🄸. 𝐸𝑏𝑢𝑙𝑙𝑖𝑡𝑖𝑜𝑛

Installé à mon bureau, entouré d'une montagne de livres, je me bats pour terminer mes devoirs avant demain. Seulement, quelque chose attire mon regard. Une silhouette se découpe sur le toit voisin. Abandonnant mes livres, je m'approche de la fenêtre, captivé par cette présence. La lumière des lampadaires caresse doucement ma peau pendant que je tente de discerner plus clairement le visage de Taehyung.

Depuis son retour, je l'ai souvent vu, la nuit, contempler le ciel étoilé, comme s'il cherchait à atteindre l'inaccessible. Il reste là, silencieux, avec pour seuls compagnons les étoiles qui éclairent ses pensées.
Le vent s'amuse avec ses cheveux, créant une danse éphémère et invisible. Torse nu, il semble en parfaite symbiose avec le spectacle céleste qui se déploie devant lui. Sa présence, à la fois discrète et particulière, attire toute mon attention, me poussant à observer chaque détail de cet être secret qui se dévoile sous la lueur de la nuit.

Nos chambres se font face, opposées seulement par le noir du jardin qui sépare nos habitations. La chambre d'ami, qui est de nouveau la sienne, témoigne d'une nouvelle époque que je ne comprends pas totalement. Qu'est-ce qui a bien pu le pousser à revenir à Busan ? Le secret qui l'entoure ne fait que renforcer cette part de lui qui m'échappe, cette nature insaisissable qui flotte dans l'air.

Des années se sont écoulées depuis son départ, des années pendant lesquelles il a marché sur des chemins inconnus pour moi. L'absence de son sourire, de son rire, a laissé un vide que j'ai appris à cacher, à porter en secret, le cœur lourd de souvenirs et de regrets. J'ai toujours éprouvé pour lui une admiration timide, un sentiment qui grandit dans l'ombre de ma routine quotidienne. Aimer en silence, sans jamais avoir le courage de dévoiler les confins de mon intimité. Il reste un rêve éveillé, une étoile inaccessible suspendue dans le firmament de mes pensées.

Il est un souvenir enfoui dans les méandres de mon enfance, ayant été le complice indéfectible de mon frère aîné, Junghyun. À cette époque lointaine, je les suivais avec empressement, une ombre turbulente tentant de s'immiscer dans leur cercle intime. Mais mes efforts étaient souvent vains, car ils semblaient préférer la quiétude de leur propre univers, cherchant toutes les occasions de me semer et de s'éloigner sans encombre. J'étais sans doute une gêne, une épine dans leur complicité dorée. Après tout, je n'étais alors qu'un enfant, mes larmes facilement versées pour un rien me trahissant.

Cependant, mon frère ne pouvait comprendre à quel point je désirais non seulement jouer à leurs côtés, mais aussi aspirer à la présence envoûtante de Taehyung. Je l'admirais avec une passion dévorante, le percevant comme un être parfait, échappant aux imperfections du monde qui nous entourait. Puis vint le jour où Taehyung quitta brusquement Busan sans aucune explication valable. À l'époque, lui et mon frère avaient respectivement quinze ans, tandis que j'en avais onze. Je me souviens du chagrin profond de Junghyun, marqué par une longue période de déprime. Et moi, dans l'ombre, loin des regards indiscrets, je pleurais silencieusement, comme si mon cœur se brisait sous le poids de notre séparation. Cela faisait désormais six ans, une éternité parsemée de souvenirs teintés de nostalgie. Alors imaginez ma surprise lorsque j'appris que Taehyung était de retour.

Junghyun avait quitté Busan afin de poursuivre ses études à Séoul, ne revenant que sporadiquement lors de quelques week-ends et périodes de vacances. Quant à moi, je passe mes journées à éviter délibérément toute rencontre avec Taehyung depuis son retour, pris dans un jeu de cache-cache avec le désir qui brûle en moi.

Soudain, Taehyung rompt son immobilité. La pluie naissante doit l'inciter à quitter le toit et à trouver refuge dans sa chambre. Les mouvements délicats le ramènent à l'intérieur, bientôt dissimulé derrière des stores qui me coupent l'accès à son intimité. Un sentiment de voyeurisme m'envahit soudain, comme si j'épiais chacun de ses gestes, témoin clandestin de sa vie secrète. Prêt à me plonger à nouveau dans mes devoirs, mon portable vibre, interrompant brutalement ma quiétude. Le nom qui s'affiche est celui de mon frère.

𝕁𝕦𝕟𝕘𝕙𝕪𝕦𝕟

"Salut, petite bite. Je rentre ce weekend, prépare un câlin pour moi."

Reçu à 20:46.

Je roule des yeux, agacé par le surnom qu'il m'a attribué. C’est tout lui, ça. Constamment disposé à me donner des sobriquets tout aussi moches les uns après les autres.

"Taehyung est de retour. Tu le savais ?"

Envoyé à 20:48.

La réponse de Junghyun ne tarde pas à s'afficher.

𝕁𝕦𝕟𝕘𝕙𝕪𝕦𝕟

"Bien sûr que je le sais, nous sommes restés en contact. Et n'oublie pas que je suis parfois allé le voir à Daegu. Bref, et mon câlin ?"

Reçu à 20:56

Je lis le message puis décide de ne pas répondre, préférant me replonger dans mes devoirs qui ne se feront pas tout seul.

°

En me glissant dans mon uniforme scolaire, une appréhension tenace me serre l'estomac. Chaque matin, ce poids m'accompagne fidèlement jusqu'au lycée ; alors avec précaution, je descends l'escalier et pénètre dans la cuisine. Ma mère, habillée d'un tailleur bleu nuit, m'attend avec un air agité, trahissant une certaine précipitation.

Mes yeux se fixent sur ses lèvres en mouvement, essayant de deviner ses mots. Les miens restent silencieux, refusant de se libérer. J'ajuste le son de mon appareil auditif, essentiel pour ma compréhension. Et là, doucement, sa voix me parvient enfin…

“....veux que je te dépose près du lycée ou tu préfères prendre le bus ?"

Né muet et presque sourd, sans cet appareil, je suis complètement isolé. Mais une fois équipé, les sons me parviennent normalement. Alors je hoche la tête.

Dépose moi près du lycée.” Signé-je.

Le trajet jusqu'à mon lycée est court, trop court à mon goût, bercé par un silence seulement interrompu par les murmures de la radio que j'entends à peine. Mon regard glisse sur le paysage qui défile devant mes yeux, laissant mes pensées divaguer, espérant que cette nouvelle journée sera douce. Lorsque nous arrivons près de l'établissement, ma mère gare la voiture et juste avant que je ne descende, elle me retient.

"Oh, j'ai oublié de te dire... J'ai invité Kelly et son fils à dîner ce soir. Tu te souviens de Taehyung ? Tu le suivais partout quand vous étiez plus jeunes. Il est de retour depuis deux semaines, j'espère que tu l'accueilleras chaleureusement."

Je me contente d'acquiescer silencieusement.

Je me tiens devant le lycée, observant sa silhouette imposante. Sa porte massive semble garder avec jalousie l'accès à un monde mystérieux, éloigné et douloureux. Il fut un temps où j'appréciais l'école. Je n'y trouvais pas un bonheur particulier, mais j'avais un ami et j'étais un élève presque ordinaire, presque perdu parmi les autres, malgré ma presque surdité et mon mutisme. Tout a changé. L'an dernier, lors de la dernière journée de cours, j'ai été surpris en train d'embrasser un garçon dans les toilettes du lycée ou du moins, l’autre garçon était sur le point de m’embrasser. Comme un feu incontrôlable, la rumeur s'est propagée en une journée. Heureusement, ma famille est dans l'ignorance. Je refuse de révéler ma vérité de cette manière.

Je pensais naïvement que les choses se calmeraient après les vacances, mais dès le premier jour de la rentrée, les murmures ont repris de plus belle. En une semaine à peine, tout le monde a commencé à m'ignorer comme si j'étais porteur d'une maladie incurable. Déjà peu enthousiastes à l'idée de ma surdité, ils me regardent désormais de loin avec pitié pour certains.

Je lutte de toutes mes forces pour que leurs attaques n'atteignent pas ma confiance, pour que ma carapace ne se brise pas. Mais c’est difficile, par moment.

°

Les doigts serrés autour de mon livre, je me plonge avidement dans sa lecture, m'accrochant à chaque mot pour ne pas perdre le fil de l'histoire. Même si le livre en lui-même n'est pas captivant, je ressens une profonde tristesse en voyant la prof de littérature élever la voix, cherchant en vain à capter l'attention des élèves pour les encourager à lire. Par empathie, je me laisse emporter par les pages, m'évadant dans ce monde fictif, ne serait-ce que pour un instant.

Je ne suis ni le meilleur élève, ni le plus mauvais. Beaucoup ont des idées préconçues selon lesquelles les élèves au premier rang sont les plus brillants de la classe. Mais ma place au premier rang s'explique simplement par le fait que, dans les recoins les plus sombres de la salle, SeokJin et sa petite amie, Soyeon, ont établi leur territoire, et je refuse de passer mes heures de cours à les écouter m'insulter et se moquer de moi. Beaucoup pensent que je suis sourd aux bruits qui m'entourent. Certes, retiré de mon appareil auditif, je n'entendrais rien, mais avec l'appareil, leurs paroles, je les perçois.

Après avoir rangé méticuleusement mes affaires à la fin du cours, je quitte la salle de classe. Mais une fois dans les couloirs, une lourde charge pèse soudain sur mon cœur. Un silence pesant est brisé par une voix moqueuse.

"Hé, Jungkook !" lance Soyeon d'un ton sucré qui me hérisse.

Je garde mes dents serrées, refusant de lui donner le moindre pouvoir sur moi. Mon regard se durcit tandis que je me retourne lentement pour lui faire face. Ses acolytes, SeokJin, Jaehyun, Lisa et Jennie, se rassemblent autour d'elle, chacun arbore un sourire narquois. Je reste immobile, prêt à encaisser leurs railleries, mon visage impassible. Ils suivent Soyeon comme des moutons obéissant à leur bergère, restant en retrait.

Elle s'approche, ses yeux brillant dissimulé derrière un sourire faussement charmant.

"Tu me donne la gerbe", murmure-t-elle, souhaitant que ses paroles ne soient entendues que par moi.

Comment de telles grossièretés peuvent-elles sortir de la bouche d'une fille au visage si agréable ?

Son rire cristallin résonne à travers les couloirs, captant l'attention des curieux autour de nous. Cependant, je garde mon calme, plongeant mon regard dans le sien, dénué de toute émotion.

Elle tourne les talons, se délectant de sa petite victoire personnelle, suivie de près par son groupe qui m'adresse des regards méprisants en guise d'au revoir.

°


Depuis mon retour à la maison après l'incident avec Soyeon, je me suis retrouvé à me morfondre dans mon lit, incapable de bouger. Les heures ont dû s'écouler sans que je ne les compte. Après avoir troqué mon uniforme scolaire pour un pyjama, j'ai réalisé que la journée touchait à sa fin, même s'il n'était que 19 heures. Mais peu importait, je n'avais nulle part où aller. Autant enfiler ma tenue confortable sans plus tarder.

Mes pensées vagabondent, parcourant cette année de lycée qui aurait dû être la plus belle de ma vie, mais qui, hélas, tournait au cauchemar. Juste à cause de mon homosexualité, de mon handicap auditif et muet, mes camarades me rejettent, se moquent. Leurs mots laissent des blessures profondes malgré mon masque d'indifférence, car je cherche encore ce que j'ai pu faire de mal.

Mon téléphone, posé près de moi, vibre doucement, interrompant mes pensées. Un message de ma mère s'affiche à l'écran, suscitant une déception involontaire en moi.

Maman :

"Va ouvrir, je m'habille. Ton père est encore à l'hôpital, il travaille tard ce soir."

Reçu à 19:29

Je fronce les sourcils en constatant que mon père est de plus en plus absent à la maison, passant de plus en plus de temps à l'hôpital. En laissant négligemment mon téléphone sur le lit, j'enfile mon appareil auditif et descends au rez-de-chaussée. Une vague de nervosité m'envahit alors que je me tiens devant la porte d'entrée, l'esprit ailleurs. En l'ouvrant, mon sang se glace en voyant nos invités. Comment ai-je pu oublier ? Kelly, notre voisine, est venue dîner avec son fils, Taehyung, ce soir. J'ai complètement perdu la notion du temps.

"Bonsoir Jungkook," s'exclame Kelly avec un sourire chaleureux. "Tu te souviens de mon fils, Taehyung, n'est-ce pas ?"

Comment pourrais-je oublier Taehyung ? Je reste figé sur place, tétanisé. Et lui, Taehyung, semble surpris en me voyant.

Comment pourrais-je oublier Taehyung ? Le meilleur ami de mon frère aîné, l'homme pour qui mon cœur bat depuis si longtemps sans jamais rien pouvoir lui dire.

"Salut, Jungkook," dit-il d'une voix grave qui résonne comme un tonnerre en moi.

Ce timbre... Six longues années se sont écoulées depuis la dernière fois que j'ai eu le privilège d'entendre sa voix. Bien qu'elle ait évolué alors qu'il a maintenant vingt et un ans, son charme est resté intact. Le voir de si près, ressentir sa présence, fait battre mon cœur plus fort. Avec le temps, son visage s'est embelli, rayonnant plus que jamais.

"Pouvons-nous entrer, Jungkook ?"demande Kelly, me tirant brusquement de mon effarement. Je me décale immédiatement, me courbant légèrement pour leur présenter mes excuses.

Ma mère fait son entrée à ce moment-là et les invite à rejoindre le salon, où ils pourront s'installer confortablement.

"Jungkook, viens nous rejoindre. Je te connais, tu risques de t'enfermer dans ta chambre sinon," dit ma mère d'une voix imprégnée de douceur après s’être assurée que je portais mon appareil pouvant ainsi l’entendre.

Mes jambes tremblantes, je referme la porte d’entrée derrière moi et me dirige vers le salon, mon esprit transformé en un véritable chaos. Juste l'idée de me retrouver à côté de Taehyung fait naître un flot d'émotions indomptables en moi. J'essaie de calmer les battements frénétiques de mon cœur, mais la tâche semble impossible. Comment puis-je paraître normal alors que mon monde intérieur est en ébullition ?





━━━━━━━ •♬• ━━━━━━━


C'est le premier chapitre. J'espère qu'il vous a plu j'avoue être assez stressée.

Cette histoire, comme Don't Cry, abordera des sujets sensibles.

J'ai hâte de recevoir vos retours, vos impressions ✨

Pour ce qui est de la parution des chapitres, ça de fera aléatoirement comme ça pas de pression.

Les chapitres vont varier entre 2k et 3k de mots.

J'espère que vous êtes prêt à embarquer sur cette histoire avec Jungkook, à très bientôt pour la suite ✨❤️

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top