Chapitre 18 : Angoisse
Ouvrir les yeux. S'échapper de son propre esprit le plus rapidement possible. Tenter d'oublier ses songes. Se relever trop vite, serrer les dents. Enfouir son angoisse au plus profond de son cœur. Sa peur, aussi. Résister face à des pensées trop sombres. Laisser sa respiration s'emballer, ultime preuve de vie de cette coquille vide qu'est devenu son corps.
Ses yeux se posent sur l'immense fenêtre habillant la pièce. La Lune s'y infiltre, chassant la pénombre au profit d'une lueur fantomatique. Rien n'est vraiment vivant à cette heure de la nuit. Pas même Tara, trop occupée à lutter.
Hésiter entre un sommeil cauchemardesque et un éveil encore pire.
Le chercher du regard, distinguer son immense silhouette avachie dans le canapé. Esquisser un sourire.
Choisir de fuir le repos.
Au moins est-il présent dans ce monde-ci.
Il n'a pas dit un mot depuis le départ du médecin. Il ne l'a pas touchée non plus. Chacun de ses gestes a été débordant de bienveillance et dénué de toute attirance. Tara ne sait quoi en penser.
Elle se recroqueville sur elle-même, incapable de se décider sur ce dont elle a besoin. Le contact de Mike lui manque terriblement.
Respirer plus fort. Plus vite. Sentir cette angoisse latente caresser sa peau. Frémir à son contact, l'accueillir sans peine. Suffoquer alors qu'elle plante ses serres hideuses dans son esprit déjà trop fatigué. Manquer d'oxygène.
Paniquer.
Vouloir hurler.
N'émettre aucun son.
Sombrer.
Sombrer dans la noirceur d'un monde peuplé de cauchemars et de regrets. Dans un monde dénué d'avenir et d'espoir. S'y enfoncer toujours plus, jusqu'à ensevelir son esprit dans cette grotte sombre qu'est la peur.
« Tara ! »
Revenir à la réalité, guidée par la voix de Mike. Rouvrir les yeux, tenter de naviguer jusqu'à la lueur de ses pupilles inquiètes. Affronter le flot de ses remords sans parvenir à l'atteindre.
Sombrer de nouveau.
« Suis mes respirations ! »
L'ordre claque de son esprit, l'envahit sans le moindre mal. Habituée à suivre ses directives, son cerveau s'applique à les mettre en exécution. Son souffle se fait plus calme, ses respirations ralentissent alors qu'elle suit le rythme que lui impose son supérieur. L'oxygène lui revient, diminuant enfin la douleur enserrant sa poitrine.
« Continue comme ça, tu t'en sors bien. »
Suivre son regard comme l'on suivrait la lumière d'un phare. S'ancrer à sa présence, sans même y songer.
Respirer.
Doucement, dans l'espoir d'apaiser sa gorge. Tenter de calmer les tremblements qui se sont emparés de son corps épuisé.
« Tu as fait une crise d'angoisse, tout va bien maintenant. »
À cette phrase, Tara le dévisage, complètement perdue. Comment peut-il encore croire que tout ira mieux ? Comment peut-il encore espérer un avenir plus radieux ? Comment peut-il penser qu'elle se relèvera de cette épreuve ?
Pourtant elle note cette étincelle d'inquiétude qui hante son regard. Lui non plus ne parvient pas à croire ses paroles. Il essaye simplement de faire bonne figure devant elle.
« Merci pour ton aide, j'ai simplement dû faire un cauchemar. Ça ira. »
Tout ira bien.
Il ne s'est rien passé après tout.
« Tara... »
Sa voix n'est plus qu'un murmure. Désemparé devant le déni dont elle fait preuve, il ne sait que faire pour lui apporter un semblant d'aide et de réconfort. C'est à peine s'il ose la toucher après ce qu'elle a vécu.
« Je vais bien. Désolée de t'avoir dérangé pour si peu. »
Elle refuse qu'il perde son temps à s'inquiéter pour elle. Toute son énergie se doit d'être tournée vers sa convalescence. C'est bien la seule chose qui compte.
« Arrête ça. »
Le ton de son Capitaine s'est durci. Visiblement, il n'apprécie pas ses mensonges et ses tentatives de fuite. Il la connaît mieux que quiconque après tout.
« Si ton choix est de rester dans le déni, je ne te le reprocherais pas. Par contre, ne crois pas un seul instant que je vais avaler tes mensonges. Merde ! Tu es la femme que j'aime, et jamais, je ne cesserai de te soutenir. Compris la Bleue ? »
Il ne se rend compte que trop tard qu'il a haussé la voix, alors que Tara le fixe, les mains tremblantes, les yeux écarquillés.
Il lui fait peur.
Immédiatement, sa colère retombe.
Pourquoi ne parvient-il pas à garder son calme ?
Pourquoi s'emporter ainsi ?
« Je suis désolé. »
Il tend sa main vers elle, le plus lentement possible. Chaque centimètre parcouru sans que Tara fuie est une victoire.
« Je ne suis qu'un vieux con qui t'aime beaucoup trop. Un idiot qui ne veut que ton bonheur. »
Il laisse un long soupir s'échapper de ses lèvres. De toutes les épreuves qu'il a pu traverser dans sa vie, celle-ci lui semble être la plus difficile.
« Je vais te laisser dormir, tu as besoin de repos. »
« Attends. »
La jeune femme se redresse, l'air perdu. Elle paraît hésiter, mais la patience dont fait preuve Mike à son égard la pousse à continuer.
« Tu... Tu veux bien rester ? »
Un sourire attendri étire les lèvres du blond. Son regard s'adoucit alors qu'il s'installe auprès d'elle.
« Je resterai à tes côtés tant que tu voudras bien de moi. »
Il lui offre ces paroles dans un murmure tandis qu'elle se blottit contre lui. Retrouver sa chaleur lui fait un bien fou, le rassure presque.
Elle est là, près de lui, bel et bien vivante.
« C'est une promesse ? »
« C'est une promesse. »
Tara s'endort contre lui, un sourire imprimé sur son visage meurtri. Un soulagement immense s'empare de son Capitaine. La jeune femme n'a donc pas totalement enterré l'espoir qui la caractérise tant. Cet espoir et cette force qui la poussent constamment en avant, qui l'obligent à se relever après chaque épreuve, inlassablement.
Si Tara peut encore lui sourire, il sait que tout n'est pas définitivement perdu.
Cette pensée accompagne son sommeil, délicieusement apaisante. Elle gorge son âme de bonheur, réveille ses rêves d'évasion.
Avant de se briser irrémédiablement devant l'horreur de la réalité.
Il ne peut rien faire alors qu'aux premières lueurs du jour, il entend Tara hurler de terreur. Il ne peut rien faire lorsque des soldats lui arrachent de force la femme qu'il aime. Une arme à feu posée sur la tempe, il ne peut rien faire pour l'aider.
Parce que la douleur dans les pupilles de la soldate lui hurle de rester immobile. Ce regard, il l'a vu bien trop de fois pour ne pas le redouter. Il sait qu'il précède des morts trop douloureuses pour l'esprit de la jeune femme.
Il ne doit rien faire alors que des hommes s'amusent à le rouer de coups.
Il ne doit rien faire lorsqu'il aperçoit un homme au visage tuméfié se pencher pour murmurer à l'oreille de Tara.
Il ne doit rien faire alors qu'elle se recroqueville sur elle-même et tremble de tout son être.
Il ne doit rien faire et cela le tue.
Parce qu'il ne parvient toujours pas à la protéger de cette Humanité qui tente d'avoir sa peau.
Parce qu'il est trop faible pour lui offrir la vie qu'elle mérite.
Et parce que malgré toutes ses promesses, rien ne va mieux.
« Vous avez au moins l'intelligence de ne pas vous débattre. Tout n'est finalement pas à jeter chez les membres du Bataillon. »
Imperméable aux insultes, Mike se contente de relever son visage en sang vers la nouvelle venue. Son nez se crispe par réflexe. Cette femme ne lui inspire rien de bon et le regard noir qu'elle pose sur Tara le conforte dans cette première impression.
« Qu'est-ce qui nous vaut le déplaisir d'une visite des Brigades Spéciales ? »
« Vous devez être jugés tous les deux pour traîtrise. »
« Le Bataillon a été blanchi. »
Un sourire narquois orne les lèvres de la nouvelle venue. Mike comprend alors : peu importe les prétextes absurdes pour lesquels ils doivent être jugés, les humains n'ont jamais eu besoin de bonnes raisons pour répandre la mort sur leur chemin.
Certains ont juré leur perte, et sont sur le point d'y arriver s'il se fie à l'air désespéré de Tara. La voir ainsi le terrifie. Elle n'a plus rien de la soldate fière et forte et qui ne se laissent jamais abattre. Elle n'a plus rien de la femme fougueuse qui partage son quotidien depuis déjà dix ans, ni même de l'amante rassurante qui lui vole ses nuits.
Devenue l'ombre d'elle-même, elle semble avoir totalement abandonné l'idée de se débattre alors qu'on les force à marcher le long de couloir interminable sous le regard de nobles étonnés par la démonstration de force dont font preuve les Brigades Spéciales.
Pourtant, aucun d'eux ne tente d'intervenir. Aucun d'eux n'agit. Les poings de Mike se crispent. Vingt ans de loyaux services au sein de l'armée, à sacrifier son esprit et son corps, pour ne récolter que l'indifférence et le mépris.
La lâcheté humaine a encore de beaux jours devant elle.
C'est au moment où ce constat s'ancre en lui et qu'il songe à renoncer définitivement qu'il aperçoit enfin un visage amical parmi ceux venus observer le spectacle. Anka Rheinberger, l'assistance personnelle de Dot Pixis les observe, l'air peiné.
Mike n'a eu affaire à elle que quelques fois depuis le début de sa carrière de soldat, mais il sait une chose : cette femme, à l'image de son supérieur, est incorruptible. Il la supplie du regard, espérant que personne ne se rende compte de leur échange silencieux. Par chance, Anka semble comprendre. Elle hoche discrètement la tête avant de disparaître dans l'ombre.
Le blond sait qu'à présent, il ne peut rien faire de plus qu'attendre et espérer.
C'est ce qu'il se répète alors qu'on les mène de force dans une pièce aux allures de tribunal. Jamais il n'aurait imaginé trouver un tel endroit au sein du palais royal.
Un sourire ironique vient orner son visage abimé.
Il n'aurait jamais imaginé non plus pénétrer dans une telle salle en tant que qu'accusé. En tant que traître.
Une colère sourde gronde en lui. Voilà comment l'humanité éponge sa dette envers lui : en le traînant dans la boue, bafouant jusqu'à ses nombreux sacrifices. Ses hommes qui le menottent comme un criminel ont-ils conscience du poids de leurs gestes ?
Ont-ils conscience qu'ils brisent à jamais ce lien qui lui permettait d'espérer encore une victoire de l'humanité ?
Amer, il ne lui reste qu'un rêve : partir au plus loin de ceux qui les ont privés de leur liberté. Sauver Tara de cet enfer que sont devenus les Murs et fuir.
« À quoi rime tout ceci ? »
Mike observe enfin ceux qui se trouvent autour d'eux. Tous ces hommes et ces femmes réunis dans le seul but de décider de leur droit, ou non, de survivre. Un échantillon perfide de l'humanité, persuadé d'avoir un droit de vie ou de mort sur leurs semblables.
C'est à se demander qui, d'eux ou des Titans, sont les monstres qui hantent cette terre ?
L'homme qui a élevé la voix n'est nul autre que le Daris Zackley, le Général en chef de l'armée des Murs. Son air renfrogné n'indique rien de bon, cette mascarade semble l'avoir dérangé au pire moment. Naile Dork se trouve à ses côtés, sans pour autant paraître connaître la raison de sa présence ici.
« Ces deux soldats sont accusés de trahison envers l'armée, mon Général. »
La réaction de Dork, lorsqu'il pose ses yeux sur Tara et lui, retourne l'estomac de Mike. Il sait. Naile Dork sait la vérité, il sait ce que ses soldats ont fait subir à la jeune femme, et pourtant, il ne dit rien. Il préfère ne prendre aucun risque et simplement se complaire dans ce rôle d'observateur.
Est-il donc si facile de haïr les hommes ?
« Je ne connais pas cette soldate, mais aucun ici n'ignore les sacrifices qu'a dû faire le Général Zacharias pour l'armée. Je veux des faits avant de condamner un homme qui a tant apporté à l'humanité ! »
En d'autre circonstance, un tel compliment, venant de la plus haute autorité militaire, aurait touché le soldat. Néanmoins, rien d'autre qu'un dégoût profond s'insinue en lui.
« La soldate est accusée d'avoir attaqué et tué plusieurs soldats des Brigades Spéciale. Zacharias, quant à lui, a permis à cette femme de s'échapper de nos geôles en menaçant plusieurs officiers chargés de garder la prison du château. »
Ont-ils conscience de l'absurdité de leurs accusations ?
Tara esquisse un sourire ironique. Si seulement ces accusations étaient vraies. Si seulement elle avait tué ces deux hommes.
Pourquoi n'a-t-elle pas fait le choix de préserver son existence au lieu de celles de deux inconnus ? Pourquoi a-t-elle choisi de laisser ces monstres en vie alors même qu'elle exécute sans le moindre mal chaque Titan à portée de ses lames ?
Une erreur de plus.
Une erreur qu'elle ajoute à sa longue liste d'échecs.
Une erreur qui risque de leur coûter la vie, à Mike et elle.
Ce constat brise ses dernières défenses. Son esprit menace à nouveau de sombrer. Ses larmes se mettent à couler silencieusement alors que son regard croise celui de son amant.
Elle sait qu'il la comprend mieux que quiconque.
Il sait qu'elle a perdu espoir.
Son instinct s'est éteint, noyé dans une culpabilité sans fin.
◘●◘●◘●◘●◘●◘●◘●◘●◘●◘
Déso pour le retard.
Comme d'hab, les mouchoirs sont sur la table du salon.
Enjoy,
Nayruh
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