C H A P I T R E - Q U A T R E

Adam prend le temps de saluer la tablée, m'embrassant le cuir chevelu. Cette attention me vaut un rougissement, que je tente de dissimuler sous ma longue tignasse.

« Je ne savais pas que tu venais, déclare Stella.

- Ton fiancé m'a invité, hier soir. Je n'ai pas pu refuser. Surtout si je pouvais passer un moment avec mon Ivy adorée.

- Je t'aime, tonton.

- Moi aussi, mon lapin. »

Ivy rigole et répète tout ce qu'elle connaît sur les lapins. Nous avons donc un cours gratuit sur les lièvres. Même avec les gosses, il sait y faire.

« Bon, je vais peut-être y aller, j'ai des choses à faire, dis-je, précipitamment, lorsque le beau brun s'assoit à côté de moi.

- Déjà ? Tu n'as même pas mangé un petit quelque chose.

- Oui, oui, de toute façon je suis un peu barbouillée. Merci de m'avoir hébergée hier soir et pour tout ça, réponds-je, en montrant les alentours.

- Pas de soucis, sœurette. On s'appelle ?

- Bien sûr ! Bisous tout le monde. »

Puis, je pars, telle une marathonienne. Je n'oublie pas de prendre mes escarpins et mon manteau de fourrure qui se trouvent bien sagement dans le hall, comme s'ils m'attendaient pour pouvoir sortir de cette magnifique demeure aussi vite que possible. La main sur la poignée, je m'apprête à passer le pas de la porte lorsque je sens une présence dans mon dos. Je pivote légèrement la tête avant de découvrir qu'il s'agit du bouclé.

Qu'est-ce qu'il me veut encore ?

« Tu as oublié quelque chose ? demandé-je, agacée.

- Est-ce que ça va ?

- Parfaitement, réponds-je du tac au tac.

- Tu sais que tu n'es pas obligée de me mentir, hein ?

- Je ne mens pas. Maintenant, si tu me le permets, j'aimerais bien partir.

- J'ai su énormément de choses hier lorsque tu étais saoule, et tu étais tout sauf heureuse. Mais bon, fais ce que tu veux.

- Oublie ce que j'ai dit hier. J'étais un peu trop alcoolisée et ça m'est monté à la tête. Sur ce, au revoir ! »

Puis, j'enclenche fermement la poignée et claque la porte derrière moi. J'accélère le pas jusqu'à ma voiture, le froid glaçant chacun de mes membres. Il ne manquerait plus que j'attrape la crève !

Les clés de voiture en main, je déverrouille ma portière. Je m'engouffre dans l'habitacle et me cogne la tête sur le volant.

« Idiote, idiote, idiote ! »

Pourquoi agis-je comme tel ? Pourquoi me comporté-je comme une adolescente qui vient d'entrer en pleine période de puberté ? C'est comme si j'étais retournée à l'époque où chaque fait et geste que faisait ce brun me rendait toute chose. Bon sang, quel sort m'a-t-il lancé ?

« Argh ! crié-je. »

Et pour couronner le tout, il faut que celui-ci s'inquiète pour ma personne. Ou alors, il cherchait juste à me faire tomber un peu plus sous son charme. Quelle merde !

Pressée, je tape un vague message sur mon cellulaire et finis par démarrer en trombe. Je conduis jusqu'à un squat, abandonné. Ici, je trouverai de quoi me changer les idées.

Je me gare sur le pseudo parking et sors de la voiture. Prise d'un frisson, je referme mon manteau sur moi, tout en grelottant.

Bien que j'affectionne cette période de l'année, je ne supporte pas la chute des températures. Soleil, reviens-nous !

Mes pas s'accélèrent, voulant échapper à ce froid monstre. Je passe ma tête, à travers la fenêtre entrouverte et mon sourire s'agrandit.

Sans perdre une minute de plus, je me réfugie dans le hangar. La chaleur de la pièce me réchauffe instantanément, me surprenant.

L'endroit n'a pas changé. De vieux canapés traînent, un peu partout, dans les coins. Un flipper, que l'on a chopé dans une déchetterie, est positionné près de la fenêtre. Une batterie trône au milieu de la pièce et un asiatique, aux cheveux caramel, est en train d'y jouer. Sa tête se balance en rythme et la musique qui parvient à mes oreilles est divinement bonne. Mon corps se balance, de gauche à droite, et je fredonne l'air.

L'asiatique relève la tête et arrête tout mouvement lorsqu'il m'aperçoit. Ses yeux semblent sortir de leurs orbites, tant il est étonné de me voir ici. Puis, un énorme sourire vient se placarder sur son visage et il lâche ses baguettes, qui tombent en fracas sur la moquette verte.

À grandes enjambées, il s'approche de moi. Il me prend dans ses bras et je fais de même.

« Putain ! J'y crois pas ! s'exclame-t-il.

- Je suis de passage dans la région, alors je me suis dit que je viendrai te rendre visite.

- Ça faisait vraiment un bail ! Mais, t'as pas changé. Toujours aussi belle, dit-il, en m'observant attentivement.

- Oh, arrête, je vais rougir, rigolé-je. »

Jon se joint à mon rire. Que ça fait du bien de le retrouver.

« Je t'ai envoyé un message, avant de venir, mais tu n'as pas dû le voir. »

Il se gratte l'arrière de la tête, quelque peu gêné.

« En fait, je l'ai paumé je ne sais où, donc quoiqu'il en soit, je n'aurais jamais eu ton message... »

Je ne peux m'empêcher de lui rire au nez. Jon est vraiment un cas à part. Il perd toujours tout, c'est même étonnant qu'il n'ait jamais perdu sa tête.

Comme un enfant, il se balance d'un pied sur l'autre, peu heureux de sa bêtise. Ce comportement le rend encore plus mignon. Jon est l'incarnation de la douceur-même. C'est dingue ! Même lorsque nous étions un peu plus jeunes, il avait déjà ce côté attachant qui le caractérise tant.

« Tu ne peux pas savoir à quel point ça me fait plaisir que tu sois là.

- Et moi, alors ? »

Jon et moi nous connaissons depuis à peu près dix ans. On s'est rencontrés en cours de mathématiques, à la fin du collège, lorsque je m'étais disputée avec Heather. Cette dernière m'avait chassée, me disant des choses horribles, pour une jeune fille de cet âge. De ce fait, je me suis installée à côté de la seule personne qui me semblait cool. Et, je ne me suis pas trompée.

Durant cette classe, d'habitude longue et ennuyeuse, je me suis beaucoup amusée. Jon est vraiment drôle. Je me rappelle de la blague qu'il m'avait faite, alors que j'étais en train de me triturer les bouts de peau autour de mes ongles.

« Quelle princesse a les lèvres gercées ?

- Heu, je sais pas, avais-je répondu, confuse.

- La belle au bois dormant. »

Je me souviens avoir tiré une tronche de dix kilomètres, n'ayant pas capté le jeu de mots. Pendant ce temps-là, mon voisin était hilare, fier de sa blagounette.

« Mais si, le labello : ce que tu mets sur tes lèvres, pour les rendre douces. »

Mon cerveau était en ébullition, essayant de connecter une à une les informations. Et c'est alors que je me suis mise à rire, mais d'un rire profond, alarmant tout l'étage.

Mon professeur de l'époque n'avait tellement pas d'autorité sur ses élèves, qu'il n'avait rien dit de plus que :

« Calme-toi, Ellie. Nous sommes dans un cours, et non en récréation. »

Comme bonne élève que j'étais, je me suis tue. Je n'avais certainement pas envie de récolter un mot dans mon carnet de liaison. Ah, ça, jamais !

Jon passe sa main devant mes yeux, me sortant de mes rêveries.

« À quoi pensais-tu ?

- À notre rencontre, lâché-je, un fin sourire aux lèvres.

- C'est inoubliable !

- C'est clair, ris-je. »

Nous nous installons sur un des canapés. Jon s'assoit et pose ses pieds sur la table basse, délabrée. J'en profite pour mettre ma tête sur ses longues jambes et admire le plafond, tacheté d'étoiles fluorescentes.

Ces astres ont été collés peu de temps après le décès d'Heather. C'est un peu un hommage que l'on a voulu lui rendre. C'était notre QG, à l'époque. Nous avons tout vécu ici. Nos premières peines amoureuses, nos premiers baisers, nos premières cuites, nos premières engueulades, nos premiers fous-rires. Bref, il s'en est passé des choses, dans ce trou perdu.

« Que deviens-tu ? questionne Jon, en passant sa main dans ma chevelure tout emmêlée.

- J'ai eu mon diplôme de styliste en accéléré on va dire et je bosse depuis peu dans une grosse boîte. J'y ai rencontré Alessandro, mon ex et une fille que je considérais comme ma deuxième meilleure amie. Et puis, cet enfoiré m'a trompée avec elle.

- Outch, c'est pas cool ça.

- Je ne te le fais pas dire. Le pire dans tout ça, c'est que je n'arrive pas vraiment à me le sortir de la tête. C'est encore trop récent, je crois...

- C'est toujours difficile, les ruptures. Mais, tu verras, une fois que ce sera passé et que tu auras refait ta vie, ce ne sera plus qu'un vague souvenir.

- Je te fais confiance, Jon.

- Tu peux, toujours. »

J'attrape une de ses mains libres et je la serre fort, comme pour me convaincre que ses paroles se révéleront vraies.

« Et toi, alors ? Raconte-moi tout.

- Je suis serveur dans un bar pas loin de chez toi. Je bosse comme un damné pour me faire un peu de fric, pour survivre. Je squatte un peu partout, mais le plus souvent, c'est ici. Bon, ces derniers temps, je me les gèle, mais ce n'est qu'une mauvaise passe. J'espère juste que je trouverai un appart' rapidement. Sinon, côté amour, je suis toujours seul. C'est vrai, j'suis pas très sérieux, à aller fricoter de droite à gauche, mais j'ai besoin de tirer mon coup. Ça m'aide à aller mieux, en quelque sorte.

- Et bien, je ne savais pas tout ce que tu vivais. Je me rends compte qu'en partant du jour au lendemain, j'ai abandonné les personnes qui me sont les plus chères. Je suis tellement désolée, Jon. »

Le cœur serré, je coince ma lèvre inférieure entre mes dents. Je relève mon buste, pour venir m'effondrer dans les bras de mon ami. Ami qui souffre, beaucoup plus que je ne l'aurais pensé.

« Hé, honey, ça va, je t'assure. Arrête de pleurer, s'il te plaît, chuchote-t-il, en frottant mon dos.

- Non, Jon. Je m'en veux ! »

Ses grandes mains agrippent fermement mon visage. Il coince quelques mèches de cheveux derrière mes oreilles, puis pose son front contre le mien.

« Arrête de t'en vouloir, Ellie. Certes, ce n'est pas toujours facile, mais je tiens la route. Je comprends parfaitement ton choix, j'aurais fait pareil, si j'avais pu. Alors, ne te préoccupe plus de ça et vivons l'instant présent. D'accord ? »

Ses pupilles sombres rencontrent mes yeux larmoyants. Je hoche lentement la tête et ses fines lèvres viennent se poser sur mon crâne.

« Bon, maintenant, sèche tes larmes de crocodile et on va boire un verre.

- Où ça ? reniflé-je.

- Surprise, répond-il, taquin. »

Qu'en avez-vous pensé ?

Des remarques sur ce que je dois améliorer ?

Merci d'être chaque jour un peu plus nombreux à lire cette œuvre, ça me fait énormément plaisir ! 🍒

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