'avenir mon petit-fils.
-Mais mamie..., Taehyung pivota son visage vers celui sérieux de son père, attendant une quelconque réaction de sa part, Et toi papa, qu'en penses-tu...?, son ton se fit tremblant.
-Je-, l'homme tenta.
-Il n'est pas question de ton père ici, Taehyung, mais de nous tous., articula de manière un peu trop brusque la grand-mère tout en tapant du poing sur la table ce qui étonna les autres âmes présentes autour de celle-ci., Je veux te voir heureux c'est bien clair ?Je veux pouvoir observer mes futurs arrières-petits-enfants grandir et s'épanouir dans un milieu adéquat; milieu que tu auras gagné grâce à ce travail qui pourra te rapporter des merveilles, de l'importance dans l'échelle sociale, à toi comme à nous. Que ce soit chez des japonais ou bien ici, c'est la même chose.
Un silence mortuaire s'était doucement installé et Taehyung ne put s'empêcher de déglutir, ses yeux remplis de larmes qui menaçaient de couler à tout moment.
-...Tu comprends Taehyung ? Dis-moi que tu comprends..., La vieille dame finit par se lever difficilement de sa chaise pour aller caresser d'une de ses mains ridées les joues fraîchement mouillées de son garçon., Excuses-moi de m'être emportée, je ne veux que ton bonheur trésor..., son regard balaya l'ensemble de la famille avant de se concentrer de nouveau sur le noiraud, L'entièreté de ta famille le veut.
Taehyung réfléchissait, il réfléchissait durement. Lui qui pensait rester dans ce petit village toute sa vie, entouré de tous ses proches...Et voilà qu'ils voulaient qu'il s'en aille ? N'était-ce pas un comble ?
-Papa, je veux juste que tu te rappelles que je ne veux pas aider les japonais, je ne l'ai jamais voulu. La Corée est en priorité et je ne m'oublierai pas, c'est promis. Faites-moi confiance, je ne vous décevrai pas. Après tout, peut-être que sa grand mère avait raison...Cela lui apporterait sûrement le bonheur...? Je le ferais., répondit tout doucement le garçon, appréciant les caresses qu'on attribuait à la partie gauche de son visage.
-Qu'as-tu dit chéri ?, la grand-mère se pencha en avant, d'une oreille qui se voulait attentive.
Que pourrait il lui arriver de toute manière ?
-Je le ferais pour vous tous. >>
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