C H A P I T R E - C I N Q

Cela fait une dizaine de minutes que nous roulons. Jon n'a pas voulu que je prenne ma voiture, souhaitant garder l'effet de surprise. Le fait de le voir aussi joyeux malgré toutes les galères qu'il a pu rencontrer au cours de ces dernières années me réchauffe le cœur.

« On en a encore pour longtemps ? m'impatienté-je.

— Ne sois pas aussi pressée, papillon.

— Est-ce que ma tenue est adaptée pour ce genre d'endroit déjà ? »

Mon acolyte quitte la route des yeux afin de les poser sur ma personne. Il me détaille minutieusement le temps de quelques secondes, puis reprend sa conduite. Il semble peser le pour et le contre dans son petit cerveau, puisque ses sourcils sont froncés et un pli barre son front.

« Jon ?

— Je dirais oui et non. M'enfin, ta tenue n'est pas un critère important pour l'endroit où nous allons. »

Je me renfrogne dans le siège et croise les bras. Cet homme ne me dira rien quoiqu'il arrive ; ça m'énerve. Les surprises et moi, ça fait deux. Soit je suis super heureuse à l'idée que l'on m'ait préparé quelque chose en cachette, soit je deviens vite angoissée face à l'inconnu. Et actuellement, je suis en train d'imaginer mille et un scénarios dans ma tête. Où peut-il bien m'emmener ?

Au fur et à mesure que Jon prend de la vitesse, mon cœur s'accélère lui aussi. L'appréhension me gagne alors que je devrais me laisser guider. Jon est l'une des personnes les plus sérieuses que je connaisse, jamais il ne me ferait une surprise de mauvais goût.

C'est avec les pensées embrouillées que je décide d'allumer la radio, faisant sursauter mon ami. La musique bat son plein dans l'habitacle si bien que je suis persuadée qu'elle est perceptible sur une centaine de kilomètres. Les voix criardes d'un groupe méconnu me cassent les tympans, m'invitant à changer de station. Une mélodie que je reconnaîtrais entre mille se diffuse dans la voiture, me faisant sourire. Je baisse le volume et dépose ma tête contre la vitre. Mon pied tape frénétiquement contre le sol et je me mets à murmurer les paroles de Hometown Glory, la chanson préférée d'Heather. Jon en profite pour saisir une de mes mains posées sur mon genou.

Des souvenirs douloureux me viennent en mémoire. Les larmes aux yeux, j'observe le ciel particulièrement nuageux. J'aimerais pouvoir voir le contour de son visage se dessiner dans les nuages et ses lèvres se mouvoir, prononçant les seules paroles qui sauront me rassurer. La mélodie fait écho en moi, me brûlant de l'intérieur.

Jon exerce une pression de plus en plus forte sur ma paume ; lui aussi ressent toutes ces émotions. Nous restons ainsi jusqu'à ce que la musique se termine. A la fin de celle-ci, je crois discerner un mouvement dans le ciel. Je souris vaguement, tout en essuyant la larme qui perle au coin de mon œil. C'est peut-être bête, mais je suis persuadée qu'Heather a senti que nous pensions à elle.

« On arrive dans cinq minutes, murmure l'asiatique. »

Je ne fais que hocher la tête, toujours pensive. Depuis que je suis revenue dans ma ville natale, j'ai l'impression que tout ce pourquoi je suis partie me revient en pleine face. Je passe par toutes sortes d'état d'âme et ça me fait peur. Peur de perdre à nouveau pieds. Peur de me sentir oppressée dans ce monde si fatal. Peur de me brûler les ailes. Peur tout simplement de m'attacher.

C'est ça, je suis effrayée à l'idée de pouvoir faire entrer une nouvelle personne dans ma vie et qu'elle détruise tout, comme l'ont fait d'autres auparavant. Pourtant, j'ai soif d'aventures. Je ne sais que trop bien que la vie est courte pour avoir des regrets, ou encore pour vivre dans la terreur.

Jon se gare devant une enseigne plutôt délabrée. Où m'a-t-il emmenée ? Cela ressemble à un vieux motel, non-entretenu. Les briques sont salies par les intempéries qui ont touché la région, les volets sont branlants et manquent de se décrocher à la première brise venue. Les baies vitrées sont décorées aux couleurs des fêtes de fin d'année, cachant les fissures causées par des gamins probablement. Toutefois, les lumières qui émanent de l'intérieur semblent relativement chaleureuses, invitant le client à y entrer.

« Je te montre le lieu dans lequel je travaille, dit-il, en détachant sa ceinture.

— Je...je ne m'attendais pas à ce genre d'endroit, déclaré-je en l'imitant. »

Nous sortons tous deux du tas de ferraille et nous nous dirigeons vers l'entrée du bar. La porte émet un grincement désagréable lorsque Jon ouvre celle-ci. Une serveuse nous accueille de suite, nous prenant de court. Elle reconnaît Jon, qu'elle serre gentiment dans ses bras.

« Je te présente Lola, ma collègue. Lola, je te présente Ellie.

— Enchantée, fais-je poliment. »

La dite Lola me sourit amicalement, puis porte toute son attention sur Jon. J'en profite pour la détailler de la tête aux pieds. Elle est blonde platine aux yeux clairs. Elle porte un tablier à pois rouge, faisant ressortir sa poitrine proéminente qu'elle dévoile sous un t-shirt blanc cintré. Lola possède un piercing au-dessus de la lèvre, lui donnant un air de poupée Barbie.

« J'vous installe ? demande-t-elle.

— T'inquiète, je gère, répond mon ami. »

Elle hausse les épaules et laisse Jon nous guider jusqu'au fond de la pièce, où se trouvent des tables accompagnées de banquettes typiquement américaines. L'atmosphère qui règne à l'intérieur de ce bar est plutôt chaleureuse, bien que l'enseigne ne soit absolument pas attirante.

« Je ne savais pas que tu travaillais dans ce genre d'endroit, comment dire, pin-up.

— Ça surprend, hein ? »

Je hoche la tête pour approuver ses propos. Jamais je n'aurais pensé que ce musicien, à l'allure plutôt rock, travaillerait au sein d'un groupe de femmes comme celles-ci. Je ne critique en rien son métier, puisque si cela lui plaît, c'est le principal, mais cette Lola ne m'inspire rien de bon.

« T'as couché avec Lola ?

— Ça se voit tant que ça ? dit-il, en rigolant légèrement.

— Comme un nez au milieu d'une figure. Il n'y a qu'à regarder la façon dont elle te regarde depuis que tu as posé tes jolies fesses sur cette banquette peu confortable. »

Mon ami tourne la tête en direction de la poupée et celle-ci lui fait un clin d'œil de manière très aguicheuse. Je lève les yeux au ciel, elle me rappelle Molly, ma cousine.

« Ça fait déjà presque cinq mois que j'ai mis fin à nos parties de jambes en l'air, se confie-t-il.

— Il faut croire qu'elle ne va pas lâcher le morceau si rapidement, répliqué-je en ricanant. »

Jon souffle, en prenant un air dépité. Toutefois, je suis sûre qu'au fond de lui, ça l'amuse tout autant que moi.

A cette heure quelque peu matinale, le bistrot ne semble pas très fréquenté. Seulement trois ou quatre personnes sont présentes, dégustant déjà une pintade.

Sérieusement ?

Ils m'ont l'air d'être des habitués puisque certains se servent des fléchettes situées sur l'étagère, sans demander.

De prime abord, ce saloon ne paye pas de mine : il repousserait n'importe quelle personne, enfin sauf les vieux ringards, qui passent leurs journées à chercher un endroit pour bien picoler. Et puis, lorsque l'on passe le pas de la porte, on se retrouve dans un tout autre univers. Les décorations, bien qu'usées, donnent un charme à la pièce. Les tables et les banquettes font très américaines et peu modernes, mais c'est dans l'esprit du café. Les serveuses sont atypiques, pas très aimables. Je ne comprends toujours pas pourquoi Jon s'entête à rester ici alors qu'il ne colle absolument pas à l'ambiance de ce bistrot.

Les talons de notre chère Lola claquent sur le carrelage blanc et noir, nous alarmant de son arrivée. Un plateau et un calepin en main, elle prend soin de noter notre commande : deux cocas. Boire ne serait-ce un verre d'alcool serait fortement déplacé, surtout après la soirée d'hier. Et puis, même si j'adore sentir cette sensation me parcourir l'intérieur de l'œsophage, ce n'est pas forcément la meilleure heure pour commencer à picoler.

« Je suis heureux d'avoir pu t'emmener ici.

— C'est plutôt calme à cette heure, non ?

— En réalité, les gens arrivent plus à l'heure du midi pour déguster nos burgers qui sont d'ailleurs à tomber.

— Vous n'êtes pas qu'un café ?

— Non, on se diversifie pour pouvoir attirer le plus de monde possible. Avec tous les bistrots dans le coin, c'est dur de se faire une place.

— Il appartient à qui au juste ce café ?

— C'est au père de Lola. Il m'a bien gentiment proposé de bosser pour lui lorsque j'ai posté quelques annonces dans les petits commerces. C'est d'ailleurs lui qui m'a aidé à financer ma voiture pour que je puisse venir chaque jour travailler.

— C'est vraiment gentil de sa part. Il sait que tu t'es tapé sa fille ?

— Arrête avec ça ! s'exclame-t-il, en se cachant le visage.

— On peut même plus rire, fais-je, en lui donnant une tape sur le bras. »

Nous rigolons à l'unisson, avant que la serveuse ne vienne nous déposer nos boissons.

« Bonne dégustation ! »

Puis, elle repart, non sans jeter ses cheveux en arrière, furieuse.

« Tu ne me feras pas croire qu'elle ne ressent rien pour toi.

— Elle m'a déjà dit qu'elle commençait à m'aimer plus qu'un plan cul, alors j'ai tout arrêté. »

Je recrache mon coca sur mon ami, qui fronce les sourcils de dégoût.

« Pardon ?

— T'es dégueulasse, Ellie.

— C'est de ta faute ! Tiens, une serviette. »

Au moment où j'allais lui donner, je remarque une sorte de gribouilli noir sur le dos du papier. Un mot soigneusement écrit par mademoiselle Lola. C'en est trop.

Je me mets à rire comme une demeurée, faisant retourner toutes les personnes vers nous. Jon leur sourit maladroitement, s'excusant de la gêne occasionnée. Des goutelettes d'eau s'échappent de mes yeux et font tranquillement leur parcours le long de mes joues.

J'ai mal au ventre.

« Allez, c'est bon. Arrête de te donner en spectacle comme ça.

— Désolée, déclaré-je, en me tenant les côtes. C'est beaucoup trop drôle.

— Pour toi, dit-il en ronchonnant. »

Il croise les bras sur sa poitrine, montrant son mécontentement. Bon, j'y suis peut-être allée un peu fort. Le pauvre...

En plus de ça, il se retrouve avec le pull crème taché de coca. Il faut que je me fasse pardonner.

« Finis ta boisson ! À mon tour de t'emmener quelque part ! »

Ce qu'il ne sait pas à ce moment-là, c'est que nous allons juste acheter un nouveau haut puisque je sais pertinemment qu'aucune recette miracle n'est bénéfique.

Sacré Jon !

Qu'en avez-vous pensé ?

Je ne suis pas totalement satisfaite de ce cinquième chapitre, donc dites-moi s'il y a des trucs qui vont pas 🍒

Sinon, dans deux jours c'est les vacances de Noël, aka les meilleures haha ;) Qu'avez-vous prévu pour ces vacances ?

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