and your eyes look like comin' home

Il porta le verre à sa bouche et trempa ses lèvres dans cette liqueur dont il ignorait le nom. Sa première pensée fût que ce n'était pas si mal, alors il en reprit une gorgée. Il le regretta presque immédiatement ; le goût sucré et âcre de ce cocktail qu'il avait choisi au hasard lui donnait la nausée. Shinichi avait été forcé par Ran à venir avec elle et Sonoko dans ce host club, et malgré le fait qu'il avait fait promettre à Riki de ne pas le laisser seul avec elles, il lui avait posé un lapin, ce traître. En soupirant, il posa son verre sur une table proche et croisa ses bras, observant les deux filles qui, contrairement à lui semblaient bien s'amuser.

Plus le temps passait, plus l'atmosphère écrasante et le bruit incessant de la pièce commençait à l'oppresser, mais ce fût quand il commença à trouver le temps vraiment long que Shinichi sentit comme une présence près de lui. Il s'était tourné et retourné plusieurs fois, mais cette sensation désagréable ne le quittait pas. Alors, au lieu de contempler le fond de son verre d'un œil vitreux, il commença à chercher la personne qui le regardait avec autant d'insistance. Il s'était même levé pour mieux observer autour de lui, et ce fût comme cela qu'il le trouva.

Un homme bronzé et plutôt jeune, qui était sûrement un des host du lieu, avait les yeux rivés sur lui, une lueur indéchiffrable dans les yeux. Il était assis seul sur une banquette proche du bar et la table en face de lui était vide, sans verre ni bouteille d'alcool ; Shinichi aurait presque pu le prendre pour un client s'il n'était pas aussi bien habillé que tous les autres employés de cet endroit.

Intrigué par l'étrange comportement de cet inconnu, le corps de Shinichi se mouva contre son gré pour le porter vers sa table alors qu'il n'avait aucune idée de ce qu'il faisait, ni de ce qu'il allait lui dire.

Il s'approchait de lui sans le quitter des yeux, à moitié parce qu'il avait peur de se perdre au milieu de la foule, à moitié parce que lui non plus n'avait pas détourné le regard. Parvenu à sa table, Shinichi s'assit nonchalamment devant lui, au moment où l'inconnu reporta finalement son attention sur ses mains. Il effaça l'expression vide d'émotion de son visage et la remplaça par un sourire de convenances.

« Désolé mais on se connaît ? J'ai remarqué que vous m'observiez, demanda Shinichi d'un ton qui ne laissait transparaître aucune arrière-pensée.

L'inconnu esquissa un sourire énigmatique et répondit sans le regarder :

— Tu ne me reconnais pas ?
— Pas vraiment, est-ce que je devrais ? Dit Shinichi, de plus en plus intrigué.

Le temps s'était comme figé lorsque soudainement, l'inconnu éclata de rire. C'était inattendu et cela fit sursauter Shinichi, qui comprenait de moins en moins ce qu'il se passait. Mais la voix de l'homme qui riait toujours commençait à lui rappeler quelque chose et une vague de déjà-vu se déferla sur lui. Il commença à observer le visage de cet homme avec plus de minutie pour comprendre pourquoi il lui semblait si familier. Il ne prit pas plus de temps pour le reconnaître et lorsque ses souvenirs remontèrent enfin à la surface, ses yeux s'écarquillèrent.

— Heiji ?!
— C'est mon nom, dit ce dernier, un sourire satisfait aux lèvres. Tu me reconnais maintenant ?

Shinichi le détailla rapidement du regard, cherchant quelque chose qui lui rappellerait le Heiji qu'il avait connu. Il ne ressemblait désormais plus en rien au jeune homme avec sa casquette à l'envers qu'il avait été. Il semblait avoir mûri mais il avait aussi l'air moins sûr de lui, ses yeux ayant perdu un peu de leur éclat d'avant.

— Ça fait une éternité... Qu'est-ce que tu fais là, tu travailles ici ? Demanda Shinichi.
— Je devrais plutôt te demander ce que toi, tu fais ici, répondit-il un sourire en coin.

Shinichi soupira en se passant la main dans ses cheveux. Un host club était vraiment le dernier endroit sur terre où il s'attendait à croiser quelqu'un comme Heiji. Mais toutes ces années séparées l'un de l'autre lui donnaient l'impression qu'ils étaient devenus des inconnus, alors il n'y prêta pas attention.

— Honnêtement, je ne sais pas non plus... C'est Ran qui a voulu, tu sais comment elle est.
— Elle est là aussi ? Comment ça se passe entre vous maintenant, vous sortez ensemble ? Enchaîna-t-il sans s'arrêter.

Le sourire de Heiji s'agrandit à la mention de l'amie de Shinichi, mais ce dernier détourna légèrement le regard. Pouvait-il lui révéler qu'il avait rendu leur relation bizarre depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vu ?

— On est toujours amis, lâcha Shinichi dans un souffle en évitant son regard.

Il ne releva pas la tête à temps pour voir l'expression perplexe passer sur le visage de Heiji.

Un silence lourd de non-dits s'installa entre eux. Après tout, on ne pouvait pas embrasser son meilleur ami sans rencontrer de conséquences.

Ni l'un ni l'autre n'osait se regarder en face. Même des années après, ce souvenir était encore très clair dans la mémoire de Shinichi. Cette soirée à New York, un mois avant le début de leur deuxième année à l'université, cette nuit où ils avaient tous les deux bu jusqu'à ce que leurs vues soient troubles et que leurs mains s'entrelacent, alors que Heiji attirait Shinichi contre lui, basculant leurs corps à l'horizontale pour déposer un innocent baiser sur ses lèvres.

Ce fût cet « innocent » baiser qui les éloigna. Shinichi l'avait repoussé et ils s'étaient promis de ne plus en reparler. Au fil des mois, ils avaient arrêté de s'appeler quotidiennement, de se rendre visite tous les week-ends et, peu à peu, ils perdirent contact. Ces vacances furent les derniers moments qu'ils passèrent ensemble.

Shinichi s'était promis d'enfouir ce souvenir au fond de sa mémoire.

Mais alors que leur discussion suivait son cours, il ne pouvait pas s'en détacher. Il regrettait depuis longtemps maintenant d'avoir repoussé Heiji juste parce qu'il avait peur. Il perdit le fil de la conversation plusieurs fois et ne savait même plus depuis combien de temps ils se parlaient. Il sentait la température de son corps augmenter petit à petit à la réalisation que maintenant était peut-être le moment où il pouvait réparer la relation qu'ils avaient perdu.

— Eh, ça va ? T'as l'air perdu et on dirait que tu m'écoutes pas là, dit Heiji d'un ton inquiet. T'es pas malade ?

Il tendit la main pour toucher le front de Shinichi, testant sa température et celui-ci se figea face à ce geste inattendu. Cela faisait bien des années qu'il avait arrêté d'être tactile comme ça avec ses amis. Ou peut-être qu'il ne l'avait été qu'avec cet ami en particulier.

— Tu veux qu'on sorte deux minutes ? T'es vraiment brûlant, dit Heiji en retirant sa main.
— T'as le droit ? Il va rien dire ton patron ?
— T'inquiète pas, je gère, conclua-t-il d'un ton rassurant.

Généralement, c'était quand il disait ça qu'il fallait commencer à s'inquiéter mais cette fois, Shinichi n'hésita pas à lui faire confiance.

Heiji se leva et tendit sa main pour aider Shinichi, qui la prit. Mais ce dernier ne s'attendait pas à ce qu'il ne la lâche pas tout le long du trajet jusqu'à la porte, après s'y être frayé un chemin, Heiji traînant Shinichi derrière lui. Le premier poussa la porte pour les mener vers l'extérieur et une fois dehors, il se tourna vers Shinichi, le même regard inquiet encore présent.

— Ça va mieux ?
— Un peu, répondit Shinichi dans un souffle.

Le silence reprit, alors qu'aucun des deux n'osait croiser le regard de l'autre, jusqu'à ce que Shinichi s'éclaircisse la gorge pour chuchoter un « merci » du bout des lèvres. Le sourire qui éclôt sur le visage de Heiji ne pouvait être décrit que comme affectueux.

— Tu veux qu'on bouge ? On peut aller marcher deux minutes, proposa Heiji en relevant la tête.

Shinichi répondit par un simple hochement de tête, toujours perturbé par tout ce flot de souvenirs qui remontait et qu'il ne pouvait ignorer, même s'il l'avait voulu. Il avait fait de son mieux pour les effacer depuis le temps, mais il se sentait maintenant assez courageux pour les affronter. Il aurait aimé faire face à Heiji pour lui demander si lui aussi se souvenait. Il leva la tête vers le ciel sans étoiles au-dessus d'eux, cherchant ses mots, mais il n'eut pas le temps car ce fut Heiji qui prit la parole en premier.

— Tu penses à ce qui s'est passé ? Demanda brutalement Heiji alors qu'ils avaient commencé à marcher depuis cinq minutes à peine.

Surpris, Shinichi sentit les battements de son cœur s'accélérer. Aucun son ne sortit de sa bouche pendant qu'il cherchait ses mots et finalement, il parvint à balbutier faiblement :

— Comment tu sais ?
— Ça se voit sur ton visage, continua Heiji d'un ton triste. J'suis peut-être plus détective mais j'en ai gardé les réflexes. Et puis, t'as jamais été très subtil, conclua-t-il dans un sourire nostalgique.

Il n'ajouta rien d'autre et continua à marcher jusqu'à ce que quelques mètres plus tard, sans s'arrêter il lâcha :

— Est-ce que tu regrettes ?

Shinichi sentit comme un frisson le parcourir quand Heiji posa finalement la question qu'il redoutait tant. Il prit une profonde inspiration avant de répondre.

— Au début oui... Mais maintenant, je regrette de m'être éloigné. J'avais commencé à me remettre en question, et tu sais à quel point ça me fait peur. Mais c'était nécessaire...

Heiji se tourna vers lui, perplexe alors que Shinichi continuait, sa voix tremblant un peu plus qu'auparavant.

— ... J'ai appris depuis que je ne pouvais pas combattre ces sentiments et qu'il n'y avait rien de mal à les laisser s'exprimer, acheva Shinichi.
— Qu'est ce que tu veux dire ?

La voix de Heiji se perdit dans le vent alors que Shinichi s'arrêta de marcher, laissant son ami le dépasser jusqu'à ce qu'il ne s'arrête lui aussi. Heiji s'était retourné à temps pour observer un sourire doux et mélancolique s'accrocher aux lèvres de Shinichi alors que dans un murmure, il dit :

— Et si on reprenait là où on s'était arrêtés ?


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