C H A P I T R E - N E U F

Je farfouille chaque recoin de la friperie à la recherche de la pièce phare qui manque à mon dressing. Grâce à mes trouvailles, je crée des tenues modernes et j'adore ça ! Jon traîne un peu la patte derrière moi. Visiblement le shopping n'est pas fait pour lui.

« T'as trouvé ? demande-t-il, las.

— Non, pas encore. Ce magasin est vraiment nul ! »

Mon partenaire lève les yeux au ciel, exaspéré. Lorsque quelque chose ne va pas dans mon sens, ça m'énerve. C'est le cas ici. Pourtant, je me souviens que lorsque j'étais plus jeune, je trouvais toujours des pépites. De l'eau semble avoir coulé sous les ponts depuis ce temps.

« Bon, on sort ! »

Jon pousse un cri de victoire qui alerte la vendeuse. Je lui souris maladroitement avant de filer avec mon ami, plus heureux que jamais. Ah, les hommes, tous les mêmes !

« On rentre ? questionne l'asiatique.

— Comment ça ? On vient à peine de commencer ! m'exclamé-je, interloquée. »

Il souffle dans son coin, comme d'habitude. Le pauvre, il n'a pas fini de rechigner. Afin de me faire pardonner, je décide de le prendre par le bras et de lui chuchoter ce qu'il rêve d'entendre dans ses rêves les plus fous.

« Tu es le meilleur ami que la Terre n'ait pu me donner, Jon ! »

Puis, je claque un baiser sur sa joue aussi douce que mon plaid. Franchement, comment peut-on avoir une peau aussi agréable au toucher ? J'en suis jalouse !

Il sourit de toutes ses dents, faisant ressortir ses deux jolies fossettes. Je préfère le voir comme ça.

Nous déambulons dans les rues, s'arrêtant par moment devant les enseignes susceptibles de me plaire.

« Tu n'as jamais voulu revenir ? questionne Jon soudainement.

— Ici ?

— Oui. Je veux dire, être seule n'a pas dû être facile, surtout après ce qu'il s'est passé...

— Eh bien, je ne me suis jamais posée la question. Bien sûr, vous me manquiez tous, plus ou moins fortement, mais je n'aurais pas pu rester dans cette ville, pas après tout ce que j'y ai vécu. J'avais vraiment besoin de m'éloigner, afin d'essayer de me reconstruire... »

Il hoche la tête, l'air pensif. Je continue de marcher à ses côtés, la tête ailleurs.

Tout plaquer du jour au lendemain était le seul moyen pour que j'aille mieux, en quelque sorte. Partir dans un autre État m'a aidée mais cela n'a jamais réussi à me faire oublier tous les moments passés dans cette si jolie ville. Il y avait toujours cette ancienne Ellie, entourée de ses deux compères, dans un coin de ma tête. Et puis, il faut dire que ma vie de californienne n'a pas été de tout repos.

J'ai essuyé de nombreux refus, je me suis même parfois prise de vrais murs, ce qui a eu le don de me forger une carapace encore plus robuste. M'être exilée m'a fait prendre conscience de certaines choses ; comme le simple fait que la vie ne nous offre pas tout sur un plateau d'argent et qu'il faut donc toujours se battre.

La petite Ellie fragile a su se créer un masque impassible, enfin seulement lorsqu'elle n'est pas sous l'emprise d'alcool.

Longtemps, j'ai été une vraie éponge à sentiments, non-imperméable. Les réactions, les émotions, les sensations des personnes qui m'entouraient se répercutaient en moi. Heather n'aimait pas ce côté trop sensible qui me caractérisait. C'est vrai, elle était une dure à cuire. Nous avions deux personnalités totalement différentes pourtant si complémentaires.

De plus, la perte d'Heather m'a vraiment mis un coup de pieds aux fesses. Ma meilleure amie avait la vie devant elle, elle était pleine de projets, rêvait d'accomplir tous ses désirs les plus fous... Parler d'elle me rend atrocement nostalgique.

Elle aurait très certainement voulu que je me ressaisisse, que j'arrête de m'apitoyer sur mon sort. J'espère que de là-haut elle est fière de moi, fière de ce que je suis devenue depuis qu'elle n'est plus là. C'était pas gagné, mais elle a toujours été ma bonne étoile.

Heather, tu me manques...

« Tu veux pas qu'on fasse une pause ? dit Jon, me sortant de mes pensées.

— D'accord, réponds-je machinalement. »

Il me regarde, presque étonné.

« Genre, vraiment ?

— Oui, je ne veux pas que tu cries sur tous les toits que je te torture, dis-je en le bousculant. »

Il lève les yeux au ciel, un doux sourire sur les lèvres. Je ne peux m'empêcher de rire, chose que je fais pratiquement tout le temps en sa compagnie. 


xxx

« Ellie ! Dépêche-toi, ton frère nous attend ! crie maman, du bas de l'escalier. »

Les lunettes posées sur le bout du nez, je fignole les dernières pièces que je dois envoyer à ma supérieure. Notre agence propose un défilé dans quelque temps et il faut absolument que je boucle toutes les tenues pour pouvoir les envoyer aux couturières. C'est un vrai casse-tête, mais tout semble être bon pour le moment.

Après avoir vérifié dix mille fois que le mail est envoyé, je ferme mon ordinateur et attrape mon téléphone avant de rejoindre mes parents au rez-de-chaussée.

Jon m'a déposée un peu plus tôt dans l'après-midi, après avoir passé la majeure partie de la journée à flâner dans les rues. Je n'ai rien acheté, à mon plus grand désarroi. La Californie est désormais le seul endroit où je peux trouver des merveilles.

Un petit bruit annonçant l'arrivée d'une notification accapare toute mon attention. Il s'agit une fois de plus d'un mail en provenance de l'agence. Cela fait au moins le dixième message que je reçois, me rajoutant toujours plus de travail.

Je souffle pour la énième fois, déjà épuisée. Depuis que je fais partie de cette prestigieuse entreprise, je n'ai quasiment pas eu de repos. Même lorsque je prends des jours de congés -comme c'est le cas ces temps-ci-, il faut que je sois connectée et prête à réaliser les différentes tâches vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je suis éreintée moralement.

« Tu te fais désirer, jeune demoiselle !

— Pardon, maman. J'étais en train de bosser. »

Elle marmonne des mots incompréhensibles, puis passe devant moi afin de sortir de la maison. Je prends soin de me vêtir de mon manteau d'hiver ainsi que de ma grosse écharpe, tricotée par l'une de mes grand-mères. Si je suis aussi intéressée par l'univers de la mode, c'est en partie grâce à elle.

Petite, je la regardais coudre des vêtements pour les plus démunis. Parfois, je l'aidais à confectionner des bonnets pour mes poupées. Et puis, elle m'a appris énormément de choses sur le milieu. On peut dire que j'ai baigné dedans depuis ma plus tendre enfance. Je ne remercierai jamais ma mamie pour tout ce qu'elle a fait pour moi.

Papa conduit jusqu'à chez Josh, où je découvre -non sans surprise- qu'Adam est là, lui aussi. Il me colle aux basques, je n'en peux plus !

L'épisode de ce matin m'est encore resté en travers de la gorge. Une seule remarque de sa part pourrait me faire démarrer au quart de tour ; je crains le pire.

Ma génitrice se dépêche d'entrer dans la demeure de mon aîné, cherchant sa petite fille du regard. Elle est fan d'Ivy, c'est adorable.

« Bonjour tout le monde, déclaré-je.

— On est dans le salon ! crie mon frère. »

Nous nous dirigeons alors vers la pièce à vivre. Ils sont attablés autour d'un joli gâteau au chocolat, sûrement réalisé par Stella, la fiancée de Josh.

« Hum, ça sent bon ! m'exclamé-je, tous mes sens en alerte.

— On reconnaît les morfales, plaisante Adam.

— Et alors ? l'agressé-je. »

Adam me jauge du regard, jusqu'à ce que je le détourne pour le poser sur ma Ivy. Cette chipie est en train de manger, se salissant plus qu'autre chose.

« Bonjour, petite canaille ! »

Mes lèvres entrent en contact avec ses cheveux, qui sentent la noix de coco. Ensuite, je salue toute la tablée, en évitant Adam. Il m'a déjà agacée.

Stella m'intime de m'asseoir, ce que je fais rapidement. Moi aussi, je veux du gâteau.

Sans attendre mon reste, je me sers une part et la dévore, sous le regard réprobateur de ma tendre mère.

« Tu devrais le goûter, dis-je la bouche pleine. »

Je reçois une serviette en plein visage. Quel idiot ! Rageusement, je saisis le bout de tissu et essuie le contour de ma bouche. Pour qui se prend-il à la fin ?

Le sang commence à bouillir en moi, ce qui n'annonce rien de bon. Je serre les poings sous la table et grince des dents.

Respire, Ellie.

Je ne peux m'empêcher de le fusiller du regard et il en fait de même. J'aurais mieux fait de rester chez moi à bosser tranquillement sur la prochaine collection à lancer.

« Je vais aux toilettes, annoncé-je. »

Ils ne relèvent pas, trop occupés à écouter l'histoire passionnante de ma filleule.

Des pas se font entendre dans mon dos et je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir qu'il s'agit du bouclé.

« On ne peut pas aller pisser tranquillement ? râlé-je.

— Quelle insolence !

— Je ne le suis qu'avec ceux qui le méritent.

— Je peux savoir ce que je t'ai fait ? »

Calme toi, Ellie, ce n'est rien.

Trop tard. J'explose :

« Ta présence m'agace au plus haut point. Tu es là, en train de me courir après, alors que tu ne m'as quasiment jamais calculée plus jeune. Tu cherches tout le temps à me pousser à bout. Ce n'est pas parce que je t'ai confié certaines choses lorsque j'étais complètement bourrée qu'il faut que tu te sentes pousser des ailes. Tu m'énerves, Adam. Toi et ta gueule d'ange, vous m'énervez ! »

Ses si beaux yeux trahissent sa surprise. Il apporte sa main derrière sa tête et se gratte la nuque. Ce simple geste a le don de me rendre hystérique.

« Bordel, Adam ! C'est tout ce que tu trouves à faire ? Tu passes pour le gars le plus adorable de la Terre devant tout le monde, alors qu'en fait t'es qu'un con. Oui, t'es con. Tu ne sais même pas te servir de ce que t'as entre les jambes. »

Ses yeux sortent de leurs orbites au fur et à mesure que je prononce ces paroles. Je suis peut-être allée trop loin...

Colérique, je lui tourne le dos et entreprends mon ascension vers les toilettes lorsque qu'une main puissante encercle mon poignet frêle.

« Quoi ? »

Nos corps ne font plus qu'un et il attrape ardemment mes lèvres. Sa main agrippe désespérément ma taille, me collant davantage à son torse aussi dur qu'un roc. Les papillons dans mon bas ventre s'activent et j'enroule son cou afin de ne pas flancher.

Nos langues se lient puis se délient, elles se cherchent et se tatillonnent, faisant augmenter le désir. Bordel, je commets une sacré erreur.

À bout de souffle, nous nous séparons, les fronts collés. Petit à petit, je prends conscience de ce qu'il vient de se passer.

Oh. Gosh.

Alors qu'il s'apprête à ouvrir sa jolie bouche, gonflée par notre échange buccal intensif, je le devance :

« Je dois vraiment y aller. »

Puis, je m'éclipse aussi vite que la lumière. Après avoir fermé la porte, je m'assois sur la cuvette et prends ma tête entre mes mains.

Merde. Merde. Merde. Et re merde.


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