Chapitre 17 : Désespoir


Ses poings se crispent, son cœur bouillonne de rage.

Pourquoi est-il si faible ?

Pourquoi ne s'est-il pas plus battu ?

Trop de questions se bousculent dans sa tête alors que son regard se porte sur ce soldat qui tremble de tout son être.

Sa haine se tourne vers l'humanité tout entière. Elle se tourne vers ceux qui, lassés d'une vie honnête, se précipitent vers une existence monstrueuse. Ceux qui se sont appliqués à la faire souffrir toujours plus.

Sa colère se confronte au monde qui l'entoure, se plait à consumer ce semblant d'existence qu'il a tenté de bâtir, en vain.

« Ouvre cette foutue porte ! »

Sa patience n'est plus qu'un lointain souvenir alors qu'il contemple son corps décharné.

Pourquoi n'a-t-il pas été capable de la protéger ?

Pourquoi le monde s'est-il appliqué à faire disparaître la moindre lueur d'espoir dans son regard ?

Enfin, l'homme parvient à insérer sa clé rouillée dans la serrure. La main tendue de Mike l'invite à y déposer la seconde clé qu'il possède, chose qu'il fait s'en attendre.

« Dégage. »

Sans même détourner son regard du corps inerte, le blond sait que cette loque des Brigades Spéciale a déjà déguerpi. Le courage n'a jamais été leur fort.

Alors qu'il s'avance, il s'efforce de réguler ses sentiments.

Ce n'est pas de haine dont elle a besoin.

« Tara ? »

Il l'approche comme il approcherait un animal blessé.

« T'en as mis du temps. »

La soldate relève la tête avec difficulté, laissant enfin apparaître son visage auparavant dissimulé dans la pénombre. Mike le contemple, la gorge serrée. Ses traits tuméfiés, ses lèvres fendues, son œil gonflé... À l'image de son corps, trop de choses témoignent des tortures subies.

Pourtant, Tara parvient encore à lui sourire.

Elle lui sourit d'un sourire vierge de tout bonheur. Un sourire factice, pâle reflet d'une joie qui a depuis trop longtemps déserté son existence. Il ne parvient d'ailleurs pas à illuminer son visage, se contentant de hanter ses traits épuisés.

Et rien ne le terrifie plus que de voir ses lèvres s'étirer ainsi.

« Je peux ? »

Par automatisme, sa main s'est dirigée vers la soldate, avant de s'arrêter net, réalisant à temps son erreur. Les traces de sang, les écorchures, les bleus sur sa peau nue... Il n'a aucun doute sur les offenses qu'on lui a imposées. Il refuse d'être celui qui bafouera une fois de plus son humanité.

« Tu peux. »

Avec délicatesse, et sans le moindre mal, il soulève son corps, mettant enfin terme à son supplice. De justesse, il réprime un grognement de colère en constatant la légèreté de son amante. De sa main libre, il utilise la seconde clé pour la libérer de ses chaînes. Son regard s'attarde sur ses poignets trop fins, dont la peau a été rongée par le fer. Son esprit, habitué à observer des plaies bien plus conséquentes, parvient à passer outre, mais son cœur, lui, s'y attarde.

Chaque perle de sang est une larme qu'il aimerait pouvoir verser.

« Je suis désolé. »

Sa voix n'est plus qu'un murmure alors qu'il détache sa cape pour la passer autour du corps de la soldate après l'avoir déposée sur le sol.

« C'est fini maintenant. »

Il sait que ses paroles ne sont que mensonge. Elle n'est qu'à l'aube de sa douleur. Les horreurs subies perdureront encore longtemps dans son âme. Des nuits entières à sombrer l'attendent irrémédiablement, prêtes à souiller chaque étincelle venant illuminer son existence. La terreur se répercutera encore et encore, hantant ses songes et ses rêves, ruinant ses jours sans le moindre mal.

Il le sait, et pourtant, il ne lui dit pas. Il se contente d'entrelacer leurs doigts, n'osant lui imposer à un quelconque autre contact.

« Je te le promets. »

Une promesse qu'il sait vide de sens. Une promesse vaine, qu'il ne pourra tenir.

La soldate ne s'y trompe pas, puisqu'elle lève vers lui ses deux émeraudes dénués d'éclats. À l'instar de son sourire, ses pupilles ne reflètent plus rien, si ce n'est une angoisse latente, une détresse omniprésente.

Tara a perdu espoir.

« Je te le promets. »

Sa voix tremble alors qu'il répète cette idiotie. Peut-être a-t-il besoin lui aussi de croire, ne serait-ce qu'un instant, que tout cela ne durera pas. Qu'une fois revenu à la surface, les rayons solaires parviendront à réchauffer leurs âmes.

« Merci. »

« De ? »

« De verser tes larmes pour moi. Je crois que n'y arrive plus. »

Elle lève sa main jusqu'à son visage, ses doigts abîmés y cueillent une perle salée. Le sang, son sang, dont sa peau est recouverte, vient colorer cette goutte d'eau, souillant sa pureté d'une teinte cramoisie. La voir ainsi, obnubilée par cette larme qui dévale sa peau, fascinée par ce chagrin qu'il parvient encore à exprimer, retourne l'estomac du soldat.

Il aimerait capturer sa main, y déposer ses lèvres. Caresser sa peau, la serrer contre son cœur. Il aimerait effleurer son visage, réchauffer son corps. Mais une fois de plus, il ne fait rien, se contentant de laisser son désarroi envahir ses traits. Il sait qu'aucun de ces gestes n'aura le pouvoir d'effacer les horreurs commises.

Il n'est que trop faible face à la laideur de l'humanité.

« Tara... Il va falloir que l'on sorte d'ici. Tu t'en sens capable ? »

À peine retrouve-t-elle un semblant de liberté qu'il lui suggère d'affronter le monde. Est-il lui aussi dépourvu de cœur pour oser lui demander de se confronter à ceux qui ont osé ignorer ses maux ? Ne pourrait-il pas simplement rester là, avec elle, à l'abri de ceux qui leur ont volé leur bonheur ?

Elle hausse les épaules, l'air totalement détaché.

Que pourrait-on lui faire subir de plus ?

Il l'observe se relever, enchaîner trois pas maladroits, avant de retomber lourdement sur le sol. Elle est à bout de force. Son corps aussi mettra du temps à guérir.

« Tu n'as pas besoin d'affronter ça seule. »

Mike s'accroupit devant elle, ignorant la douleur qui résonne dans son propre corps. Il lui tend une main salutaire, promesse d'un soutien sans faille. Au moins peut-il lui assurer qu'elle n'aura plus à se relever seule.

Alors qu'elle lie leurs doigts, il ne peut s'empêcher de remarquer ses tremblements et son regard absent. Si elle accepte de s'en remettre à lui pour l'instant, elle refuse vraisemblablement de l'impliquer plus qu'il ne l'est déjà.

« Ce fardeau est le mien, Mike. Il est celui que je m'impose. Tu n'as pas à subir les conséquences de mes choix. »

Pourquoi ces mots lui reviennent aujourd'hui de plein fouet ? Pourquoi leur situation n'a-t-elle pas changé depuis ?

Naïvement, il s'est imaginé qu'avec le nouveau tournant pris par leur relation, Tara cesserait de s'infliger une solitude trop pesante pour son esprit.

Il n'en est rien.

Elle a plongé bien trop profondément dans cet océan de noirceur qu'est la culpabilité. C'est à peine s'il peut s'assurer qu'elle ne s'y noie pas.

« Je peux ? »

Soucieux de lui laisser de nouveau le choix, il attend son hochement de tête pour soulever avec délicatesse son corps. Un sourire effleure ses lèvres alors qu'il la sent abaisser ses défenses et se blottir contre lui. Sa chaleur lui a terriblement manqué.

Ses pas les mènent vers la sortie et cet escalier qu'il appréhende encore trop. Même si ses blessures seront bientôt de l'histoire ancienne, son corps se plait à lui rappeler ce qu'il a subi au moindre effort.

Pourtant, ses angoisses disparaissent aussitôt la première marche grimpée. Elles s'effacent au profit d'un sentiment bien plus étrange, bien plus subtil. Une lueur d'étrangeté envahissant ses pensées sans le moindre mal.

Pourquoi est-il persuadé d'avoir déjà vécu ce moment ?

Pourquoi son corps se rappelle-t-il avoir déjà tiré Tara d'un tel enfer ?

Il secoue la tête, chassant son passé. L'heure n'est pas aux réminiscences d'un temps révolu. La soldate doit voir un médecin de toute urgence.

Il parcourt les couloirs d'un pas vif, sans prendre le temps d'accorder un regard à tous ceux qui les observent. Tous ceux qui ont choisi de ne pas agir alors que la femme qu'il aime était torturé sous leurs pieds.

Il les hait.

Puis enfin, il parvient à la chambre. Une chambre à la hauteur de l'opulence dans laquelle baigne le palais royal. L'endroit empeste le luxe et le confort, deux choses que Tara et lui n'ont jamais connu.

Il s'en veut pour ça.

« Je comprends mieux pourquoi la couronne n'a plus d'argent pour financer le Bataillon. »

La remarque cynique de la jeune femme le fait sourire alors qu'il la dépose avec délicatesse sur le lit.

« Personnellement, je les plains. Je préfère l'inconfort de la liberté au confort de la servitude. Leurs draps de soie et leurs nourritures ne sont rien face au ballet des étoiles et à la mélodie du vent. »

Allongée, Tara le dévisage. Mike porte sur ses traits l'expression de ceux qui savent encore rêver. Ses pupilles de jade parviennent toujours à briller lorsqu'il évoque ces terres extérieures, ces lieux qu'ils n'ont jamais pu explorer.

Il n'y a pas de plus beau spectacle pour la jeune femme que de pouvoir l'observer s'émerveiller à la simple pensée d'un monde plus vaste, un monde sans limites. Un monde qui pourrait les accueillir, tous les deux. Ils pourraient l'arpenter dans la solitude, découvrir les mille merveilles que leur réserve la nature, s'attarder devant le spectacle d'une vie loin des Murs.

Mike est bien le seul à parvenir à la faire rêver.

« Tara... Ton état nécessite des soins. Tu veux bien qu'un médecin t'examine ? »

« Maxi ? »

Elle connait sa réponse avant même qu'elle ne franchisse ses lèvres.

« Je suis désolé... »

Maxi est morte.

Celle qui les a trahis n'est plus.

Erwin l'a exécuté.

Elle avale sa salive avec difficulté. Son instinct l'avait certes avertie de la mort imminente de la médecin, mais une once d'espoir était parvenue à s'infiltrer en elle. Un espoir vain qui lui répétait que tout ça n'était qu'une erreur.

« Erwin ? »

« Reparti sur le terrain. C'est lui qui m'a indiqué où te trouver. Je crois qu'il a préféré fuir la réalité de son geste en retournant se battre. »

Que lui a-t-il dit de plus ?

La question résonne dans les entrailles de la jeune femme, sans qu'elle ose la poser. L'idée que Mike sache ce qu'on lui a imposé la terrorise. Elle refuse qu'il la perçoive comme une victime incapable de se défendre.

Il mérite une femme bien plus forte que ça. Une femme à son image.

« Tu veux bien que quelqu'un d'autre te soigne ? »

Que quelqu'un d'autre pose ses mains sur son corps déjà trop de fois souillé.

Elle accepte d'un signe de tête. La seule chose qu'elle peut faire à présent, c'est d'oublier ce qu'il s'est passé. Elle se le répète en boucle dans sa tête alors qu'un médecin referme chacune de ses plaies et panse jusqu'à la plus petite de ses blessures.

Il ne s'est rien passé.

Elle se concentre sur cette idée, consciente d'étouffer son mal de la pire manière qu'il soit.

Il ne s'est rien passé.

Elle relègue au plus profond d'elle-même cette peur lancinante qui s'est emparée de son âme. Cette peur qui refuse de la quitter depuis l'instant où ce soldat est entré dans sa cellule.

L'œuvre du médecin prend un temps considérable. Réparer un corps que l'on a brisé est un travail de minutie.

Ce n'est qu'une fois son ouvrage terminé que l'homme relève la tête vers elle et la dévisage, l'air désolé. Il prend quelques secondes avant de prononcer les mots qu'il a choisi avec soin.

« Le repos aura raison de toutes vos blessures. D'ici à un ou deux mois, vous n'aurez plus aucune séquelle. Cependant, au vu de ce que vous avez subi, je me dois d'outrepasser mes prérogatives en vous posant la question suivante : mademoiselle, souhaitez-vous parler de ce qu'il s'est passé ? »

Les doigts de la jeune femme agrippent avec force le drap sur lequel elle est étendue. Son regard se détourne du médecin pour se réfugier dans l'aura rassurante des prunelles de jade de son amant.

C'est en le suppliant de la croire qu'elle prononce son mensonge, persuadée de faire le bon choix en scellant son mal-être.

« Il ne s'est rien passé. »

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Les mouchoirs sont sur la table du salon. 

Ceux qui veulent ma peau après ce chapitre, 

direction la première porte à droite. 

Enjoy

Nayruh

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