Chapitre 2 : Solitude
La chaleur est accablante aujourd'hui. Les autres se plaignent depuis leurs réveils. Tara, elle, elle ne dit rien. Elle ne parle plus beaucoup, à vrai dire. Hanji lui a fait remarquer.
En même temps, avec qui pourrait-elle discuter ? Ils sont tous morts, et elle, elle est seule. Nanaba. Gelgar. Line et Henning aussi. Leur escouade a été décimée. Que dira Mike lorsqu'il se réveillera ? Lui en voudra-t-il d'avoir ignoré ses ordres ?
Lui en voudra-t-il de les avoir abandonnés ?
Lui reprochera-t-il de l'avoir choisi, lui ?
« Oì, la Bleue, dégage de là, ta sale tête me gâche mon repas. »
Elle ne lui répond pas, à lui non plus. Se battre avec Livaï ne l'intéresse pas. Pourtant, il a utilisé son surnom. La Bleue. Il sait qu'elle déteste quand il l'appelle comme ça. Il n'a pas le droit. C'est le surnom que Mike lui a donné.
Livaï fait ça pour la provoquer, pour la faire réagir. C'est sa façon de lui montrer son soutien. Comme Maxi, il sait ce qu'elle vit. Et c'est pour ça qu'elle ne se bat pas contre lui. Erwin ne s'est toujours pas réveillé et il a peur. Il s'en veut aussi. De ne pas avoir été là. De ne pas avoir pu le protéger.
Tara lui fait un signe de tête avant de partir. C'est sa façon de le remercier pour ce qu'il tente de faire.
« Eh Mike, Livaï a essayé d'être gentil ce matin. T'imagines ? C'est une première. Ça doit être pour me soutenir et me remercier. Il sait que sans moi, Erwin ne serait jamais rentré.
Maxi aussi est gentille avec moi. Je ne sais pas comment ils font pour tenir le coup. Ils continuent à vivre, alors que moi, j'en suis incapable quand tu n'es pas à mes côtés.
Ça doit être la première fois que je te dis ce genre de chose...
Il faut croire que tu m'intimides un peu moins quand t'es allongé comme ça. »
Comme chaque jour, Tara s'est assise sur une chaise, près du lit. Elle tient encore sa main.
« Je me sens plus seule que jamais. Je n'arrive pas à savoir si j'ai fait le bon choix. Si ça se trouve, quand tu te réveilleras, tu me haïras. Tu me détesteras pour ce choix égoïste que j'ai fait. Mais comprends-moi... Je ne suis tout simplement pas capable d'avancer quand tu n'es pas là. Je ne pouvais pas te sacrifier.
Je devrais avoir l'habitude pourtant. Ce n'est pas la première fois qu'on est confronté à la mort... »
C'est étrange. Les mots sortent tous seuls quand elle vient à l'infirmerie. Elle qui n'arrive plus à parler, voilà qu'elle se met à déblatérer des heures devant quelqu'un qui ne lui répond pas.
« Tu t'en souviens de ma première expédition ? Erwin n'était pas encore Major. Hanji et Livaï étaient déjà épuisants... Et toi, tu étais ce foutu soldat qui nous ignorait, nous, les nouveaux.
Je ne comprenais pas pourquoi. Combien de fois j'ai cherché ton attention pendant mes premiers entraînements ? Combien de fois j'ai espéré que tu te souviennes de moi ?
Je crois que j'ai vite arrêté de compter. Tu n'avais aucune idée de qui j'étais, et tu ne t'occupais pas des jeunes recrues. C'est ta manière à toi de te protéger. Tu ne t'impliques que lorsque tu es sûre que la personne va survivre. Ça t'évite de souffrir plus que tu ne souffres déjà.
C'est pendant cette mission que tu m'as appelé la Bleue pour la première fois. Tu m'avais engueulé parce que je ne suivais pas les ordres du Major Shadis. Mais je ne pouvais pas m'en empêcher, c'était la première fois que je me sentais libre. La première fois que je quittais les murs.
La première fois que je voyais mes compagnons mourir.
C'est toi qui m'as soutenue ce jour-là. Tu as essayé de m'empêcher de voir leurs cadavres et tu es resté avec moi quand je me suis écroulée. Je me souviens de la façon dont tu as mis ta main sur mes yeux, dans l'espoir de me cacher la mare de sang. J'étais la seule recrue à avoir survécu. C'est pour ça que tu m'as pris sous ton aile, moi, la gamine qui venait d'arriver dans le bataillon. Tu m'as protégé toute une nuit alors que je tremblais comme une feuille après l'horreur qu'on avait vécu.
J'étais inutile, mais tu ne m'as pas abandonné. Tu ne l'as jamais fait. C'est grâce à toi qu'on a pu rentrer vivant dans notre prison dorée. »
Le retour a été difficile. Elle s'en souvient très bien. Elle ne s'est jamais sentie aussi mal. Pourtant, elle ne les appréciait pas particulièrement, les autres recrues. Ils n'étaient certes pas des étrangers à ses yeux, mais ils étaient loin d'être proches. C'est compliqué de tisser des liens avec des enfants qui n'ont jamais rien connu d'autre que l'amour d'une famille.
« Avec toi par contre, c'était différent. Tu es venu me voir tous les jours quand le Major Shadis m'a fait enfermer dans les geôles à notre retour. »
Elle fouille dans sa mémoire, à la recherche de phrases qu'elle a pourtant entendue des centaines de fois.
« Les ordres sont faits pour être suivis, jeune recrue. Un soldat qui ne suit pas les ordres est un soldat qui tue ses compagnons. »
Une phrase qui la fait presque rire, aujourd'hui.
« Je crois qu'il lui a fallu du temps pour comprendre qu'il était le responsable de la mort de la plupart d'entre nous...
Toujours est-il que tu m'as soutenue à partir de ce moment-là et que tu n'as jamais arrêté. Je me suis souvent demandé pourquoi d'ailleurs.
Pourquoi t'es-tu attaché à moi ?
Nanaba se le demandait aussi. Elle ne comprenait pas pourquoi tu m'accordais tant d'importance.
Elle t'aimait encore, tu sais.
Elle t'aimait encore, mais elle n'est pas revenue. »
Sa voix se brise. Qu'est-ce qu'il lui prend de parler de Nanaba ainsi ? Comment peut-elle oser ? Cette femme était son amie.
« Je ne devrais pas dire ça, n'est-ce-pas ? Ils ont suivi tes ordres eux. Ils ont défendu les jeunes. Mais il fallait que ces gamins soient des traîtres. Bertolt, Reiner et Ymir, des titans. Je n'en reviens toujours pas.
Je serais sûrement morte moi aussi, si j'étais partie avec eux. Et toi, tu aurais agonisé pendant des jours avant que l'on te retrouve. C'est pour ça que je pense avoir fait le bon choix. Je ne pouvais pas sauver les autres, et toi, je ne pouvais pas te laisser mourir.
Quand Erwin m'a demandé pourquoi j'avais décidé de sauver qu'un seul homme au lieu de plusieurs, je lui ai dit que ton flair était irremplaçable. Je ne pense pas qu'il m'ait vraiment cru.
Pourtant, c'est vrai. L'humanité perdrait plus qu'un simple soldat si tu mourais. Elle perdrait l'un de ses plus grands atouts. Mais Erwin sait que la survie de l'humanité ne m'importe que peu.
Je n'ai pas de grands idéaux comme lui. Je n'ai pas besoin de me cacher derrière une cause noble ou des faux-semblants.
Tant que tu survis et que l'on s'échappe d'ici, je suis heureuse. Alors il serait peut-être temps que tu te réveilles, non ? »
Tara le regarde avec le peu d'espoir qu'il lui reste. Elle refuse d'abandonner. Elle a ce foutu instinct qui l'oblige à revenir tous les jours. Comme si ça changeait quelque chose qu'elle passe ses journées à raconter sa vie ici. Mike ne réagit pas de toute façon. Il n'a pas bougé d'un cil depuis qu'il a perdu connaissance.
Il a l'air tellement paisible, allongé comme ça, loin de tous les cauchemars qui hantent habituellement ses nuits. Ses sourcils ne sont pas froncés, sa bouche n'est pas pincée. Sa barbe est un peu plus longue qu'à son habitude.
Tara résiste avec difficulté à l'envie de caresser sa joue. Ce geste, elle ne l'a fait qu'une fois, et elle refuse de le refaire tant qu'il ne sera pas conscient.
« Si tu savais à quel point j'ai peur de te perdre...
Je n'arrive pas à m'imaginer ici sans toi. Ça fait trop longtemps qu'on se connaît maintenant. Ça n'est pas possible. Tu es entré dans ma vie il y a déjà huit ans, et je refuse que tu en sortes. »
Trois coups se font entendre contre la porte. Tara se redresse en sursaut, jetant un coup d'œil par la fenêtre. Le soleil décline déjà au-dehors. Elle ne s'est même pas rendu compte des minutes qui ont défilé sans jamais s'arrêter. Le temps poursuit chaque jour sa course, et Mike ne se réveille toujours pas. C'est la seule chose qui lui importe.
« Le Caporal m'a envoyé vous chercher. Ils vous attendent à l'étage. »
C'est la petite Sasha qui a passé sa tête dans l'infirmerie. Elle n'ose jamais approcher de trop près Tara, surtout depuis que cette dernière les a abandonnés. La soldate se demande brièvement si cette gamine lui en veut. Les recrues ont souvent du mal à comprendre les choix des officiers.
Est-ce qu'elle lui reproche de ne pas être venue mourir avec les autres, en haut de cette tour maudite ? Est-ce qu'elle lui reproche de ne pas les avoir aidés à combattre les titans ?
Tara ne sait que lui dire lorsque la jeune fille lui tend un morceau de pain. Elle a encore dû aller le voler dans les réserves. Mike et elle l'ont surpris une fois. Ils n'ont rien dit. Mike ne voulait pas. C'est sa façon de préserver les plus jeunes. Il protège Tara de la même manière.
« Vous devriez manger un bout, vous êtes vraiment pâle. »
Tara refuse son morceau de pain d'un signe de tête. Son estomac est trop noué pour pouvoir avaler quoi que ce soit. Elle la regarde gentiment quand même. Elle l'aime bien, cette gamine.
Monter les escaliers qui la mènent à l'étage lui demande bien plus de force qu'elle ne l'aurait cru. Elle n'a jamais fait attention au nombre de marches qui le compose jusqu'à maintenant. Chacune d'entre elle lui paraît plus haute que la précédente.
« Tu as l'air d'un cadavre, Tara. »
Hanji la regarde du haut de l'escalier. On peut lire dans ses yeux un mélange de pitié et d'incompréhension. Tara est en train de se laisser mourir et personne ne semble vouloir l'aider à surmonter les épreuves qu'elle traverse.
En même temps, ceux qui étaient proches d'elle sont morts. Ou inconscient, dans le cas de Mike. Elle n'a sûrement personne vers qui se tourner, à part Maximilian, sauf que la femme du Major n'est pas au mieux de sa forme non plus.
Tara arrive enfin en haut de ce maudit escalier. Elle questionne Hanji du regard. Pourquoi l'a-t-on fait venir jusqu'ici ? Se sont-ils décidés à la juger pour sa nouvelle insubordination ? Hanji ne lui dit rien, elle la guide simplement, se tenant à ses côtés, comme si elle se tenait prête à la rattraper.
Elles arrivent devant la porte de la chambre d'Erwin. Elle est entre-ouverte. Tara peut entendre les pleurs de Maxi. Elle n'ose plus avancer. Pourquoi la médecin pleure-t-elle ainsi ?
« Tu comptes entrer ? »
Livaï est apparu dans l'ouverture de la porte. Toujours aussi agressif et sombre. Se sont-ils déjà parlés gentiment ? Tara en doute. C'est Mike qui sympathise avec tout le monde, pas elle. Elle se contente de le suivre, d'être son ombre.
« Entre Tara. »
Cette voix. Elle a pensé ne plus l'entendre.
Elle pousse la porte, ignorant toujours aussi superbement Livaï. Le spectacle qui s'offre à elle est saisissant.
Erwin s'est enfin réveillé, et dans ses bras se trouve Maxi. Cette dernière semble avoir relâché enfin ses émotions. Toute cette peine, cette inquiétude et cette tristesse qu'elle a laissé s'accumuler depuis qu'ils sont rentrés de mission. Depuis que Tara a ramené un Erwin inconscient et estropié à Trost. Un torrent de larmes qui se déverse contre le Major.
Tara se sent de trop. Elle n'a rien à faire ici. Cet instant ne devrait appartenir qu'à Maxi et au Major. À Livaï aussi, peut-être. Elle n'a jamais vraiment compris le lien qui unit les deux hommes. Tout ce qu'elle sait, c'est qu'elle n'a rien à faire ici, à les regarder dans l'ombre. Sa présence ne fait que gâcher ce moment.
« Je sais que tu préférais te trouver loin d'ici et de cet étalage de sentiment que l'on te présente, mais je devais te parler. »
Il est toujours consternant pour Tara de voir à quel point Erwin peut se montrer lucide à son propos. Cet homme a un don pour la cerner avec plus de facilité que n'importe qui. Avec plus de facilité que Mike, aussi.
« Je me dois de te remercier pour ce que tu as fait. Ton insubordination a permis de sauver de nombreuses vies, dont la mienne. J'ai donc décidé de passer sous silence ton comportement. »
S'attend-il à des remerciements ? Si elle n'avait pas décidé de désobéir, cet imbécile serait sûrement dans l'estomac d'un titan à l'heure qu'il est. Maxi devrait se contenter de pleurer sur une tombe vide de tout corps.
Tara le regarde donc avec le même air hautain qu'elle sait si bien prendre. C'est Livaï qui le lui a inspiré, il est le maître en la matière après tout.
« Les recrues que tu as délaissées pour retrouver Mike ne diront rien non plus. Elles ont reçu l'ordre de se taire. »
Il ne parle pas des officiers. Ils sont tous morts après tout, et les morts ne parlent pas, pour le plus grand bonheur de Tara.
« Tu peux disposer. »
Ne pouvait-il pas attendre pour lui dire ce genre de chose ? Tara hausse les épaules et tourne déjà les talons, sans prendre la peine de lui répondre.
« Une dernière chose... »
Erwin Smith sait ménager ses effets. Elle ne peut le nier.
« Merci d'avoir sauvé Mike et de prendre soin de lui comme tu le fais. »
Sans se retourner, elle hoche la tête. Ils se connaissent depuis des années, il tient au soldat peut-être autant qu'elle. La seule différence entre eux est qu'Erwin est prêt à le sacrifier pour la survie de l'humanité.
Ses pas la mènent dans ses quartiers. Elle s'écroule sur son lit, seule.
Frigorifiée.
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De retour pour un second chapitre ! J'espère que celui-ci vous autant plu que le premier :)
J'en profite pour préciser que Maximilian, la femme de Erwin, est un personnage que j'ai emprunté à -PierreDeLune-, alors n'hésitez pas à aller lire ce qu'elle écrit, c'est génial *-*
N'hésitez pas à me donner votre avis et on se retrouve dimanche prochain !
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