Ses doigts frôlent lentement sa peau, se délectent de ce contact tant espéré. Ils parcourent son bras, effleurent son poignet. Une simple caresse, bien plus légère que le vent, et pourtant tout aussi salvatrice.

Elle est restée.

Même après avoir su la vérité.

Elle est restée près de lui.

Son pouls s'accélère alors qu'il la sent s'éveiller. Il s'émerveille devant le visage embrumé qu'elle lui présente. Impossible pour lui de se détourner d'un tel spectacle. Après dix ans à se voiler la face, il refuse d'en perdre la moindre miette.

« Pourquoi ce sourire ? »

« Je réalise enfin que je suis un homme chanceux. »

Il s'amuse du rictus sceptique qu'elle arbore. Ce n'est assurément pas le terme qu'elle aurait choisi pour le décrire.

« Peu importe à quel point ma vie a été difficile, tu es à mes côtés, et ça, c'est amplement suffisant pour faire de moi un homme heureux, la Bleue. »

Il contemple son sourire attendri, s'attarde sur ses joues rougissantes.

« J'ai de la chance que tu sois entrée dans ma vie et que tu sois décidée à y rester, malgré toutes les épreuves que l'on nous impose. »

Il se perd dans son regard, se noie dans ses pupilles.

« J'ai de la chance de pouvoir me réveiller près de toi, de pouvoir te prendre dans mes bras, de pouvoir t'embrasser. »

Il passe sa main dans ses cheveux, s'amuse d'une mèche rebelle.

« Je t'aime, Tara. »

Un sourire doux éclaire le visage du blond alors qu'il prononce pour la première fois ces mots. Après tant d'années à réprimer ses sentiments, il peine à réaliser qu'il peut lui avouer les moindres secrets scellés par son cœur.

Tara ne sait quoi lui répondre. Mike ne l'a jamais habituée à de telles déclarations, lui qui a toujours été si avare en mot. Incapable de lui dire combien ses paroles la touchent, elle se contente d'effleurer ses lèvres dans un baiser silencieux.

Les bras de Mike se referment sur son corps trop frêle, lui offrant un cocon chaleureux dans lequel se réfugier.

« Tu te souviens de notre première mission ? »

« Ta première expédition ? Comme si c'était hier. »

Il se souvient l'avoir réprimandé alors qu'elle s'était précipitée à l'extérieur, faisant fi de toutes leurs règles de sécurité. Il s'était cependant rapidement adouci quand il s'était plongé dans son regard pour la première fois.

Ses pupilles ne reflétaient qu'un émerveillement et une adoration profonde devant ce tableau que lui offrait cette nature encore inexplorée.

Tara était tombée amoureuse de la liberté sous son regard, et lui s'était juré de la ramener vivante de cette première expédition.

« Sans toi, je n'aurais jamais survécu. »

Il acquiesce, encore trop conscient du massacre qui avait eu lieu ce soir-là. L'intégralité des nouvelles recrues avaient été décimées par les Titans, ils n'avaient eu aucune chance de s'en sortir. Que Tara y survive avait été un véritable miracle.

« Et je dois ça à ton joli nez. »

Elle accompagne sa remarque par une légère tape dessus, arrachant un sourire au soldat qui ne peut contester.

Il avait le premier à percevoir les effluves du massacre, le premier à comprendre. Une odeur de sang qui l'avait pris à la gorge, acre et entêtante, le précipitant sur les lieux du combat.

Tara, elle, s'était réfugiée sur un arbre, cernée par ces monstres qui les privaient perpétuellement de leur liberté, incapable de trouver une issue.

Il se souvient de son regard, perdu vers l'horizon, de ses yeux écarquillés devant l'horreur de la réalité. Il se souvient aussi de l'absence de ses larmes et de ses cris, témoins invisibles d'une trop grande détresse.

Elle avait à peine réagi lorsqu'il l'avait rejoint sur son perchoir. Ses lèvres s'étaient simplement fendues en un murmure d'excuses, persuadées d'être responsable de la mort trop violente de ceux qui avaient été ses coéquipiers.

« Tu sais, tu n'as jamais été responsable de ce qui s'est passé ce soir-là. »

« J'aurais pu les sauver, Mike. J'aurais pu les sauver, mais j'ai préféré me mettre à l'abri. Certains d'entre eux auraient pu survivre si je n'avais pas été aussi lâche. »

« Et c'est ton cadavre que j'aurais retrouvé à la place de l'un des leurs. C'est peut-être égoïste de ma part, mais crois-moi, même dix ans après, je suis heureux que ce soir-là, tu aies écouté ta peur plutôt que ton instinct. »

Elle le dévisage, surprise. C'est bien la première fois qu'il lui déclare une telle chose.

« Je ne suis pas aussi chevaleresque que tu peux le penser, la Bleue. Ta survie a toujours été ma priorité. »

« Plus que celle du Bataillon ? »

« Plus que celle du Bataillon. »

« Ça ne va pas plaire à Erwin, ça. »

« Il le sait déjà. »

« C'est pour ça qu'il me déteste ? »

« Il ne te déteste pas. »

Un rictus sceptique se peint sur son visage, reflétant le peu d'entrain qu'elle met à le croire.

« Il me déteste, et c'est sans doute encore plus vrai après tous les soucis que je lui ai causés ces derniers jours. »

Sa voix, devenue soupir, se brise dans une pointe d'amertume. Elle lui en veut terriblement d'avoir assisté à sa déchéance, d'en avoir été le premier témoin.

« Tu sais que c'est faux. Il tient à toi, peut-être même, autant que moi. Il est simplement incapable de le montrer. »

« Tu ne m'as jamais condamnée à mort, toi. »

« Sacrifie-toi. »

Un ordre qui la hante encore, malgré les années passées. Un ordre qu'Erwin avait dicté sans le moindre regret. La priver de son existence ne lui avait demandé que quelques secondes de réflexion.

Cinq années d'amitiés ruinées si facilement. Un instant fatidique, taché d'un sang qu'il lui avait ordonné de verser.

Elle avait vu sa mort, et lui avait exigé qu'elle s'y précipite.

Il savait pourtant.

Il savait que son instinct ne se trompait jamais.

Il savait qu'elle allait mourir ce jour-là.

Il savait, et il n'avait pas hésité.

« C'est pour ça que je ne deviendrai jamais Major. »

Il se relève difficilement, le dos engourdi, avant de passer une main las dans les mèches qui recouvrent son front.

« S'engager dans le Bataillon, c'est s'engager à pouvoir mourir sur un simple ordre. C'est oublier l'individu que nous sommes pour le bien-être des autres. »

« J'ai signé pour la liberté, pas pour la mort. »

Peut-être qu'un jour, elle lui avouera la vérité. Peut-être qu'un jour, elle lui dira qu'elle n'avait pas le choix, que le Bataillon a été sa seule option pour rester en vie.

« Peu importe les raisons qui t'ont poussée à t'engager, tu sais très bien que dans notre monde, découvrir la liberté, c'est aussi côtoyer la mort. Et ça, Erwin n'y est pour rien. »

Elle grogne, peu convaincue par les paroles de son amant.

« Il n'est pas un monstre, Tara. »

« Je ne suis pas le monstre que tu te plais à imaginer Tara. »

« Et si un jour, c'est toi qu'il choisit de sacrifier ? Si un jour, il décide de faire une croix sur une amitié vieille de vingt ans, simplement pour satisfaire ses ambitions personnelles ? Tu pourrais mourir sur un ordre de sa part ? »

Il ne lui répond pas immédiatement. Mettre des mots sur les réflexions qui l'assaillent de plus en plus ces derniers temps lui semble difficile.

« C'est ce que je pensais. »

Il lui offre un sourire doux avant de reprendre.

« Je crois que ton entrée dans ma vie à ébranler toutes mes convictions, la Bleue. »

Assis sur le bord du lit, le dos courbé par les épreuves que la vie lui a infligées, il ferme les yeux.

Trop de chose ont changé depuis le jour où il s'est engagé dans le Bataillon.

« Il y a dix ans, je pensais encore pouvoir affronter la mort sans le moindre regret. Je pensais que la promesse d'un monde extérieur valait tous les sacrifices. Et puis tu es arrivée. »

Tara avait été un ouragan. Sa présence avait fait table rase de son passé sans le moindre mal.

« Il y a cinq ans, quand Erwin t'a ordonnée de te sacrifier pour sauver le reste du Bataillon, j'ai cru mourir aussi. J'avais déjà perdu beaucoup de soldat et vu plus de morts que je ne pourrais le compter... Mais j'étais incapable d'affronter la tienne. J'ai préféré t'accompagner jusqu'aux portes des Enfers plutôt que d'avoir à vivre sans toi. »

Elle est devenue son monde, s'est imposée à sa vie avec une évidence folle.

« Et puis j'ai cru mourir. »

Sa main se pose par réflexe sur son abdomen. La cicatrice boursouflée qui l'agrémente lui rappelle cette triste réalité.

Il aurait dû mourir ce jour-là.

« J'ai cru que j'allais quitter ce monde sans jamais t'avoir révélé ce que je ressentais. Quand j'étais dans la gueule de ces foutus Titans, j'ai compris que j'allais crever l'esprit plein de regrets. »

Il ne saurait dire si les larmes versées l'avaient été par peur ou si c'était la perspective d'une fin, le cœur lourd de regrets, qui l'avait anéanti.

« Je veux construire un avenir avec toi, peu importe si cet avenir est à l'intérieur ou à l'extérieur des murs. La liberté vaut moins qu'une vie à tes côtés, Tara. »

« Tu veux dire que... »

« Je n'ai pas encore pris ma décision, et quoi qu'il arrive, j'irai à Shiganshina. »

S'il y a bien une chose dont il est sûr, c'est que lui aussi veut des réponses. Après tant d'années à se battre, il se sait incapable de faire une croix sur le Bataillon sans connaître la vérité.

« Tu penses qu'on y arrivera ? »

« S'il y a bien un homme qui est capable de nous mener jusqu'à la vérité, c'est bien Erwin. Il a mon entière confiance pour ça. »

La vie du Major a été modelé par cette quête, ce mystère à percer qui lui a fait s'enfoncer dans un monde peuplé de morts et de solitude. Qui de mieux que lui pour leur offrir la clé de cette énigme ?

« Et si on meurt là-bas ? »

« J'aurais au moins le réconfort d'avoir pu goûter tes lèvres. »

Alors qu'elle s'assied à ses côtés, il en profite pour lui voler un baiser.

« Et ça te suffit ? »

Le sourire provocant qu'elle lui offre trouve un écho dans le sien.

« Absolument pas. »

Il l'attire à lui, savourant le contact de son corps encore nu sur sa peau. Il sent ses mains se glisser dans sa nuque alors qu'elle pousse un long soupir de bien-être.

« J'aimerais pouvoir passer ma vie dans tes bras. »

Ce murmure qu'elle lui confie au creux de l'oreille semble sorti de son cœur sans même qu'elle n'y prenne garde.

« On y arrivera, je te le promets. »

Encore l'un de ses serments qu'il prononce sans y penser. Il pourrait lui promettre la lune tant il souhaite pouvoir lui offrir le monde. Peut-être même qu'un jour, il essaiera de décrocher une étoile pour lui montrer qu'elle mérite l'univers tout entier.

« Tu te perds encore dans tes rêves. »

Elle le connait ce regard, elle l'a admiré plus de fois qu'elle ne saurait les compter. Cette lueur si innocente qui habite ses pupilles de jade dès lors qu'il s'évade dans des songes bien plus doux que la réalité.

Lui qui a été témoin de toute l'horreur du monde parvient encore à espérer.

Son sourire coupable déclenche un pincement dans sa poitrine.

Elle se damnerait pour préserver cet homme.

« J'aurais bien voulu t'y emmener, mais Erwin et Livaï s'approchent de notre chambre. »

« Fais-moi penser à leur dire que leur présence est aussi indésirable que celle des Titans. »

« Tu le feras une fois habillée. »

« Jaloux ? »

« Oui. »

« Ils ne t'arrivent pas à la cheville. Au sens propre comme au figuré pour Livaï d'ailleurs. »

L'éclat de rire qui résonne dans la pièce est certainement le plus beau présent qu'il pouvait lui faire en cet instant.

Un éclat de rire qui lui permet de faire face à Erwin lorsqu'il se tient devant elle, le visage impassible. Livaï se tient dans son ombre, l'air tous aussi peu avenant qu'à son habitude. Pourtant, Tara décèle un changement dans son regard, une étincelle d'inquiétude lorsqu'il fixe le Major.

Une étincelle bien assez présente pour réveiller la méfiance de la soldate alors qu'Erwin se décide enfin à annoncer la raison de sa venue.

« Tara, toi et moi sommes convoqués par la Reine. » 

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Honnêtement, je ne pensais pas venir à bout de ce chapitre un jour. Je n'en suis pas totalement satisfaite, mais c'est un énorme soulagement de l'avoir enfin terminé. 

J'espère que ça vous plaira quand même, et ce malgré l'attente. 

Enjoy, 

Nayruh

( Et si vous cherchez les coupables... Zelda Totk et Fire Emblem ! )