𝐏𝐫𝐨𝐥𝐨𝐠𝐮𝐞
23 mai 2021,
Monaco
« Une fois de plus, Charles Leclerc, pilote Monégasque de Formule 1, ne parvient pas à remporter le Grand Prix de Monaco. Une nouvelle déception pour l'écurie Ferrari et pour tout ses supporters. »
Le jeune homme s'arrêta brusquement dans ses mouvements. Si soudainement d'ailleurs que s'il n'avait pas été assez attentif à ses environs, le sac de frappe qu'il martyrisait depuis des heures déjà lui serait revenu en plein visage. Il le stabilisa - assez pour ne pas risquer de perdre son nez au passage - et s'en éloigna finalement, après tout ce temps passé à l'utiliser comme souffre-douleur. Retirant ses gants de boxe, il s'approcha rapidement du banc pour y récupérer sa gourde d'eau, qu'il s'empressa de mettre en bouche et la télécommande du téléviseur pour augmenter le volume du programme télévisé qui avait happé son attention de sa séance de sport.
« Lors de qualifications de ce samedi, Charles Leclerc fait face à des problèmes techniques sur sa monoplace. L'écurie italienne signalera plus tard dans la journée que le souci venait de la boîte à vitesse et qu'il ne sera pas en mesure de rouler lors de la course. Ce manque de participation au Grand Prix d'aujourd'hui le désavantage fortement dans sa lutte pour le titre de Champion du Monde, il perd de précieux points. »
En entendant les propos pourtant véridiques de la journaliste, une nouvelle vague de colère se mit à envahir son corps. Ses mâchoires se contractèrent et sa main se resserra violement autour de la bouteille en plastique. Des souvenirs de hier, des discussions houleuses avec son équipe et de la course à laquelle il avait été contraint d'assister lui revinrent à l'esprit.
Calme-toi, Charles. T'énerver ne t'apportera rien.
Il savait pertinemment que Astrid, la belle blonde que l'on diffusait à la télévision et qu'il connaissait très bien par ailleurs, ne faisait que son travail. Elle relatait les événements de ce week-end. Néanmoins, Charles ne pouvait s'empêcher de se sentir en colère. Contre elle, parce qu'elle lui rappelait encore une fois le désastre de ce Grand Prix qu'il essayait tant bien que mal d'oublier et qu'il ne réussissait à faire sortir de sa tête, à tel point qu'il en venait à la rendre coupable de quelque chose qu'il avait lui-même choisi de s'infliger : écouter ce qui été raconté sur lui dans les médias. Contre elle, une fois de plus, pour son coup bas d'il y a quelques années en arrière qu'il aurait également préféré oublier, mais qui le hantait encore. Contre l'Univers pour l'avoir laissé tomber, alors qu'il se sentait prêt à remporter cette victoire. Il s'était préparé pour obtenir ce trophée, il avait même rêvé du moment où il se tiendrait devant sa famille, son pays, son équipe sur la première marche du podium, son butin en main. Le Monégasque s'était même préparé mentalement au dîner avec la famille royale, lui qui continuait à se sentir nerveux en leur présence même après tout ce temps à les côtoyer. Et finalement, le plus dur à accepter et à comprendre, il était en colère contre lui-même.
Furieux d'avoir échoué, d'avoir failli à son devoir. Il aurait dû remporter cette victoire, ce trophée aurait dû être le sien. Mais il avait fallu que les choses se passent autrement, qu'il perde un contrôle qu'il n'avait même pas car il ne pouvait prévoir ce genre d'événement. Le destin, lui répétait-on encore et encore pour tenter de le réconforter. La malchance, répondait-il avec un sourire forcé. La prochaine fois sera la bonne. Mais la prochaine n'était jamais la bonne. Et voilà que son coéquipier, son adversaire sur le terrain, gagnait la deuxième place et que son pire ennemi, dont il devenait chaque jour un peu plus proche, emportait la victoire, la première place. Cette célébration que l'on montrait à la télévision aurait dû être la sienne, ça aurait dû être lui sur le podium. Il aurait dû être là, mais au contraire. Sur le téléviseur, une image de lui dans le garage, la jalousie évidente sur son visage, apparue sous ses yeux brillant de rage et de peine mêlée.
Moi. Ça aurait dû être moi.
« Plus terrible encore, ce nouveau manque de victoire à domicile attise, chez les supporters, la conviction qu'une malédiction pèserait sur les épaules du pilote. Pour rappel, Charles Leclerc fait ses débuts en Formule 1 en 2018 aux côtés de l'écurie Sauber et jusqu'à ce jour, il n'a réussi à obtenir aucun titre ici, à Monaco... »
Le jeune homme n'entendit plus la suite du programme, la voix insipide de la journaliste s'effaça de son esprit. Il n'était plus en mesure d'entendre quoi que ce soit, la réalité de sa situation venait de le frapper en pleine face. "Malédiction", disait Astrid. Jamais personne ne l'avait formulé ainsi. Ils avaient pour habitude d'appeler cela un manque de chance, une perte ou encore un défaite, voire même le destin. Ce bon vieux destin qui lui causait tant de problèmes. Mais jamais malédiction n'avait été employé pour décrire son manque de victoire à la maison, le terme était bien trop fort pour définir un échec. Pourtant, s'il devait être honnête avec lui-même, l'utilisation de ce mot ne l'étonnait que très peu. Ça le blessait fortement, cela allait de soi, mais ne le prenait pas par surprise. Encore moins venant de cette femme, elle qui était pleine d'audace et qui n'avait jamais peur de s'exprimer, même quand ses paroles avaient le pouvoir de couper profondément le cœur de quelqu'un. Elle aimait ça d'ailleurs, le pilote ne l'avait compris que trop tard.
Seulement, malgré son caractère exécrable, n'avait-elle pas raison dans le fond ? Charles n'était-il pas victime d'une fatalité ?
Sous le coup de la tristesse, qu'il déguisa en rage - plus facile à accepter et à contrôler, le Monégasque envoya valser sa gourde contre le mur, éclaboussant au passage le mur et le sol. Il éteignit la télévision et reposa avec hargne la télécommande sur le banc. Il avait besoin de se défouler encore une fois. Alors il récupéra ses gants de boxe aux couleurs de sa monoplace et les enfila avec une seule hâte en tête : frapper ce satané sac jusqu'à en avoir mal. Il savait parfaitement que demain il ressentirait les conséquences néfastes de ses actions, il sentirait ses muscles courbaturés d'avoir autant été sollicités et que, pour couronner le tout, il devra trouver une excuse pour justifier à son coach sportif pourquoi il était si fatigué. Mais pour l'heure, Charles voulait tout oublier, se libérer. Il sentait au fond de sa personne, la nécessité de recommencer, d'abattre ses poings encore en encore contre le cuir du sac jusqu'à en éprouver des brûlures sur ses phalanges. Jusqu'à sentir ce feu qui le consumait de l'intérieur s'éteindre et disparaître dans les profondeurs de son être.
Alors il recommença.
Un coup.
Deux coups.
Ce ne fut que deux heures plus tard qu'il mit un stop à sa séance intensive de sport. Épuisé mais satisfait de lui, d'avoir réussit à libérer sa colère d'une forme plus appropriée qu'en utilisant le contact charnel avec les femmes, comme il avait eu l'habitude de le faire par le passé. Charles prit place sur le banc, sa respiration haletante et son corps ruisselant de sueur. Il n'avait plus rien à donner, toutes ses forces avaient été dépensées. Son psychologue lui avait un jour conseillé de briser les chaînes qui le reliait au passé et à la douleur jadis ressentie, alors il s'était mis à la boxe. Il avait engagé un professionnel pour lui apprendre en secret les bases, puis il avait continué seul. La manière n'était peut-être pas la plus adéquate pour se défouler, s'entraîner jusqu'à épuisement ne pouvait qu'être nocif pour sa santé, mais mentalement, c'était comme libérateur. Et puis, comme il se répétait sans cesse, la douleur physique était plus supportable que le calvaire qu'il vivait dans sa tête quand il y pénétrait. Il préférait encore avoir mal aux mains et aux bras que de se sentir impuissant ou abattu.
— Pourquoi tu as balancé la bouteille d'eau, Charles... soupira-t-il, exaspéré par ses propres actions. J'ai soif. Merde.
Les coudes appuyés sur ses genoux, le jeune homme glissa ses mains aux phalanges meurtries dans ses cheveux si humides que des gouttes s'en écoulaient pour les dégager de son visage. Puis il se redressa et se laissa aller contre le mur, les jambes tendues devant soi, perdu dans le fil de ses pensées satisfaites et déçues.
Au même moment, brisant le silence paisible qui s'était mis à envahir la pièce, la porte de la salle de sport s'ouvrit brusquement, si fort qu'elle claqua contre le mur derrière et revient presque au visage du nouvel arrivant si ce dernier n'avait pas été assez attentif. Charles en aurait presque sursauté face à tout ce boucan, s'il ne s'était pas attendu à recevoir de la visite. Dans le chambranle se tenait son petit frère, Arthur, qu'il reconnu instantanément à sa chevelure blonde, à son air préoccupé et à son arrivée fracassante.
— Putain, Charles, on t'a cherché partout ! s'exclama ce dernier, essouflé.
— Pas partout, décidément, répondit l'aîné, en se levant de son siège. Tu arrives bien tard.
Le jeune homme pénétra dans la salle, refermant avec irritation la porte derrière lui.
— On était tous super inquiets pour toi ! Tu as littéralement disparu après la course.
— J'avais besoin d'être seul.
Le pilote, le dos lâchement tourné à son cadet pour ne pas avoir à l'affronter, se mit à retirer les bandages qu'il avait placé autour de ses mains au début de sa séance de sport. Une protection qui n'avait pas eu l'effet désiré, car ses phalanges était rouges et meurtries sous les coups. Il sentait déjà venir les remarques de sa famille, de ses amis, de son coach et même de son équipe et d'avance, ça l'exaspérait.
— Tu aurais pu prévenir ! continua son frère, agacé par le comportement nonchalant du Monégasque. Un message ne t'aurait rien coûté !
— Arthur, si je t'avais prévenu où j'étais, vous auriez tous débarqué ici pour me réconforter. Et comme je te l'ai dit, j'avais besoin d'être seul.
Charles fixa finalement son cadet dans les yeux. Ce dernier se racla la gorge, rougissant face à la vérité qu'il venait de déclarer. Le pilote de Formule 1 savait pertinemment qu'au moment même où il aurait donné sa position à un membre de sa famille la plus proche, l'un d'entre eux, voire même les trois, seraient venus précipitamment le rejoindre pour l'aider à traverser "cette étape difficile", comme ils aimaient tant les appeler. Alors il avait gardé le silence. De plus, ce gymnase était sensé être son secret, son échappatoire au monde extérieur, mais voilà que le blondinet qui lui servait de petit frère débarquait comme une furie dans son antre. Il en était désormais certain, plus jamais il ne serait tranquille entre ces quatre murs.
J'aurais dû éteindre la géolocalisation, se sermona-t-il intérieurement. Fichu téléphone.
— Et puis, le but d'être seul c'est que personne ne sache où nous trouver, non ? demanda le jeune homme au nouvel arrivant. Te dire que j'étais ici, aurait enlevé tout mystère.
— Peu importe, Charles. Tu aurais pu me dire ou même prévenir maman pour ne pas qu'elle s'inquiète. Tu sais comment elle est.
— Bien ! s'agaça-t-il. Je suis désolé de t'avoir inquiéter et je tâcherais de m'excuser auprès de maman également. Maintenant, vas-tu me dire pourquoi tu es venu jusqu'ici aussi vite ? Je ne suis parti que depuis quatre heures, pas de quoi en faire tout un plat.
Arthur se mit à rougir. Il s'était bien préoccupé pour son grand frère, ce n'était pas un mensonge. Mais la vérité était autre, il avait un message de la plus haute importance à délivrer dans l'immédiat.
— Maman organise un dîner en famille.
— Hm. À ton retour à la maison, demande lui de m'envoyer les détails -
— Aujourd'hui ! le coupa précipitamment le blond. Elle prévoit de faire ça dans moins d'une heure et elle te veut présent. Elle exige ta présence. Elle sait que tu l'évites depuis que tu as rompu avec Tamara.
Charles soupira bruyamment, se laissant retomber sur le banc. Sa mère était une femme formidable, pleine de vie et une mère fantastique qui avait tout donné pour offrir à son trois fils la meilleure vie possible, surtout depuis le décès de leur père, mais elle devenait insupportable lorsqu'il s'agissait de parler de ses relations avec les femmes. Soit elle n'approuvait pas ses relations intimes d'un soir qui portant l'aidaient à exotériser sa colère, soit elle n'aimait pas ses partenaires, même les plus douces qui soient, et se permettait de le lui dire en privé, soit elle voulait connaître les détails des ruptures, soit elle lui demandait constamment s'il pensait enfin avoir trouver la bonne. C'était un cycle sans fin. Alors pour ne pas avoir à s'expliquer sur sa dernière défaite amoureuse qui avait failli, au passage, lui coûter sa carrière, il évitait de venir aux repas de famille. Et ça ne semblait pas être passé inaperçu au yeux de sa maman.
— Elle a dit qu'elle viendrait te chercher si tu n'apparaissais pas à 20h pile devant sa porte. Alors je te conseille de te dépêcher, il est déjà... continua le garçon, jetant un rapide coup d'œil à sa montre. 19h15 ! Tu as exactement 45 minutes pour te doucher et t'apprêter ou tu peux être certain que tu viendras par la force et ça risque d'être moins plaisant. Drôle, c'est sûr, mais douloureux.
— Arthur ?
— Mon frère ?
Charles releva les yeux du sol pour les plonger dans le vert qui colorait ceux de son frère. Un reflet des siens.
— Casse-toi.
— Avec plaisir ! répondit le cadet avec un large sourire, en se dirigeant vers la porte.
La tête dans l'encadrement de la porte, il hurla un dernier « 20h pile à la maison ! », auquel son frère lui répondit en lui lançant un gant de boxe. Sans succès, car il disparut avant que l'objet ne puisse l'attendre, mais laissa son rire résonner dans le couloir.
Cette soirée promettait d'être affreusement longue.
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J'espère que ce début d'histoire vous aura plu ! N'hésitez pas à me faire part de votre avis, ça fait toujours plaisir.
Sinon, je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour le premier chapitre !
claudia_mtc
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