28 janvier 2024, 08:23 p.m
Grammy Awards,
Los Angeles, États-Unis

- Nous sommes en direct des Grammy Awards 2024, ici même à Los Angeles, et le moins que l'on puisse dire est que l'excitation est à son comble ! déclara le présentateur avec un air dramatique, un grand sourire aux lèvres. En effet, il semblerait que des rumeurs se soient propagées parmi les fans et sur les réseaux sociaux quant à une venue surprise du célèbre groupe DarkLight ce soir ! L'agence du groupe et les filles n'ont rien annoncé d'officiel, mais leur tout premier single après la fusillade de 2022, intitulé now, sorti hier à peine, semble être une preuve suffisante pour envisager leur présence ce soir ! Rappelons que le clip vidéo a été vu plus de cent vingt millions de fois en seulement vingt-quatre heures, les records ont explosé et c'est un énorme raz-de-marée qui déferle sur les réseaux depuis la sortie du titre. Le public attend donc une venue surprise du groupe, qui n'est pas réapparu sur scène depuis presque deux ans. Espérons que les rumeurs soient vraies ! En attendant, le show commence avec la performance d'Ariana Grande et son dernier titre, Raindrops Pt.2 !

Alma coupa le son de la télé, un léger sourire aux coins des lèvres.

- Personne n'est prêt, fit-elle, satisfaite.

- Pas même moi, c'est embêtant, répondit Jeen en s'asseyant sur le canapé entre nous deux.

Mon regard restait fixé sur l'écran plat de la loge. Certains artistes nous avaient forcément vu entrer, mais apparemment, la majorité ne se doutait pas du tout que deux heures plus tard, nous arriverions sur scène pour interpréter notre tout premier titre à trois. Un silence s'abattit naturellement sur la pièce, et ça devait être assez comique à voir, nous trois assises en brochette, immobiles. Au bout d'un moment, Alma brisa le calme.

- Vous vous sentez comment ?

Les réponses mirent du temps à venir. Pour être honnête, je ne savais pas très bien comment je me sentais. C'était un mélange de tempête et de calme plat dans mon ventre. Comme si je n'avais pas encore conscience de ce que je m'apprêtais à faire, mais qu'au fond, les réflexes de stress des années passées revenaient au galop sans même me prévenir. Je fixais désormais mes mains.

- J'ai...

Jeen eut du mal à finir. Putain, qu'est-ce qu'elle avait ramassé durant ces derniers mois... Un an et huit mois étaient passés, et sa santé mentale faisait toujours les montagnes russes. Elle n'arrêtait pas de s'éloigner de Jungkook, pour revenir vers lui comme un aimant quelques semaines après, et le coréen s'énervait à chaque fois qu'elle partait, parce qu'il l'aimait à en mourir, et l'accueillait à bras ouverts quand elle revenait, en pleurs.

- J'ai vraiment envie de chanter, finit-elle par dire dans un souffle, mais on l'entendit parfaitement.

Est-ce que j'avais vraiment envie de remonter sur scène ? Mon cœur battait déjà fort, rien qu'en imaginant les cris du public et le sol qui vibre sous mes pieds. Mais était-ce l'excitation ou la peur d'être encore attaquée ?

- Moi aussi.

J'avais lâché ça sans y penser. Et au fond, je crois bien que c'était vrai. Triste, mais putain de vrai. Il fallait que je remonte sur scène. L'adrénaline et la vengeance m'appelaient sans relâche, depuis presque deux ans, sans même que je m'en rende compte. Parce que même lorsque j'étais au bord du gouffre devant la tombe de Luna ou sur une plage, loin de tout, avec Baekhyun au Costa-Rica, la scène m'appelait. Ce monde m'appelait. Et même en essayant de me persuader qu'il ne m'apportait que des problèmes et des malheurs, mon cœur tapait toujours autant que je pensais à un possible retour. L'adrénaline ? Elle me manquait, chaque jour de ma vie, celle qui envahit le corps juste au moment de monter sur scène pour un début de concert. La vengeance ? C'était celle qui m'avait poussée à retourner à Séoul, à appeler les filles, à passer des nuits en studio et à m'acharner dans la salle de danse pour redevenir la Chris d'avant l'accident. Je devais le faire, nous devions le faire, montrer au monde entier que rien n'arrête DarkLight, et rendre hommage aux filles une dernière fois avant de tourner définitivement la page sur le passé.

- Je vous aime.

Alma lâchait cette phrase sans cesse depuis que l'on s'était revues à Séoul après le mariage. À chaque occasion elle la sortait, comme un espèce de mantra, et on lui répondait que nous aussi, nous l'aimions. Mais ça ne l'empêchait pas de nous le re-dire dix minutes plus tard. Elle avait changé, certains aspects de sa forte personnalité s'étaient adoucis, et je crois que les mots « je vous aime » lui venaient naturellement désormais, peut-être car elle s'en voulait de ne pas les avoir plus répéter du temps de Cam', Joh' et Fiona. Ce genre d'épreuves changent les gens, même ceux que l'on pensait inatteignables.

On resta silencieuses encore un petit moment, avant que Jeen nous lâche une bombe médiatique de première catégorie qui nous fit tourner la tête, les yeux écarquillés.

- Je crois que je suis enceinte.

J'entrouvris la bouche, totalement choquée, alors qu'Alma clignait plusieurs fois des yeux, hébétée.

- P... Pardon ?!

- J'en suis pas sûre hein, mais je crois que je le suis, en tout cas j'ai tous les symptômes, soupira la plus jeune les bras croisés sous sa poitrine.

- T'as fait un test de grossesse ?

- Non, mais il faut que je demande à Hana d'aller m'en acheter un.

Sa manager allait être ravie, c'était certain. Notez l'ironie.

- Quelqu'un est au courant ? demandai-je.

- Vous êtes les premières. Putain, ça ne peut être que JK le père...

Elle se prit la tête dans les mains alors que je lançais un regard inquiet à Alma, par dessus Jeen qui s'était baissée. Elle haussa les épaules et tapota gentiment le dos de notre amie.

- Si ton test est positif, tu devrais tout de suite aller en parler à Jungkook. Il va comprendre, il a quand même vingt-six ans !

- C'est ça le problème ! Il en a vingt-six, bientôt vingt-sept, mais il en paraît toujours treize d'âge mental ! se plaignit Jeen en s'enfonçant dans le sofa. Comment tu veux élever un enfant avec... un enfant ?

On se regarda un petit moment avec Alma, et, je ne sais pas, c'est venu naturellement, on éclata de rire. Et je crois que ce fut le fou-rire le plus long depuis deux ans. On riait comme jamais nous n'avions rit depuis la mort des filles, tellement fort que j'en pleurais, pliée en deux. Oh pourtant, en sois, il n'y avait rien de drôle. Même que Jeen, au début, se vexa et nous gueula dessus. Mais nous riions tellement, nom de Dieu, que j'en avais mal au ventre. Et elle nous suivit, allez savoir pourquoi. On rigola peut-être cinq minutes sans s'arrêter, à chaque fois que l'une essayait de se calmer, les deux autres repartaient de plus belle et l'entraînaient avec elles.

Et en l'espace d'une seconde,
il y avait Camille, Johanna et Fiona
avec nous.

Dans la loge, pliées de rire pour les mêmes raisons, riant et riant encore, sans s'arrêter, comme avant. Et à mes rires, se mêlèrent des larmes, lourdes et salées, mais elles n'étaient plus amères, non. Les perles de joie, de paix peut-être, roulaient sur mes joues maquillées, et j'eu l'impression d'enfin pouvoir respirer, oui, j'étais en paix.

Quand je me tournai vers elles, Alma et Jeenie étaient en pleurs elles aussi.

Je les serrai dans mes bras. On nous appela pour monter sur scène quelques temps plus tard. Michael, Hana et John nous encouragèrent. On attrapa en tremblant nos micros et on lia nos petits doigts ensembles, on rajouta notre autre main pour remplacer ceux des filles. Hello, we're the light in the dark, DarkLight, on apparut sur scène dans un tonnerre d'applaudissements et de cris, de flashs de téléphones et de lumières dorées sur nos silhouettes. Les premières notes retentirent.

J'eu une pensée pour Baekhyun,
puis pour Johanna,
pour Fiona,
et pour Luna.
Je portai le micro à mes lèvres,
je fermai les yeux,
et je me mise à chanter.

I've been on the low,
I've been takin' my time,
I feel like I'm out of my mind,
It feels like my life ain't mine...

Quand je les rouvris, un monde de lumières s'offrit entièrement à moi. Ces sensations, celles des cris dans le public, des larmes de bonheur et du sol qui vibre sous les pieds, je les ressentais enfin, après tout ce temps. Et je me bouffais les lèvres pour ne pas pleurer.

I don't wanna be alive,
I don't wanna be alive,
I just wanna die today,
I just wanna die...

Jamais je n'avais vu Alma rapper comme ça. Les yeux fermés, les mains tremblantes autour du micro, mais comme possédée par la musique, le corps bougeant sans cesse. Elle n'était plus que rappeuse, danseuse ou leader. Elle était Jal à l'état pur, la perfection. J'en eu le souffle coupé.

What's the day without a little night?
I'm just tryna shed a little light,
It can be hard, it can be so hard,
But you gotta live right now,
You got everything to give right now...

Je crus que Jeen allait pleurer, mais elle ne le fit pas. Parce qu'elle était incroyablement forte, alors je ne le fis pas non plus. Le public perdait la tête, les artistes filmaient, et parmi toute cette foule, sept gars qu'on avait posé là, pour sûrement la dernière fois de leur carrière, nous regardaient en pleurant, de légers sourires aux lèvres. Et les photos feraient à coups sûrs le tour du monde le lendemain matin. Nos grands frères. S'en fut trop, les larmes coulèrent toutes seules. Mais au fond, n'est-ce pas cela aussi, l'art ? Pourquoi se retenir, se forcer, alors que les émotions sont trop fortes pour être contenues ? Je chantais pour les garçons, pour les fans, pour chaque personne dans ce putain de monde qui avait déjà perdu quelqu'un et qui savait ce que ça faisait.

I finally wanna be alive,
I finally wanna be alive,
I don't wanna die today,
I don't wanna die...

Jeen clôtura la chanson dans un solo grandiose, et les yeux fermés, je vivais mes derniers instants dans le passé, avant de fermer le livre à jamais. La salle entière se leva, les gens pleuraient et applaudissaient, encore un chapitre réussi, je rejoignis mes membres pour les prendre dans mes bras.

Et l'histoire se termina.

1-800-273-8255 - logic

fin

(pour mon discours de fin d'histoire rdv à la prochaine partie) ⬇️